Baudelaire, Les Fleurs du mal - Spleen LXXVIII

Lecture linéaire pour l’oral de bac.

Dernière mise à jour : 30/07/2023 • Proposé par: cam_.abd (élève)

Texte étudié

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
II nous verse un jour noir plus triste que les nuits;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme rue chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

— Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Baudelaire, Les Fleurs du mal - Spleen LXXVIII

Le XIXe siècle est marqué par deux grands mouvements littéraires; le romantisme et le réalisme. Charles Baudelaire écrit Les Fleurs du Mal en 1857. L’œuvre a immédiatement un retentissement majeur tant par ses sujets que par sa forme. « Spleen 78 », issu de la section « Spleen et Idéal » s'inscrit dans une série de poèmes consacrée à la mélancolie (77, 78 et 79).

De quelle manière Baudelaire fait-il de son spleen une source de création poétique ? Nous pouvons découper ce poème en deux mouvements: la montée de la crise, du vers 1 au vers 12 et le paroxysme de la crise et la défaite de l'esprit en proie au spleen, du vers 13 au vers 20.

I. La montée de la crise - Vers 1 à 12

a) Une atmosphère macabre

Dès les deux premiers vers, le poème commence par une description météorologique d'un ciel bas qui va avoir une incidence sur les hommes. L’adjectif « lourd » accompagné du verbe « pèse » et de la comparaison du ciel à un couvercle suggèrent que le ciel exerce un poids physique sur les hommes, notamment ceux dont l’esprit est déjà souffrant. Les longs ennuis renvoient à ce que Baudelaire appelle le spleen.

(Vers 3 et 4) L'expression « embrassant tout le cercle » suggère une bulle dans laquelle le poète est enfermé. L'emploi de l’adjectif « triste » désignant un sentiment montre que la noirceur du ciel a un effet sur l'âme du poète. En effet l'emploi du « nous » au vers 4 suggère que le poète s'englobe parmi ceux qui subissent ce ciel pesant.

b) L'image de l'enfermement

(Vers 5) Après une évocation du ciel, vient ici une évocation de la terre qui subit une transformation, d’où le verbe à la voix passive « est changée » qui n'est autre que la vision du poète. Le « cachot humide » insiste sur l'impression d'enfermement imposé dans des conditions désagréables.

(Vers 6) L'espérance est personnifiée par l'emploi de la majuscule. Elle devient un symbole de l'espoir enfermé. La comparaison à un animal de nuit (chauve-souris) renforce cette idée de l’espoir qui est enfermé.

(Vers 7 et 8) On entend l'espérance chauve-souris se cogner aux murs grâce aux consonnes « t » et « d » répétées (allitération). Ces deux vers augmentent encore l'impression d'enfermement: par les expressions « battant les murs » et « se cognant la tête ». l'adjectif « timide » suggère le manque de force de l'espérance qui n'a aucune chance d'échapper au spleen.

(Vers 9 et 10) Après le ciel et la terre, c'est la pluie qui s'associe aux éléments pour enfermer le poète dans des idées noires. On retrouve le champ lexical de l'enfermement avec les termes « prison », et « barreaux ». De plus, les nombreuses sonorités en « on », « an », « ou », « o » rajoutent encore à l'aspect plaintif et lancinant du poème.

(Vers 11 et 12) Cette fois la vision devient hallucination puisque le « peuple d'araignées » évoqué avec un vocabulaire péjoratif « infâmes » n'existe que dans la tête de tous les hommes y compris le poète « au fond de nos cerveaux ». Le poète s’inclue dans cette hallucination avec le déterminant possessif de la première personne du pluriel.

Tous ces éléments de plus en plus inquiétants permettent une montée de la crise avant son paroxysme et la défaite finale de l'esprit.

II. Le paroxysme de la crise et la défaite de l'esprit en proie au spleen - Vers 13 à 20

a) Les hallucinations sonores

(Vers 13 et 14) Le complément circonstanciel de temps « tout à coup » annonce un événement soudain, qui s'oppose à tous les autres compléments circonstanciels de temps précédents, qui eux faisaient référence à une situation dont le début était indéterminé (on ne sait combien de temps le ciel est bas, la terre un cachot, la pluie les barreaux d'une prison...). Le poète a subi les éléments qui n'ont fait qu'augmenter son spleen. L'esprit se sent si mal qu'il est envahi d'une vision bruyante et cauchemardesque : les cloches sont personnifiées. Le complément de manière « avec furie » et l'épithète « affreux » soulignent l'aspect horrible de l'évocation.

(Vers 15 et 16) Les cloches sont comparées à des fantômes gémissants. Les sonorités des vers dues aux allitérations en « p » , « t » et aux assonances en « an » et « in » suggèrent ces gémissements.

b) Dès lors la défaite de l'esprit est consommée

(Vers 17 et 18) La mort jusqu'ici était seulement suggérée dans les strophes précédentes par le champ lexical de l'obscurité et l'allusion aux « esprits errants » de la strophe 4. Ici elle est évoquée à travers la référence aux « longs corbillards ». On voit aussi que le spleen présenté jusqu'ici comme un mal qui touchait les esprits, s'attaque au poète narrateur lui-même « dans mon âme » (déterminant possessif de première personne du singulier.)

(Vers 19) La lecture hachée du vers 19, en raison de sa composition (virgules, nombreux mots de une ou deux syllabes) souligne la défaite du poète et la victoire du spleen. Cette victoire est également annoncée par de nombreux adjectifs.

(Vers 20) Le poète s'avoue vaincu en inclinant la tête. C'est l' « Angoisse » qui agit en plantant le drapeau noir (métaphore). Le poème se termine sur cette image qui symbolise la prise de possession de l'esprit par le spleen.

Conclusion

Dans Spleen LXXXVIll, Baudelaire n'atteint pas l'idéal, mais il ne se laisse pas complètement anéantir par le spleen. En peuplant le néant, en théâtralisant son état d'âme, le poète prend ses distances avec son mal-être et parvient à transformer le plomb du spleen en or poétique.