Analyse des termes du sujet
Les notions cardinales sont :
- Œuvre d'art : totalité expressive.
- Beauté : jugement d'appréciation et de goût relevant de la sensibilité, non de l'intelligence conceptuelle.
- Convaincre : non pas seulement persuader mais aussi prouver/démontrer
Donc : si des œuvres sont belles, le sont-elles pour moi seulement ou puis-je en réalité faire reconnaître objectivement cette beauté à un autre?
Problématiques possibles
Nombre d’œuvres d'art sont belles pour quiconque "sait" les apprécier, les goûter, les contempler et s'ouvrir à elles. Toutefois ce rapport à l’œuvre ne reste-t-il pas prisonnier de ma sensibilité, de mes émotions auquel cas la beauté ne serait qu'un jugement subjectif ?
Dès lors se pose la question de savoir si une telle beauté peut devenir objet de débat, de dialogue voire même de savoir. Si tel est le cas, n'y-a-t-il pas des arguments de cette beauté qui puissent être prouvés et ainsi objectivement acceptés ?
Références souhaitables
Des exemples d’œuvres d'art sont utiles si ce n'est nécessaires.
Platon : République, Livre X
Kant : Critique de la faculté de juger
Heidegger : Chemins qui ne mènent nul part, Pourquoi des œuvres d'art ?
Merleau-Ponty : L’œil et l'esprit
R. Caillois : Esthétique généralisée
Contresens à éviter
Faire attention au terme convaincre qui n'est pas simplement persuader mais démontrer, prouver, accord de jugement voire accord des esprits.
La beauté / "je" / autrui : Si l'on peut définir une œuvre d'art comme une totalité expressive dont le sens rayonne à travers toutes les parties, on peut aussi la qualifier de belle. 'autre part le rapport à une œuvre d'art semble relever de la subjectivité, de la sensibilité et de l'émotion.
Ainsi chacun serait renvoyé à son "intimité" à sa particularité ou encore à sa singularité. Dès lors le jugement de goût qui reconnaît la beauté d'une œuvre d'art peut-il prétendre à une objectivité ? Peut-il être objet de dialogue, dont on sait depuis Socrate qu'il vise un accord des esprits ("Homologia") ? En ce cas la beauté d'une œuvre pourrait être démontrée, prouvée et ainsi convaincre autrui et non pas seulement le persuader (à la manière des Sophistes).
I. Le rapport à l’œuvre d'art est initialement une "rencontre"
En ce sens on peut dire qu'il repose sur une condition d'ouverture, ou mieux de disponibilité, d'accueil dont le fondement est l'émotion. C'est dire que toutes les oeuvres ne nous paraissent pas belles, que certaines sont mêmes "laides" ou cause de déplaisir. Nous sommes alors touchés par certaines parce qu'elles suscitent en nous des émotions, des sentiments, pourtant pouvons-nous en "déduire" qu'elles sont belles et ne le sont-elles pas seulement pour nous ?
Le rapport à une oeuvre d'art et à sa beauté ne peut pourtant être fondé sur le seul plaisir, fut-il contemplatif. Cette condition d'ouverture requiert donc d'autres éléments pour tenter d'en déterminer le sens et la valeur. En effet si l'émotion reste le guide, une œuvre d'art n'est pas le résultat d'un pur hasard créateur, en ce qu'elle obéit à une intentionnalité, à une recherche, à un travail technique et stylistique. C'est dire qu'il y a une connaissance possible de l’œuvre qui repose sur la maîtrise de certains savoirs qui relèvent de l'histoire de l'art et de l'esthétique en général.
II. Cette connaissance de l’œuvre peut-elle permettre de déterminer les éléments objectifs cause de cette beauté ?
De sorte que la beauté ne serait pas simplement une expérience intérieure privée et intransmissible, mais bien l'objet d'un savoir et d'un discours capables de la faire reconnaître si ce n'est de la démontrer et de l'apprécier.
Donc contrairement à l'opinion, qui affirme que l'on ne peut discuter des goûts et des couleurs ainsi que de la beauté parce qu'ils ressortent de la seule subjectivité, l'esthétique entend être une connaissance des œuvres d'art, une théorie générale de l’œuvre dont la beauté n'est pas exclue.
Quels sont donc les éléments permettant de fonder une telle connaissance ? Nous pouvons en retenir quatre :
1) une œuvre d'art est d'une époque même si elle ne lui est pas réductrice. En ce sens elle s'insère dans une trame historique qui met en valeur des héritages, des filiations et bien sûr aussi des ruptures.
2) chaque œuvre a son unité et se singularise par rapport aux autres par un style qui en constitue "l'identité". Un style peut-être défini comme une unité technique, plastique qui conduit à un principe de voir qui met en valeur des émotions (exemple à prendre).
3) la beauté est un jugement de goût, qui certes ne repose pas sur l'intelligence conceptuelle comme le souligne Kant, mais qui n'est pas prisonnier d'un simple rapport plaisir/déplaisir.
4) la beauté en esthétique n'est pas une production redevable du hasard, de la seule inspiration ou encore de la répétition maîtrisée de certaines techniques. S'il y a une norme de la beauté elle est aussi propre à des règles , lois, valeurs qui sont collectivement appréciées.
Exemple : la première exposition des impressionnistes "fut un four" néanmoins le temps a fait son œuvre et ils sont aujourd'hui "reconnus". Leurs œuvres sont-elles alors belles ? La maîtrise de ces différents éléments peut-elle permettre d'envisager d'expliquer la beauté d'une œuvre à autrui et ainsi le convaincre de la reconnaître comme telle ?
III. Si les connaissances peuvent s'enseigner elles "jouent" sur une finalité potentielle : leur valeur de vérité
Ce faisant tout savoir peut parvenir à être enseigné et à garantir de connaissances valides et vraies. Mais pour une qualité comme l'est la beauté peut-on parvenir, avec autrui à une conviction ? L'on peut toujours objecter que la beauté d'une œuvre d'art ne se conceptualise pas, ne se mesure pas , ne se discute pas. Elle serait alors une expérience subjective prisonnière de l'intimité et de l'affectivité de chacun. La conséquence n'en serait qu'un relativisme plus ou moins radical.
Mais n'existe t-il pas une objectivité voire une universalité de la beauté de certaines œuvres ? Que l'on pense aux chefs-d’œuvre ! L'on peut encore objecter qu'ils sont redevables d'une culture spécifique et qu'ils ne sauraient s'en affranchir. L'on peut aussi remarquer que toute conviction peut s'obtenir soit par la persuasion/séduction soit par la démonstration. Dans le premier cas il semble qu'il soit simplement question d'influence, de ruse ou encore de manipulation. Que l'on se souvienne de la critique Platonicienne des pouvoirs mensongers de la poésie et plus encore de la peinture.
En dernier lieu on peut dire que le langage fait obstacle à l’œuvre elle-même qui reste à voir, entendre, toucher, pièges du langage donc. Pourtant malgré toutes ces objections qui sont fondées ne pouvons nous pas reconnaître que la beauté d'une œuvre ouvre une dimension intersubjective qui va susciter un possible accord des esprits. Et si accord il y a, il verra naître la conviction...