D’où vient que deux personnes peuvent attribuer des noms différents à un même phénomène ou à une même conduite ? Si chaque mot était lié de manière nécessaire à la chose qu’il désigne, le langage ne présenterait aucune ambiguïté. Aussi la thèse de Hobbes est : Les mot concernent, non les choses, mais les représentations que nous en avons, parmi lesquelles nos affections jouent un rôle déterminant dans le sens que nous attribuons aux mots. Trois temps principaux dans ce texte : « Les noms des choses […] nos différentes passions » analyse de la source des connotations attachées aux mots ; « C’est pourquoi, lorsqu’ils raisonnent, […] stupidité, etc. » première conséquence de ces connotations : l’ambiguïté possible des termes dans le raisonnement et la discussion ; « Il en résulte que de tels […] les autres noms. » deuxième conséquence : des mots connotés ne peuvent fonder aucun raisonnement, et cela les rapproche des métaphores et autres figures de style. L’enjeu du texte est de montrer que les ambigüités proviennent donc, non des mots, mais des dispositions subjectives de ceux qui les utilisent. Aussi doit-on s’en méfier lorsqu’il s’agit de raisonner, car elles peuvent nous piéger plus sûrement qu’un langage ouvertement « imagé » ou poétique.
Nous jugeons des vices et des vertus, du bien et du mal, en fonction de nos passions. Or, ces passions diffèrent d’un homme à un autre. Ce que l’un nomme vice, l’autre peut l’appeler vertu. Les noms ne signifient pas la même chose pour tout le monde. Il est donc dans le domaine moral impossible de se mettre vraiment d’accord sur le sens des mots, chacun y projette ces propres passions. Le langage, dont le but est de communiquer, de dialoguer, de s’entendre au sens fort du terme, est donc le lieu d’un perpétuel malentendu. Il serait cependant urgent de s’entendre sur la vie communes entre les hommes : la morale et la politique. Or, nous comprenons à travers ce texte qu’il est difficile pour l’homme de surmonter ce handicap originel du langage afin de dialoguer avec les autres individus.
Il est question dans ce texte de notre expérience subjective du monde. Chaque individu à une manière différentes de se représenter une chose. La représentation résulte donc à la fois de l’objet regardé et du sujet qui regarde. La représentation est un des thèmes principaux de ce sujet, tout comme l’affection, et la passion. Le sens du mot affection est ici le sens courant : « quelque chose m’affecte » signifie « me procure du plaisir ou de la peine ». Le texte ne signifie pas toutes les représentations, mais celles qui nous affectent moralement. C’est dans le domaine moral que le problème du langage se pose avec le plus d’acuité. On peut en effet voir un visage de face ou de profil. Nous en avons donc deux représentations différentes, mais cela ne pose pas problème : il s’agit du même visage. En revanche, un homme peut considérer une action comme juste, un autre la jugera cruelle. Il ne s’agit pas de l’établissement des faits, mais d’un jugement moral. Enfin, les passions désignent le vécu subjectif de l’Homme dans le monde. « Patior » en latin signifie « subir une épreuve ». Alors qu’une émotion et une affection passagère, comme la colère, la surprise, la nostalgie, une passion est une affection durable. Elle marque un homme, elle le définit, comme un amoureux, un avare, un égoïste… L’éclaircissement de ces mots nous permet la justification et l’approfondissement de la thèse.
Durant le passage allant de « Etant donné […] » à « […] noms différents », Thomas Hobbes nous fait comprendre que les noms ont pour origine notre représentation des choses. En d’autres termes, les choses n’ont pas un nom naturel, tout nom est une convention, une étiquette que nous posons artificiellement sur les choses. Hobbes se montre alors ici résolument nominaliste, et s’oppose ainsi aux réaliste comme Platon (Le Cratyle) pour qui les noms révèlent la réalité de la chose. Nous comprenons par la suite que le langage a pour origine nos passions. Nous nommons les choses en fonction de nous-même, non par fidélité aux choses elles-mêmes. Le plaisant et le déplaisant sont jugés tels en fonction de la « constitution de nos corps ». Les vices et les vertus sont, eux, jugés en fonction des « préventions de notre pensée », autrement dit de nos préjugés.
Par la suite du texte Thomas Hobbes tire les conséquences pratiques de sa thèse. Il donne ainsi des éléments de réponse à la problématique que nous avons dégagée. La première conséquence est l’ambiguïté possible des termes dans le raisonnement et la discussion. C’est pourquoi en raisonnant on doit prendre garde aux mots qui, outre la signification de ce que nous imaginons de leur nature, en ont une aussi qui vient de la nature, des dispositions et des intérêts de celui qui parle. Certains poètes, comme Mallarmé dans Poésies, cherchent à nommer les choses elles-mêmes pour en cerner l’essence.
Chaque individu possède une manière différente de se représenter, de nommer une chose. Tous les hommes n’étant pas affectés de la même façon, par la même chose, la même personne, au même moment, il est évidemment difficile, voir impossible de nommer pareillement dans la conversation courante les choses ayant la propriété de nous affecter. Il ne faut donc pas faire confiance au langage. Le raisonnement est cette activité qui permet de déblayer les faux-sens, les contresens… Il n’y a pas de « mot de la fin », simplement une activité, le raisonnement critique, qui tente de lutter contre les mots marqués par les passions humaines.
La deuxième conséquence de ces connotations attachées aux mots est le fait que des mots connotés ne peuvent fonder aucun raisonnement, ceci les rapprochant des métaphores, ou autres figures de style. Nous pouvons en effet considérer les mots comme des figures de rhétorique, autrement dit comme artificiels. De telles dénominations ne constituent jamais le fondement véritable d’aucun raisonnement, pas d’avantage les métaphores et les figures de rhétorique. Mais celles-ci sont cependant moins dangereuses puisqu’elles professent leur caractère flottant, ce que ne font pas les autres dénominations.
Il convient donc de situer Hobbes dans une problématique générale du langage. Il se montre ici résolument nominaliste. Les noms ne sont que des noms, de simples étiquettes, ne révélant rien des choses elles-mêmes. Il s’oppose ainsi aux réalistes, comme Platon dans Cratyle, ou Ponge, dans Le parti pris des choses, pour qui les noms révèlent la réalité de la chose. L’apport de Thomas Hobbes est le suivant : si les noms ne révèlent pas les choses, ils révèlent cependant les passions humaines, à ce titre ils ne sont pas de simples étiquettes.
Nous jugeons du bien et du mal en fonction de nos passions. Or, ces passions diffèrent d’un homme à un autre. Ce que l’un trouve bien, l’autre peut le trouver mal. Les noms ne signifient pas la même chose pour tout le monde. Il est donc dans le domaine moral impossible de se mettre vraiment d’accord sur le sens des mots, chacun y projette ces propres passions. Le vocabulaire est responsable de nombreux malentendus au niveau de l'information et de la communication. S’en suit alors des conséquences. Là où on était d'accord, on constate que cela ne marche plus parce qu’on n'avait pas compris les mots de la même façon, ou encore la où on ne parvenait pas à se comprendre, on constate qu'en fait on voulait dire la même chose. D'autre part, on utilise des mots connotés pour décrire autre chose que le contexte dans lequel ces mots sont utilisés. Cela entraîne une ambiguïté fondamentale due à un abus de lexique. Les exemples les plus frappants se rencontrent en politique. Nous comprenons à travers ce texte qu’il est donc difficile pour l’homme de surmonter ce handicap du langage.