Dès le IVème siècle avant Jésus-Christ, les sages grecs, qu’ils soient épicuriens ou stoïciens, dans l’idéal philosophique d’engendrer une société parfaite donc lucide, entendaient articuler la conduite de l’homme sur la maîtrise de la pensée. Un projet conséquent mettant en jeu toute une conception (idyllique) de l’homme. En effet, cela supposait que chacun avait la possibilité de régler lui-même ses pensées et d’en répondre. « Penser, voilà le triomphe vrai de l’âme » écrivait Victor Hugo, cette même âme, que Platon entendait comme ce qui, en nous, s’affirme comme pouvoir de réflexion et de conscience distanciée. En ce cas, la grandeur de l’homme a-t-elle été, est-elle encore confirmée par une parfaite autonomie de la pensée ? Cependant, on pourrait se demander si la multiplicité et la ténacité des illusions, des préjugés, des « superstitions » pour citer Kant, des préceptes historiques, religieux, idéologiques, culturels installés en nous par expérience comme en dehors de nous, ne compromettent-ils pas d’avance ce bonheur illusoire d’une indépendance totale de la pensée. Pouvons-nous réellement déterminer librement nos pensées ? Ayant conscience que l’être humain est, par nature, influençable, comment concevoir alors des possibilités de libération de l’esprit, d’affranchissement de cette emprise extérieure, de l’opinion d’autrui ? La volonté suffit-elle à nous rendre majeurs par la pensée, peut-on « penser par soi-même » ?
I. Existe-il une pensée autonome, indépendante d’autrui ?
1. Qu’est-ce que, par définition, le fait de penser ?
« Par la pensée nous prenons conscience de l'être, mais inversement il faut déjà exister pour penser », Jankél. Tout être vivant de par son existence est amené à penser, c’est le « cogito ergo sum » de Descartes, le « j’existe parce que je pense » de Sartre, mais en renversé. « Penser, voilà le triomphe vrai de l’âme » écrivait Victor Hugo, penser, voilà le triomphe vrai de l’Homme, pourrait-on dire. Contrairement aux animaux, pour qui l’on peut douter de la faculté de penser, de mettre en œuvre leur conscience, l’homme est de naissance apte à réfléchir ou tout du moins, d’agir en sorte. Mais qu’est-ce, par définition que le fait de penser ? Les traces écrites laissées à ce sujet témoignent d’une concordance de points de vue. Pour Destuit de Tr, par exemple la faculté de penser se résumerait toute entière par le terme « sentir », « sentir des sensations, sentir des souvenirs, sentir des rapports, et sentir des désirs ». Quand à Condillac, pour lui, « Le mot pensée [...] comprend dans son acception toutes les facultés de l'entendement et toutes celles de la volonté. Car penser, c'est sentir, donner son attention, comparer, juger, réfléchir, imaginer, raisonner, désirer, avoir des passions, espérer, craindre ». En demeure que l’essence même de la pensée serait la réflexion, la mise en œuvre de la conscience, une formation, une organisation d’idées par l’application mentale.
De ces éclaircissements sur ce qu’est réellement le fait de penser, peut surgir une question anhistorique, à savoir, existe-il une pensée autonome, indépendante d’autrui ? Ce thème de la pensée par soi-même peut prendre sens dans différents domaines concrets.
2. Deux genres de pensées : où l’homme peut-il penser seul ?
a) Une pensée spontanée
Il existe une pensée spontanée qui, paradoxalement parait presque irréfléchie. Prenons l’exemple du plus vierge de tous les hommes : un nouveau-né. L’enfant qui mettra sa main sous de l’eau bouillante la retirera aussitôt sans que l’on ait eu besoin de le lui demander. Non sans pouvoir affirmer que dans son cerveau se soit déroulé un circuit de réflexions poussées, il n’en reste du moins pas de doute, qu’en raison de son existence, de son caractère d’être humain, la douleur l’aura indubitablement rendu autonome par la pensée. De même, pour l’enfant qui, ne maîtrisant pas encore ses petites jambes tombera et pleurera immanquablement. Le cas de l’enfant est le plus concret pour symboliser l’existence d’une pensée innée, pensée qui ne nécessite donc pas l’intrusion d’une tierce personne. Les sensations, comme mécanisme cérébral serait donc le domaine premier de l’exercice de la pensée par soi-même.
