Dans son introduction à L’essence du Christianisme publié en 1841, Feuerbach se questionne sur « la différence essentielle entre l’homme et l’animal ». Selon lui, la différence fondamentale réside en le fait que l’homme ait conscience de son propre genre, de sa propre essence. Pour le justifier, il rappelle ce qu’il entend par conscience au sens large, partagée avec l’animal, car il peut en effet percevoir les choses extérieures à l’aide de ses sens, mais nous montre par la suite que cela ne suffit pas pour parler de conscience –au sens- strict dont ne peut être pourvu seul un être ayant pour objet son propre genre. Il nous explique enfin que cette faculté lui permet de s’entretenir avec lui même mais aussi de concevoir et penser à la place d’un autre individu partageant la même essence.
Feuerbach, pour répondre à la question de la différence essentielle entre l’homme et l’animal part d’une réponse partagée et connue par beaucoup d’entre nous comme le montre le mot « populaire » qu’il juge cependant trop vague. L’auteur nous montre sa volonté de préciser la notion de conscience, de l’approfondir : il va donc distinguer conscience au sens large et conscience au sens strict. Il explique ainsi ce qu’il entend par conscience au sens large, partagée avec l’animal. On retrouve abondamment les mots de la même famille que « sens » tels que « sentiment » ou « sensibles » à deux reprises. Le mot sens est par définition la faculté d’éprouver des sensations d’un certain ordre, sensitives (visuelles, auditives, olfactives, gustatives…) on pense aux « cinq sens ».
Selon Feuerbach, l’animal est capable de percevoir grâce à l’utilisation de ses sens.
L’animal a un rapport sensitif au monde, aux choses qui l’entourent, il perçois : « distinguer des objets sensibles ». L’animal possède le « sentiment de soi » c'est-à-dire qu’il a conscience qu’il existe, il se sent on peut dire qu’il a conscience de soi mais uniquement dans le sens ou il est conscient de ses actes, de son corps, de sa présence. Il réagit à ses instincts en fonction de ce qu’il sent et donc perçois mais ne réfléchit pas à ses actions. Il a la capacité de décrire les choses qu’il perçoit dans leur individualité (encore faut il pour décrire voir les choses dans leur généralité car il faut les nommer).
Par exemple, lorsque Feuerbach parles de « caractères sensibles déterminés », il parle des caractères variables c'est-à-dire qui changent en fonction de l’individu, de la personnalité. Un animal perçoit les choses qui l’entourent mais il ne les définit pas comme appartenant à telle ou telle espèce. Il ne voit les choses que dans leur individualité, n’établit pas de lien entre les points communs d’éléments semblables. (+exemple)
C’est précisément pourquoi l’auteur ne parle que d’une conscience limitée, au « sens large » pour l’animal.
« Là où il y a conscience, il y a capacité de science. La science est la conscience des genres ». Voilà ce que Feuerbach entend par conscience au sens strict. Un être doté d’une conscience en ce sens est un être capable de voir les choses non plus seulement dans leur individualité mais aussi dans le généralité (issue de la notion de « genre ») et dans leur essence : c'est-à-dire non pas tout ce qu’elles sont (ce qui englobe les caractères variables que perçoit l’animal) mais ce qu’elle ne peuvent pas être.
Ainsi, L’homme a la capacité de science car il est doté d’une conscience ; il est capable de voir les choses dans leur essence, leur genre c'est-à-dire de les concevoir.
L’homme a la faculté innée de classer toutes les impressions de ses sens en différents groupes et catégories. Ainsi nous regroupons les choses que nous percevons en fonction de leurs points communs, l’homme ne se contente pas de les identifier ou de les décrire mais aussi de les définir ou de les regrouper. Cela se voit principalement et se par le fait que l’être humain est capable de nommer les choses, de leur donner un nom en fonction de leurs caractéristiques communes. (+exemple : c’est pourquoi L’homme est doté d’une conscience, il conçoit à partir de ses sens, classifie les objets selon leurs caractères essentiels c'est-à-dire relatifs à l’essence, au genre).
Or si l’homme est conscient des multiples genres extérieurs à lui, il est également et tout d’abord conscient de son propre genre, de sa propre essence. D’où la différence essentielle entre l’homme et l’animal car contrairement à ce dernier qui ne possède que le sentiment de soi, l’homme a « pour objet son propre genre » il peut se penser en tant qu’homme et non plus seulement se sentir. L’homme peut dire « je » car il est pleinement conscient de ce qu’il est et ne subit pas uniquement la sensation d’exister en tant qu’individu. En ayant conscience de son genre l’homme peut se définir en un individu, un « moi » appartenant à une espèce, l’être humain. C’est pourquoi Feuerbach parle de « vie double » pour l’être humain car celui-ci pouvant concevoir son essence n’a pas besoin du monde extérieur pour penser les autres et se penser lui-même. Il peut fermer les yeux et se couper du monde sensitif, il accomplit pour autant ce que l’auteur nomme une « fonction générique » : penser, raisonner, réfléchir. C’est pourquoi l’homme peut se mettre à la place d’un autre homme, évaluer les situations d’un regard extérieur ou plutôt d’un regard à l’intérieur de l’autre à travers lui-même. C’est sans nul doute cette capacité de classer, de conceptualiser, de concevoir qui lui a permis d’atteindre le niveau de connaissances et de science qu’il a aujourd’hui.
Ainsi, Feuerbach distingue une première conscience au sens large –conscience de base qui est commune avec l’animal. Elle permet d’avoir un rapport sensitif au monde c'est-à-dire de posséder le « sentiment de soi » et de percevoir grâce à ses sens mais ne permet que de voir les choses dans leur individualité. Feuerbach nous montre alors que seul l’homme est pourvu d’une conscience au sens strict car il a la faculté non seulement de percevoir mais aussi de concevoir, l’homme a la faculté de classer toutes les impressions de ses sens en fonction de leur genre, leur essence et non plus seulement de leur individualité. C’est pourquoi il est capable d’établir un « moi » et un « tu », de se penser dans son essence mais aussi de voir plus loin, de raisonner avec d’autres hommes, de les comprendre en tant qu’homme sans forcément percevoir. (+ouverture)