Sartre, Situations: Différence art et langage

Commentaire entièrement rédigé.

Dernière mise à jour : 01/11/2021 • Proposé par: cyberpotache (élève)

Texte étudié

Pour l'artiste, la couleur, le bouquet, le tintement de la cuiller sur la soucoupe sont choses au suprême degré; il s'arrête à la qualité du son ou de la forme, il y revient sans cesse et s'en enchante ; c'est cette couleur-objet qu'il va transporter sur sa toile et la seule modification qu'il lui fera subir c'est qu'il la transformera en objet imaginaire. Il est donc le plus éloigné de considérer les couleurs et les sons comme un langage. Ce qui vaut pour les éléments de la création artistique vaut aussi pour leurs combinaisons : le peintre ne veut pas tracer des signes sur sa toile, il veut créer une chose ; et s'il met ensemble du rouge, du jaune et du vert, il n'y a aucune raison pour que leur assemblage possède une signification définissable, c'est-à-dire renvoie nommément à un autre objet (...) L'écrivain peut vous guider et s'il vous décrit un taudis, y faire voir le symbole des injustices sociales, provoquer votre indignation. Le peintre est muet : il vous présente un taudis, c'est tout; libre à vous d'y voir ce que vous voudrez.

Sartre, Situations

Questions préalables

- En affirmant que les arts visuels ne sont pas un langage, la position de Sartre est-elle originale ?
- Pourquoi le cas de l'écrivain est-il différent ? (Peut-on affirmer qu'il est en fait le même que celui du peintre ?)
- Puisqu'il s'agit d'esthétique, penser à Kant et Hegel : connaissez-vous dans leurs théories quelque chose qui puisse ici être utile ?

Introduction

La comparaison entre art et langage est fréquente, elle peut même être illustrée par des esprits respectables (Lévi-Strauss, par exemple), mais est-elle justifiée ? Si l'on analyse les constituants d'une œuvre d'art, y rencontre-t-on les signes, et un mode de les combiner, qui constituent un langage ? Sartre soutient ici le contraire.

I. L'objet représenté est singulier

En assimilant les motifs dont s'empare l'artiste à de simples choses, Sartre commence par souligner leur absence de signification interne. La chose se définit en effet par sa présence inerte et muette, par un être-là dénué de sens, ou qui n'accède au sens qu'à la condition d'être pris en charge par une conscience, d'être intégré dans son intention. Couleur, bouquet, etc., sont évoqués comme des objets privés de toute relation avec quoi que ce soit, ce que confirme l'intérêt de l'artiste pour la pure "qualité" du son ou de la forme l'objet n'est qu'une position dans l'espace, qui ne s'articule sur rien d'extérieur à lui-même.

Or, ce qui se trouvera sur la toile achevée demeure de même nature : couleur-objet, localement disposée, inscrite en son lieu précis, mais là encore dénuée de signification par elle-même. La seule modification intervenant est la transformation de l'objet réel en objet imaginaire, mais il est clair qu'elle ne lui confère pas davantage de sens ; bien au contraire, elle prive désormais l'objet peint de tout rapport possible avec une intention. Sartre sous-entend ici ce qu'énonçait Kant : l’œuvre d'art est indépendante de nos intérêts pratiques ou immédiats. De la sorte, la cuiller ou la soucoupe sont totalement défonctionnalisées, elles ne sont même plus cuiller pour (faire fondre le sucre dans ma tasse), ou soucoupe avec (laquelle le mendiant peut faire la quête). Sans doute ne l'étaient-elles pas dès le départ pour l'artiste, puisqu'il ne les considérait que comme des choses, mais elles ne peuvent plus l'être désormais pour les autres, c'est-à-dire notamment pour les spectateurs du tableau. La cuiller peinte ne sert plus à rien, elle n'évoq

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