Zola, La Bête humaine - Chapitre X: La mort de Lison

Corrigé donné par le professeur de prépa B/L.

Dernière mise à jour : 16/12/2023 • Proposé par: khollefrprepabl (élève)

Texte étudié

Enfin, Jacques ouvrit les paupières. Ses regards troubles se portèrent sur elles, tour à tour, sans qu’il parût les reconnaître. Elles ne lui importaient pas. Mais ses yeux ayant rencontré, à quelques mètres, la machine qui expirait, s’effarèrent d’abord, puis se fixèrent, vacillants d’une émotion croissante. Elle, la Lison, il la reconnaissait bien, et elle lui rappelait tout, les deux pierres en travers de la voie, l’abominable secousse, ce broiement qu’il avait senti à la fois en elle et en lui, dont lui ressuscitait, tandis qu’elle, sûrement, allait en mourir. Elle n’était point coupable de s’être montrée rétive ; car, depuis sa maladie contractée dans la neige, il n’y avait pas de sa faute, si elle était moins alerte ; sans compter que l’âge arrive, qui alourdit les membres et durcit les jointures. Aussi lui pardonnait-il volontiers, débordé d’un gros chagrin, à la voir blessée à mort, en agonie. La pauvre Lison n’en avait plus que pour quelques minutes. Elle se refroidissait, les braises de son foyer tombaient en cendre, le souffle qui s’était échappé si violemment de ses flancs ouverts, s’achevait en une petite plainte d’enfant qui pleure.

Souillée de terre et de bave, elle toujours si luisante, vautrée sur le dos, dans une mare noire de charbon, elle avait la fin tragique d’une bête de luxe qu’un accident foudroie en pleine rue. Un instant, on avait pu voir, par ses entrailles crevées, fonctionner ses organes, les pistons battre comme deux cœurs jumeaux, la vapeur circuler dans les tiroirs comme le sang de ses veines ; mais, pareilles à des bras convulsifs, les bielles n’avaient plus que des tressaillements, les révoltes dernières de la vie ; et son âme s’en allait avec la force qui la faisait vivante, cette haleine immense dont elle ne parvenait pas à se vider toute. La géante éventrée s’apaisa encore, s’endormit peu à peu d’un sommeil très doux, finit par se taire. Elle était morte. Et le tas de fer, d’acier et de cuivre, qu’elle laissait là, ce colosse broyé, avec son tronc fendu, ses membres épars, ses organes meurtris, mis au plein jour, prenait l’affreuse tristesse d’un cadavre humain, énorme, de tout un monde qui avait vécu et d’où la vie venait d’être arrachée, dans la douleur.

Zola, La Bête humaine - Chapitre X

Dans ce passage, extrait du chapitre X de La Bête humaine, roman naturaliste d'Emile Zola, écrit en 1890, le narrateur évoque "l'agonie" et la "mort" de la Lison, une locomotive à l'égard de laquelle le héros, Jacques Lantier éprouve les sentiments d'un homme envers une femme. Dans les lignes précédentes, le narrateur vient d'évoquer la terrible vengeance de Flore, une femme amoureuse de Lantier qui la rejette, de peur de la sacrifier à ses tendances criminelles. Désespéré par l'attitude de Lantier, Flore veut se venger de sa rivale, Séverine, qui se trouve à bord de la Lison en faisant dérailler le train. Elle y parvient en immobilisant une charrette au milieu de la voie. Prise de remords et constatant l'inutilité de son geste puisque Séverine a réchappé de l'accident, Flore se donnera la mort en se jetant sous un train. Le déraillement de la Lison vient juste de se produire.

Comment le narrateur parvient-il à émouvoir le lecteur et à frapper son imagination ? Nous montrerons par quels procédés stylistiques le narrateur fait oublier que la Lison n'est qu'une machine, nous montrerons ensuite comment il parvient à créer le pathétique, nous explorerons enfin la dimension épique et fantastique du récit.

I. La Lison, présentée autrement que comme une machine

Précisez le "point de vue narratif" : la scène est vue à travers le regard de Lantier (focalisation, point de vue interne). Le narrateur évoque ses pensées, ses souvenirs, ses sentiments et ses émotions ; il s'agit d'un "monologue intérieur". Lantier éprouve vis-à-vis de la Lison les sentiments d'un homme à l'égard d'une femme dont il assiste à l'agonie. Sa pensée effectue un va-et-vient entre le présent (la déchéance, l'agonie et la mort de la Lison) et le passé (le souvenir de la Lison dans toute sa gloire, puis moins "alerte").

Montrez que le narrateur identifie la Lison à un être vivant, à un animal, à une femme et même à un enfant si bien que le lecteur en oublie que la Lison n'est qu'une machine (pensez au titre du roman La Bête humaine). Cherchez les images, les figures de style (comparaisons, métaphores, métaphores filées, champs lexicaux...) qui assimilent la Lison à un être vivant, qui la personnifient et l'animalisent. Le désordre des images - on peut parler de "vision hallucinatoire" - suggère le désordre aggravé par le choc de l'accident qui règne dans l'esprit de Lantier et évoque le chaos de la scène.

II. Une dimension pathétique

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