Hegel, Esthétique: Art et langage

Commentaire rédigé à la maison par un élève de Terminale S. Note obtenue : 14/20.

Dernière mise à jour : 15/09/2021 • Proposé par: sou92000 (élève)

Texte étudié

Le but de l'art, son besoin originel, c'est de produire aux regards une représentation, une conception née de l'esprit, de la manifester comme son oeuvre propre ; de même que, dans le langage, l'homme communique ses pensées et les fait comprendre à ses semblables. Seulement, dans le langage, le moyen de communication est un simple signe, à ce titre, quelque chose de purement extérieur à l'idée et d'arbitraire.

L'art au contraire, ne doit pas simplement se servir de signes, mais donner aux idées une existence sensible qui leur corresponde. Ainsi, d'abord, l'oeuvre d'art, offerte aux sens, doit renfermer en soi un contenu. De plus, il faut qu'elle le représente de telle sorte que l'on reconnaisse que celui-ci, aussi bien que sa forme visible n'est pas seulement un objet réel de la nature, mais un produit de la représentation et de l'activité artistique de l'esprit. L'intérêt fondamental de l'art consiste en ce que ce sont les conceptions objectives et originelles, les pensées universelles de l'esprit humain qui sont offertes à nos regards.

Hegel, Esthétique

Introduction

Soulever un paradoxe
Il est courant d'entendre dire que les œuvres d'art expriment ou bien représentent quelque chose. Telle toile ou sculpture représenterait telle scène quotidienne ou mythologique, tel morceau de musique exprimerait tel ou tel sentiment… D'ailleurs, lorsque des œuvres nous laissent perplexes, nous nous demandons : "Qu'est-ce que cela représente ?" et "Qu'est-ce que ça veut dire ?". Or, soutenir cela, c'est soutenir qu'elles nous parlent, qu'elles disent quelque chose, qu'elles ont un sens. Nous avons à l'égard des œuvres d'art une attente de signification.

La thèse de l’auteur

Hegel démontre que l’art est plus qu’un moyen d’expression des idées, il est un moyen d’exprimer une autre réalité, une réalité spirituelle.

Plan du texte

Pour ce faire, Hegel procède en trois temps :
- d’abord, il établit une analogie entre l’art et le langage. Tous les deux sont une création de l’esprit.
- puis, il nuance cette ressemblance en énonçant en quoi l’art et le langage diffère : le langage se contente de mettre des mots sur des idées, l’art leur donne une existence sensible.
- enfin, dans les dernières lignes , il définit l’œuvre d’art : c’est ce qui offre aux regards un miroir de la spiritualité de l’homme.

L’enjeu est donc la compréhension du but de l’art. Si l’art est comme le souligne Hegel une expression libre de l’intériorité humaine, comment se fait –il qu’on lui assigne parfois des limites (censure) ?

Analogie au langage

Comme l’énonce Hegel dans les premières lignes de l’extrait, l’œuvre d’art est une « conception née de l’esprit » de l’artiste. Dès lors, Hegel annonce tout de suite sa position contre la théorie de l’imitation de nature. L’art ne consiste pas à reproduire le plus fidèlement les éléments de la nature, mais l’art est un travail de l’esprit, une création de celui-ci.

C’est en cela qu’il se rapproche du langage. En effet, le langage est le fait que « l’homme communique ses pensées ». Le langage permet l’extériorisation des idées, il sert à la réalisation même de l’activité mentale, de l’émotion, de la volonté, de la perception, de l’imagination, dans la mesure où nous ne prenons conscience de nos pensées que lorsque nous mettons des mots dessus. L’art est donc comme le langage une manière de rendre accessible « à ses semblables » ses idées, de les exposer «aux regards » de l’humanité. Ainsi, en comparant l’art au langage, Hegel affirme sa grande importance : l'art comme le langage révèle le pouvoir de la conscience.

Nuance de la comparaison de l’art avec le langage

Le moyen de communication du langage humain est un « simple signe ». En effet, l’ homme a la capacité d'utiliser ce qu'on appelle des signes verbaux, parce qu'il possède la fonction symbolique, c'est-à-dire le pouvoir d'utiliser n'importe quel signifiant pour désigner n'importe quel signifié.

Ainsi, l’homme peut parler d’un arbre même si celui-ci n’est pas devant lui ou parler d’une expérience passée. Dés lors, les mots ne sont que des moyens « arbitraires » d'exprimer l'idée. Ils n'ont qu'un rapport conventionnel avec la réalité qu'ils énoncent. Le mot "pomme" par exemple désigne le fruit de la même manière que le mot "apple" en anglais. La signification des mots est donc tout sauf naturelle, elle est est fixée par les hommes de manière « arbitraire ».

Or on ne peut dire de l’art qu’il est véritablement codé puisque ce serait attribuer à chaque couleur, à chaque forme une portée symbolique et également admettre l’universalité du code c'est-à-dire que l’artiste et celui qui regarde l’œuvre connaissement le même. Ainsi, Hegel montre que l’œuvre d’art ne peut être considéré comme un langage au sens propre puisque même s’il transmet quelque chose à celui qui la regarde ou l’entend ou les deux, elle ne peut être déchiffrée comme on déchiffre un code.

