Autrui est-il une condition ou un obstacle à ma liberté ?

Dissertation entièrement rédigée qui a obtenue 15/20.

Dernière mise à jour : 10/02/2022 • Proposé par: zaaazaaa (élève)

"Je suis libre de faire ce qu'il me plaît". La liberté est souvent définie comme l'absence de contraintes. On peut faire ce que l'on veut si on détient la liberté. Mais pour qu'un homme soit libre, il faut non seulement qu'il puisse matériellement, mais encore qu'il le veuille : l'homme peut toujours interdire à lui-même de faire ce qu'il peut faire. La liberté caractérise alors l'homme en tant qu'être responsable. Ce dernier vit en société, il est donc entouré de ses semblables (autrui) qui peuvent être présentés comme une certaine forme d'obstacle, puisqu'il empêche indirectement de faire tout ce que l'homme voudrait.

Il semble alors légitime de s'interroger sur la véritable valeur d'autrui quant à sa relation avec la liberté. Limite-t-il ma liberté ou au contraire est-il une condition nécessaire pour être libre ? Nous verrons dans un premier temps que autrui limite ma liberté, voire qu'il l'interdit pour ensuite constater qu’autrui est indispensable pour la vie en société .

I. Autrui m'empêche d'être libre

S'interroger sur la valeur qu'autrui tient dans notre liberté, c'est d'abord s'interroger sur notre liberté en général. La liberté, c'est-à-dire de faire ou ne pas faire quelque chose, ne se traduit pas la volonté de choisir donc une volonté libre qui permet ainsi le libre arbitre.

Le fait d'être entouré d'autrui n'est pas choisi; en effet il n'y a pas un moment ou autrui est absent de ma vie, il fait partie de mon quotidien je le rencontre tout au long de ma journée. Autrui me permet beaucoup de choses, car je vis en relation avec lui, mais on peut remarquer que la vision de cet autre me gêne parfois. En effet autrui est un autre que moi, il occupe une place que je ne peux pas prendre. La liberté définie par le libre arbitre permet de démontrer que l'on n’est pas libre de tout faire comme se mettre à la place d'autrui par exemple. Autrui limite ainsi, même si ce n'est pas direct, ma liberté. Si l'on prend en compte la vie de tous les jours, on peut constater qu'autrui entrave même ma liberté, car l'homme est doté de vices tels que le mensonge, la jalousie, le mal... Des vices qui nous font souffrir, car l'homme est doté de sentiments et si autrui me fait du mal cela veut dire que la raison ne peut plus être maîtrisée donc souffrir de ce qu’autrui nous fait subir limite alors notre liberté . Autrui fait donc part entière de mon existence, il implique à se contraindre à des lois morales et politiques qui le touche au plus près, car s'il existe des lois c'est pour protéger autrui. En effet la loi me dit de ne pas tuer, car cela porte atteinte à autrui.

Selon Aristote, plus la connaissance de soi est grande, plus la liberté est élevée. Or, pour Descartes, la découverte du cogito aboutit à une unique certitude: l'homme pense. Pour ce philosophe tout se passe dans la solitude du moi: je suis seul dans ma tête et ne puis entrer dans la conscience d'autrui. Dans ce sens, il faut hors de cela autrui pour atteindre la connaissance de soi. Il semble donc qu'autrui empêche ma liberté, puisqu'il m'empêche d'atteindre la connaissance de moi-même. Pascal également disait qu' "on n'aime jamais personne, on n'aime que des qualités". Autrui est donc inutile, et en me leurrant sur sa véritable personne, empêche la liberté de ma raison. À quoi sert autrui, si le véritable amour n'est pas celui que l'on croit, c'est-à-dire envers la personne aimée, mais envers de simples qualités ? Roméo n'aimerait alors point Juliette, mais aimerait sa simple beauté.

Autrui semble donc limiter totalement ma liberté. Il s'agit d'éviter sa présence le plus possible; "on ne peut être vraiment soi qu'aussi longtemps qu'on est seul; qui n'aime donc pas la solitude n'aime pas la liberté, car on n'est libre qu'en étant seul", disait Schopenhauer. Toutefois, définir la liberté comme absence de contrainte, c'est en donner une définition factuelle, c'est-à-dire une liberté qui se réfère à l'action, à l'expérience. Cette liberté ne peut donc pas être totale dès lors que nous vivons en société.

II. Autrui m'est indispensable dans la vie en société

Kant met en évidence la tendance contradictoire de l'homme qui cherche à la fois à s'associer à d'autres hommes pour être plus fort, mais aussi à s'isoler pour rechercher son propre intérêt. Cette dernière le pousse à résister à autrui pour s'imposer. Ces forces contradictoires le mènent peu à peu vers la culture. Kant explique alors que l'homme ne peut ni se passer d'autrui ni vivre harmonieusement avec autrui. Autrui est un moyen paradoxal de civilisation: il sert les desseins de la nature à travers nous. Autrui est donc à la fois une limite et une condition à ma liberté, puisque c’est par lui que je pourrais intégrer la société, même si cela doit se traduire par des conflits perpétuels. Car la vie en société n’est pas simple, il faut vivre tout ensemble alors que nous sommes tous différents.