b) Une « pensée réfléchie »
Comme pour tout concept, il n’existe pas un unique degré de pensée. Précédemment a été vu la pensée spontanée, on pourrait aussi distinguer une « pensée réfléchie », même si cette appellation semble être un pléonasme. Cette « pensée réfléchie » serait le degré le plus élevé puisqu’elle quitterait le domaine des sensations, de l’instinctif. L’animal ressent, et agit seulement par instinct. L’homme n’est pas un animal, il possède un équipement psychique. L’évolution de la lignée humaine prouve que l’homme actuel est constitué de sorte à user de toutes ses facultés, qu’elles soient corporelles ou psychologiques. L’homme est-il réellement capable d’entretenir seul cet équipement psychique ?
On a coutume de se représenter le poète au sommet de « sa tour d’ivoire », inaccessible et plongé dans une solitude inébranlable. Nécessitant un grand calme, il doit se protéger de toute intrusion du monde extérieur, à l’endroit où il se trouve, certes, mais avant tout dans son esprit. On travaillera toujours mieux dans un bureau que sur un quai de gare. D’autres fois, on retrouvera ce poète solitaire devant un paysage, lui seul et la nature en parfaite osmose. En est-il pour autant privé d’inspiration ? Ne peut-il s’appliquer mentalement, réfléchir, parce qu’il est seul ? Non, assurément, s’il cherche la solitude c’est qu’il y trouve une récompense en contrepartie. Un esprit reposé et au calme est réfléchi. Le poète peut donc penser par lui-même, son travail, personnel, n’en n’a que plus de succès. « Penser est une affaire intime. » écrivait à juste titre Marie Desplechin. Mais dire que seul le poète est capable de penser par lui-même serait fort réducteur pour le reste de l’humanité, en effet malgré l’expression « l’amour rend l’homme poète », tout être vivant n’est malheureusement pas amoureux ou poète…
Le philosophe, tel qu’il nous l’est décrit dans l’Aufklärung, est tout d’abord un homme seul lui aussi. Seul car héroïque, il veut révolutionner son temps et « marche à contre-courant » comme nous le dirions aujourd’hui. A ce sujet, Kant s’est exprimé très justement en ces termes « Penserions-nous beaucoup et penserions-nous bien si nous ne pensions pas pour ainsi dire avec d'autres. ». Certes, penser seul mais ne pas limiter son esprit, avoir la pensée ouverte pour communiquer avec d’autres. Sans former un précepte trop directif, il ne serait pas irréfléchi de dire que dans l’idéal, l’homme devrait penser par lui-même mais aussi pour son temps (et non en accord avec son temps qui serait un frein au progrès). Cela peut sembler paradoxal à première vue, mais penser pour son temps ne signifie pas penser pour les autres. En ce cas, l’amélioration de la société devenant le principal facteur, la philosophie, amour de la sagesse, et l’ouverture de l’esprit apparaîtraient comme une libération.
De même que pour la littérature, une peinture, une composition musicale est bien souvent réalisée à l’écart du monde. Pour étayer ces quelques dires, nous pouvons aisément citer Baudelaire qui décrit l’artiste comme « un être solitaire, un albatros, exilé dans le monde au milieu des huées ». Un homme seul, encore.
Similitude retrouvée pour les savants et bien d’autres encore. L’homme « ordinaire » n’est pas cité directement ici mais nous admettrons bien volontiers que tout homme a ses valeurs et qu’ils auraient leur place dans ce petit coin penseur. De ces quelques exemples, nous pouvons en déduire que dans tous les domaines, qu’ils soient littéraires, artistiques, scientifiques ou autre, chacun d’entre nous est apte à penser par lui-même.
Il semblerait donc bien que nous soyons aptes à penser par nous-mêmes, ce qui prouverait l’existence d’une pensée autonome, indépendante des autres. Cependant certaines réalités tendent à démentir vivement cette affirmation. Pouvons-nous réellement déterminer librement nos pensées ? Quelle est l’influence des préceptes inculqués ou acquis par expérience sur notre pensée propre ?
II. Pouvons-nous déterminer librement nos pensées ? Quelle est l’influence des préceptes inculqués ou acquis par expérience sur notre pensée propre ?