L’art est du domaine du spirituel

Au contraire du langage qui se contente d’associer aux idées des mots, l'art, leur « donne une existence sensible », une existence matérielle. Cependant, Hegel ne dit pas que l’art n’utilise pas de signes, il ne nie donc pas le fait que l’art utilise des symboles mais qu’en plus des symboles, ce qui est important c’est que l’art offre aux idées la possibilité de s’exprimer d’une autre manière que les mots, directement aux sens de l’homme particulièrement l’ouie et la vue.

Par la suite, Hegel affirme la supériorité de l’art sur la nature, l’art surpasse la nature. En effet, il explique que le travail de l’artiste est de créer une œuvre dans laquelle on reconnaît « l’objet réel de la nature » c’est à dire l’objet comme on le voit mais qui ne se contente pas de soumettre au spectateur une pâle copie en une dimension de la réalité telle qu’on la voit mais un véritable produit « de l’activité artistique de l’esprit ». L’artiste doit donc dans un premier temps faire une représentation de l’objet dans son esprit puis après un travail de conceptualisation obtenir un produit matériel qui « corresponde à l’objet », qui corresponde à sa vraie nature. Par exemple si l'oeuvre représente un verre de vin, dans la réalité, nous y serions indifférents tandis que lorsqu’il est dans un tableau il devient intéressant à nos yeux du fait qu’en une seule dimension il nous procure une nouvelle impression de l’objet. D’ou l’importance de l’art puisqu’elle offre au regard de l’homme une autre réalité, une réalité spirituelle.

Mais les oeuvres d’art sont d’autant plus « fondamentales » qu’elles nous livrent non seulement une autre réalité mais une réalité « originelle », « objective », « universelle ». Par le terme « universelle » Hegel insiste sur le fait que ce n’est pas seulement l’âme de l’artiste qui se reflète dans l’œuvre mais l’esprit humain en général. On ne peut donc dire de l’œuvre comme beaucoup le pense qu’elle tente de nous exprimer ce que l’artiste veut. L’art dégage, en fait, la vérité profonde des apparences sensibles et l'exprime. De ce fait, on peut dire que l’art essaie de répondre aux questions métaphysiques de l’homme. Il cherche la vérité au delà du sensible puis donne de ces idées universelles une représentation sensible qui nous les rend accessibles.. L’art est intelligible.

Discussion critique

Hegel affirme donc que bien plus que d’être un simple code à déchiffrer l’art est une ouverture sur une autre réalité, il nous dévoile la vérité au-delà des apparences et cela par un travail de l’esprit.

Ainsi, dans Le Rire, Bergson réaffirme comme Hegel l’importance de l’art : étant donné que « l’individualité des choses et des êtres nous échappe toutes les fois qu’il ne nous est pas matériellement utile de l’apercevoir », l’art est essentiel puisque son but est « d’écarter les symboles pratiquement utiles, les généralités conventionnellement et socialement acceptées, tout ce qui nous masque la réalité, pour nous mettre face à face avec la réalité même ». Ainsi, par exemple le tableau La mauvaise femme de Goya nous met face à une idée terrible à la limite de la peur et du dégoût : une femme qui s’apprête à dévorer un bébé. Ce tableau force le spectateur à se mettre devant une autre réalité loin des conventions et des idées toutes faites..

Cependant, il convient de préciser que Hegel avait déclaré que l’art est une chose du passé, que sa mission métaphysique est terminée. En effet, si, comme nous l’avons vu, l’art est pour lui la manifestation sensible des « idées universelles de l’esprit humain », il ne l’a en fait selon lui accompli qu’une fois, en ce point culminant qu’est l’art grec. Après lui, la religion, puis la philosophie, ont pris le relais, et réussi à exprimer d’une manière de plus en plus adéquate « les idées universelles ». Finalement pour Hegel, le défaut de l’art est toujours, malgré tout ce que nous avons pu en dire, d’être prisonnier du matériau sensible ; la philosophie est le moyen le plus adéquat pour exprimer le spirituel, la pensée clairement exprimée ; l’art est quant à lui toujours enlisé dans le sensible...

Pourtant, on ne peut pas dire que l’art contemporain ne soit sans aucun contenu. Bien au contraire, Kandisky nous dit, dans Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, que l’artiste est le seul à voir la vérité (on pensera ici à l’heureux élu qui, chassé de la caverne platonicienne, peut enfin contempler la lumière éblouissante symbole de la connaissance suprême), et est le seul à pouvoir la dévoiler à ceux qui ne la connaissent pas. En effet, l’art abstrait est un art pur, il ne travaille pas à dépeindre la nature, mais il se sert de la couleur et de la forme pure pour parler à notre âme même. L’art et en particulier l’art abstrait, est le langage de l’âme, et il est le seul à pouvoir l’être.

Conclusion

Hegel démontre l’importance de l’art qui comme le langage nous permet extérioriser nos idées mais qui de plus, nous donne accès à la vérité des apparences. L’oeuvre d’art n’est donc pas, une trompeuse apparence, qui se contente de reproduire les illusions de la perception sans aller au-delà, mais au contraire, l’œuvre d’art est un moyen sensible d’évoquer quelque chose au-delà du sensible.

Au même titre, les oeuvres d’art contemporaines nous font dépasser les limites que nous imposent notre connaissance quotidienne du monde. Et ce n’est pas parce qu’elles se servent de moyens tellement concrets que parfois, on à peine à les différencier des choses ordinaires, qu’elles ne le peuvent pas. Nous comprenons donc par-là pourquoi notre rapport à l’art est un rapport particulier : nous considérons les oeuvres d’art comme des choses à part, nous leur donnons de la valeur.