La dialectique du maître et de l'esclave, dans laquelle Hegel révèle une interprétation d'autrui comme dilemme entre maîtrise et servitude, mais avec un dépassement de cette opposition vers une reconnaissance réciproque. La reconnaissance elle s'effectue sur le mode de la lutte; car chaque conscience va chercher à s'imposer en niant celle de l'autre. Le vaincu entre alors au service du vainqueur, et lui obéira. Autrui est donc indispensable à ma liberté, puisque c'est par lui que je vais pouvoir atteindre ma liberté d'indépendance. C'est pourquoi Hegel peut dire "pour se faire valoir et être reconnu comme libre, il faut que la conscience de soi se représente pour une autre comme libérée de la réalité naturelle".

Si la lutte est un moyen pour atteindre ma liberté, celle-ci peut également passer par une collaboration avec autrui. Platon souligne que la vie en commun facilite l'existence. C'est le partage du travail qui permet à la société de mieux réussir. Comme l'a souligné Aristote, l'homme est un "animal politique", et il ne peut pas survivre sans société. C'est la théorie de Hobbes, pour lequel la vie en société serait indispensable: en son absence, les hommes passeraient leur temps à s’entre-tuer. Il convient donc à l'homme de s'allier avec autrui pour une plus grande liberté. L'individu isolé se heurte à de graves difficultés: outre qu'il doit produire lui-même ce qui est nécessaire, il lui faut affronter seul les dangers qu'il rencontrera. L'entrée en société, l'alliance à autrui garantit ainsi la sécurité, qui est par définition une notion de la liberté.

La relation avec autrui, même si elle est emprise de violence et de politique, semble être donc une condition nécessaire à la liberté de l'homme. Il semble pourtant réducteur de ne considérer la relation entre moi et autrui que par les formes de la violence et du pouvoir. N'y a-t-il pas d'autres moyens plus humains pour qu'autrui et moi atteignons cette liberté ?

III. Autrui me permet d'accéder à mon humanité

Les philosophes des Lumières (Diderot, Rousseau, Kant...) ont montré que la liberté est un bien inaliénable (qu'on ne peut ni ne doit jamais céder à personne), un bien auquel on ne peut renoncer sans, du même coup, renoncer à sa qualité, à sa dignité d'homme (Rousseau, Du Contrat Social). Mais la liberté n'est jamais donnée d'avance; elle est à conquérir: contre la nature, contre les systèmes, les coutumes, les préjugés, contre soi-même aussi. La liberté n'est jamais un acquis, mais une libération sans cesse recherchée. Or, il n'est pas toujours facile de savoir comment s'y prendre pour se défaire des chaînes. Ainsi, aider autrui à atteindre sa liberté, c'est en quelque sorte m'aider à l'atteindre moi-même.

Être reconnu par les autres, c'est aussi affirmer que l'on appartient à l'humanité. Être humain ne s'effectue d'abord que dans la réciprocité, dans l'échange. Dans ces conditions, la reconnaissance implique la réciprocité. Le face à face, selon Levinas, est alors une épreuve, mais une épreuve nécessaire, car c'est au fond de notre solitude qu'on est amenés à reconnaître dans le visage de l'autre, et dans son regard, la présence de la loi morale, ce par quoi commence l'existence authentiquement humaine, par ou elle marque sa différence vis-à-vis de l'animalité. Refuser de fréquenter autrui, c'est alors perdre la liberté, ce "bien inaliénable". Or, selon Rousseau, "renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme". Refuser de vivre en société s'apparente ainsi à un simple refus de cette liberté. Car comme l'a montré Rousseau dans son Contrat social, l'homme de la nature ( c'est-à-dire celui qui ne vit pas en société et donc à l'écart d'autrui ) n'est doué ni de conscience, et donc ni de valeurs morales. Il a perdu toute notion de liberté.

Il est d'ailleurs intéressant de noter que toute la dimension culturelle de l'homme s'est construite à partir d'autrui. La société n'est pas seulement pour chacun de ses membres une garantie de survie: elle constitue également le cadre dans lequel se manifestent les dimensions spécifiques de l'existence humaine, qui ne sont possibles hors de la société. L'art, le langage sont autant de valeurs spécifiquement humaines qui ne se sont bâties qu'à partir d'autrui. Quel intérêt y aurait-il à faire une œuvre d'art si autrui n'était pas là pour la contempler ? De même, le langage, "ce fait culturel par excellence" selon Levi-Strauss, n'aurait de sens si l'on vivait seul. Or, "vouloir penser sans les mots est une tentative insensée" disait Hegel. Le langage est à ce point humain, qu'il est ce qui forge notre être, notre identité. Y renoncer, c'est renoncer également à notre qualité d'homme dont parlait Rousseau, et perdre une partie de notre liberté.

Conclusion

Il va sans dire que la liberté serait sans doute inexistante dans l'état de nature dont parlaient les nombreux théoriciens politiques (Rousseau, Hobbes et Locke entre autres). La présence d'autrui s'avérerait être une entrave à notre liberté, puisque ce serait alors le "droit du plus fort". Or, cet état de nature, qui "n'a peut-être jamais existé" (Rousseau), est révolu, et la présence d'autrui nous est devenue indispensable dans les sociétés dans lesquelles nous vivons, ou la vie en collectivité est absolument indissociable de notre liberté. Notre liberté n'est certes pas parfaite, mais dire qu'autrui limite notre liberté serait faire preuve d'une totale injustice lorsqu'on connaît les désavantages de vivre seul.