Notre pensée, bien qu’elle possède les capacités propres à son autonomie, est aussi très influençable, et cela les médias l’ont parfaitement compris, comme le dirait Michael Moore, « il suffit que l’on passe quelque chose à la télé pour que les gens croient que c’est vrai. ». Mais la base de toute emprise extérieure sur notre esprit passe indubitablement et avant tout par des préceptes inculqués dès notre enfance, que ce soit dans le domaine éducatif, religieux, ou moral.
1. L’influence des préceptes inculqués
Selon des critères choisis toute « formation » d’un homme, bon citoyen, bon religieux… prend ses sources dans une bonne éducation. Mais qu’est-ce exactement que l’éducation ? Le dictionnaire définit ce substantif comme étant « la façon d’assurer la formation et le développement d’un être humain ; les moyens pour y parvenir. ». La domination intellectuelle ou morale, exercée par une personne sur une autre y est fortement explicite. Celle pensant détenir le savoir inculquera alors à l’autre ses croyances, ses opinions préconçues. Quelle est l’influence des préceptes inculqués sur notre pensée propre ?
a) Domaine de l’éducation
« J’ai remarqué, il y a déjà quelques années, combien sont nombreuses les choses fausses que dès mon plus jeune âge j’ai admises pour vraies et combien sont douteuses toutes celles que j’ai édifiées sur elles. » s’est exclamé Descartes juste avant de chercher à « renverser » tout ses « préjugés de l’enfance ». Phrase particulièrement définitoire de l’influence de l’éducation sur notre pensée. En effet, reprenons le cas de l’enfant. Si on lui apprend que six que multiplie quatre font vingt, il tiendra cette affirmation pour vraie, édifiera sur cette méprise que six multiplie cinq font vingt-six car n’ayant pas encore de sens critique et son âge ne lui permettant pas de porter un jugement sur la véracité de ces quelques dires. La faculté de penser par soi-même découlerait donc d’une faculté à exercer son esprit critique. Cet exemple démontre le crédit d’autrui sur l’innocence d’un enfant mais n’exclut pas pour autant que l’adulte soit tout aussi influençable.
Cependant pour entretenir l’idée du cas d’un enfant, nous pourrons noter un fait assez paradoxal. Si l’enfant est amené à être apte à penser ce n’est pas, évidemment, en toute autonomie, non, c’est parce que sa mère lui parle. Ainsi l’influence d’un tiers ne présente pas seulement une limite à la pensée.
b ) Domaine de la religion
L’éducation passe aussi, dans les familles croyantes, par la religion. Un enfant né dans une famille chrétienne se verra baptisé quelques mois après sa naissance sans avoir eu l’opportunité d’affirmer une foi quelconque. Cette religion lui ayant été imposée, il se dira « chrétien » non sans savoir réellement pourquoi, ses parents l’ayant décidé pour lui. Ensuite, il ira au catéchisme, où on l’apprendra à distinguer la présence de Dieu en ce monde, et persévèrera dans cette idée. On ne proteste que rarement sur une notion inculquée dès son plus bas âge, les préceptes acquis dans notre enfance sont maintenus et entretenus comme vrais jusqu’à l’obtention d’une faculté qui les jugera.
2. L’influence des préceptes acquis par expérience
Le pouvoir des préceptes inculqués sur la personnalité n’est plus à prouver, même si certains tels Saussure déclarent qu’ « il n’y a pas d’idées préétablies ». Cependant, ces principes ne s’acquièrent pas seulement par l’éducation. La pensée est transitive, elle est conscience de quelque chose. En partant de la théorie de Locke selon laquelle toute conscience ne serait au départ qu’un « tableau blanc », il faut bien admettre que seul un ensemble d’acquisitions de l’esprit résultant de l’exercice des facultés au contact de la vie et de la réalité pourrait aboutir à l’existence de l’homme : « je suis, je pense, j’existe ». Cet ensemble d’acquisitions est bien évidemment l’expérience et son ascendant sur la pensée n’est ici pas négligeable. L’appartenance à un milieu entraîne souvent une hétéronomie de la raison, une passivité de l’esprit qui tend à nous faire adhérer aux idées de la majorité. Quelle est l’influence de ces préceptes acquis par expérience sur notre pensée ?
a) Domaine historique : une nécessité, l’efficacité
L’influence d’autrui sur la pensée des hommes a largement et tristement été illustrée par l’histoire. Le désir de changement, le besoin d’efficacité a coutume d’inciter les hommes à accepter de devenir des moutons de Panurge. La plus grande des emprises du XXème siècle est indubitablement décrite en un unique terme, le « Führer », le guide. Hitler. Maître de l’endiguement de l’opinion personnelle de ses contemporains il brillait par l’aveuglement qu’il engendrait. Se présentant comme un sauveur pour l’Allemagne, comme celui qui changerait la vie des citoyens allemands, par l’obligation, la contrainte et la persécution il métamorphosa les hommes en bêtes. Pour citer Robert Merle, dans sa préface de La mort est mon métier, il est écrit « Il y eu sous le Nazisme des centaines de milliers de Rudolf Lunq, moraux à l’intérieur de l’immoralité […]. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté mais au nom de l’impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l’ordre… Bref, en homme de devoir : et c’est en cela justement qu’il est monstrueux. ». Celui qui souhaitait vivre dans une situation confortable n’avait qu’à se conformer à la règle, suivre le mouvement nazi, se laisser porter. Comment, en ces conditions, chercher à avoir des opinions divergeant du régime instauré ? Ionesco s’est exprimé en ces mots : « Penser contre son temps c'est de l'héroïsme. Mais le dire, c'est de la folie. ». Plus que de la folie, cela aurait été du suicide. Quel but poursuivons-nous réellement lorsque nous agissons ainsi, en êtres soumis, privés de tout rationalisme ? La question n’est pas de savoir si cela est bien ou mal penser, d’avoir des opinions conformes ou non à celles du moment, mais d’avoir « le courage de se servir de son propre entendement » pour citer Kant. Il est regrettable de constater que cette situation est anhistorique, nous pourrions aussi citer ici à titre d’exemples Napoléon III, Staline et bien d’autres. L’indépendance de la pensée est loin d’être parfaite…
3. Sommes-nous, par essence conformistes ?
Bilan de soumission psychologique inquiétant… Dans la tentative de justification propre à tout homme, une interrogation pourrait être formulée : Sommes-nous, par essence conformistes ? Si c’était le cas, toutes les erreurs du passé pourraient paraître comme ayant été inévitables et donc le niveau de culpabilité en serait réduit. En réponse à cette question, il est inévitable de se référer à un film de Peter Weir, Le cercle des poètes disparus. Monsieur Keating, professeur de Littérature, dans le cadre de l’un de ses cours incitent trois élèves à faire le tour d’une cour en marchant. Au départ, chacun sa cadence, puis peu à peu, presque insensiblement, ils se mirent à marcher dans le pas l’un de l’autre, et leurs semelles finirent par battre en mesure le pavé de la cour… L’ingénieux professeur conclut ensuite que « cette expérience fort instructive avait pour but d’illustrer la force du conformisme et la difficulté de défendre ses convictions face aux autres. ». Ainsi sont dépeints les dangers de ne pas « trouver sa propre cadence », donc de ne pas avoir conscience de notre individualité : « Si on pense tous la même chose, c'est qu'on ne pense plus rien. »,François Bayrou.
4. Mais… la bonne influence au niveau moral
Cependant ce serait être d’une bien mauvaise volonté que de se plaindre incessamment d’une société qui influe trop sur notre esprit ! Certes, cela est vrai, mais la base de la liberté de tout Homme, selon la déclaration universelle des droits de l'homme,n’est-elle pas « Ma liberté s’arrête là où commence celle des autres » ? Si la société ne nous inculquait pas des fondements moraux, ne nous imposait pas son mode de fonctionnement donc par extension son mode de penser, ne vivrait-on pas dans un monde où chacun ferait sa propre loi « œil pour œil, dent pour dent », tuant, volant, pour de l’argent ? Sans ces règles de civilisation, nous retournerions à l’état animal, agissant par instinct, sans véritable conscience de nos actes. Comment peut-on faire un procès en responsabilité à un animal ? En résumé tout être humain a donc aussi besoin de règles, même si cela est parfois considéré comme un embrigadement de sa pensée.
Vraisemblablement, l’homme éprouverait des difficultés à penser par lui-même tant le fait d’être guidé par les autres est confortable, quitte à être aveuglé et effectuer une véritable hétéronomie de sa raison. L’homme se laisse porter, il n’a pas « l’héroïsme et la folie » de penser contre l’opinion, contre son temps, ou penser « lui » tout simplement. Comment, en ces conditions concevoir alors des possibilités de libération de l’esprit, d’affranchissement de l’opinion d’autrui ?
III. Comment concevoir alors des possibilités de libération de l’esprit, d’affranchissement de l’opinion d’autrui ?
Doris Lessing a formé un ingénieux conseil « Pensez faux, s'il vous plaît, mais surtout pensez par vous-même. » . Facilité théorique, mais des difficultés pratiques à considérer ce conseil évidentes. Pourtant, de nombreux écrits littéraires tendent à nous aider à concevoir, malgré les influences proéminentes visant notre entendement, des possibilités de libération de l’esprit, et de l’affranchissement de l’opinion d’autrui. Quelles sont-elles ?
1. Effort de volonté : ne pas être les autres
Cousin a écrit, « Il est évident que si nous devons nous pouvons ». Ne lui reprochons pas son optimisme. Pour être réellement soi, nous devons donc devenir « majeurs par la pensée ». Comment, alors que l’autre exerce un véritable étau sur notre entendement, pouvons-nous y parvenir ? Cousin semble considérer que le fait de pouvoir suppose la notion de volonté. Donc penser par soi-même c’est manifester sa détermination pour avoir une identité propre à soi. Il suffirait donc de le souhaiter pour l’obtenir. Cela impliquerait un désir de distanciation vis-à-vis d’autrui, désir de se démarquer, de se distinguer. Avoir des opinions divergentes, ce qui ne signifie contradictoires, afin de ne pas être les autres. En ce cas, probablement, nous penserions par nous-mêmes, mais l’entreprise est risquée : dans notre désir de faire différent, d’être différent, ne nous en oublierions pas, nous ?
2. L’introspection
Degré moins radical, référons-nous à Socrate, et son célèbre « Pensée : dialogue intérieur de l’âme avec elle-même. ». Définition supposant que la pensée personnelle est un véritable travail de dialectique. Socrate invitait en ces termes chacun à une observation, une analyse de ses sentiments et de ses motivations, par lui-même : une introspection. Travail que les autobiographes ont maintes fois réalisé, ainsi transparaissait leurs pensées propres sans demi-mesure, ils étaient fidèles à eux-mêmes, ils pensaient par eux-mêmes. Chacun d’entre nous est capable d’effectuer cette analyse, ne serait-ce que par crainte de renouveler les erreurs du passé. Là encore nous pouvons penser par nous-mêmes.
3. La nécessité du langage pour exprimer sa pensée
Le thème de la pensée a coutume d’être assemblé à celui du langage. « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire, arrivent aisément ». Boileau. Pourquoi se fondre dans l’opinion alors que nous possédons tous les instruments pour exprimer la sienne ? Le langage semblerait être un caractère indispensable à la pensée. Parler avec d’autres, partager nos opinions, mais ne jamais en perdre sa personnalité. Ne pas être introverti, tourné seulement vers son moi, son monde intérieur, sans possibilité d’entrée. L’homme pour exister nécessite la présence d’autrui, il a besoin de s’y confronter pour trouver dans leurs propos des éléments contredisant ses opinions et pour cela, il doit communiquer.
Nous achèverons ce questionnement par ces quelques mots de Jean Guitton, certes d’un langage bien familier, mais qui incite à réfléchir avant de s’engager dans la majorité : « Être dans le vent, c’est avoir le destin des feuilles mortes. »
En conclusion, malgré l’aptitude que possède la pensée de pouvoir penser par elle-même, elle n’a en réalité pas l’autonomie qu’on lui attribuerait à prime abord. L’influence des préceptes inculqués que ce soit au niveau de l’éducation, de la religion, de la morale, des principes acquis par expérience ou par besoin de changement, d’efficacité font de la pensée un esprit soumis, une hétéronomie de sa raison. Cependant, penser par soi-même reste ambigu, et l’on pourrait s’interroger si cela n’engendrerait pas un culte de l’individualité: Penser par soi-même, est-ce penser contre les autres, contre son temps ?