« Automne malade » de Guillaume Apollinaire est un poème du cycle d’Annie (Annie Playden, relation de 1901 à 1905). Il n’est pas le plus représentatif des poèmes du recueil Alcools, mais il reprend un thème cher à Apollinaire et récurrent dans la poésie de la mélancolie: l’automne (« Les Colchiques », « Vendémiaire », « Automne » … On se souvient de Ronsard et son Hymne à l’automne ou de Verlaine et sa Chanson d’automne…).
Problématique: comment Apollinaire fait-il coexister tradition et modernité dans le poème ?
I. Strophe première
On observe une personnification de l'automne, qui est apostrophée par le narrateur dès le premier vers. L’adjectif « adoré » traduit aussi un sentiment humain et affectif qui contribué à cette personnification. La personnification est filée d'abord sur le 2e vers avec le verbe tu mourras ; les nombreux futurs traduisent les potentialités en devenir.
Nous retrouvons les éléments symboliques naturels capables de suggérer les âges de la vie ; la strophe peut donc se lire de façon métaphorique : l'« ouragan » c'est le malheur, les « roseraies » ce sont les amours, la « neige » c'est le froid et la vieillesse, les « vergers » ce sont la jeunesse. Toute la strophe est donc parfaitement symbolique et utilise les images florales et naturelles comme des symboles de la vie humaine et de ses différentes étapes.
Les rimes en « é » (« adoré »/ « roseraies » / « neigé » / « vergers ») expriment une certaine gaîté, puisque la mort n’est pas encore arrivée. Elle s'inscrit dans l'esthétique symboliste. Les futurs de l'indicatif, tu mourras, soufflera, et le futur antérieur, aura neigé, montrent la proximité de cette fin qui n'est pas encore accomplie.
II. Strophe 2
Le changement de temps avec le présent de l'impératif meurs permet de faire un lien entre les 2 temporalités futur /présent, puisque les vers suivants introduisent le présent ; au vers 9, les « éperviers planent », et le passé composé ferme la strophe. Toute la vie peut être condensée dans la présence de ces 3 temps le passé, le présent, et les futurs.
Cette strophe est duale : elle s'ouvre d'abord par un jeu de couleurs presque antithétiques, le blanc de la « neige » s'opposant à la richesse des « fruits mûrs », qu'on peut interpréter comme des rouges et des orangés, couleur à la fois de l'automne et des feuilles mais aussi des fruits du printemps. Elle traduit donc l'ambiguïté de l'automne, ce qui en fait tout son charme c'est une saison pleine de beauté mais qui annonce déjà la mort.
Au vers 10 apparaît la seule référence à l'Allemagne avec le terme « nixes », qui désigne dans la mythologie germanique des nymphes des eaux. Mais une sorte de mélancolie moqueuse accompagne toute la strophe depuis le premier mot. Jusqu'au vers 10 qui accumule les termes péjoratifs comme « nicettes », c'est-à-dire naïves, puis crée un effet comique par la paronomase « nixes nicettes », qui sont qualifiées ensuite de 2 façons péjoratives : leurs « cheveux » sont « verts », ce sont des « naines ». Elles apparaissent ainsi avec les traits des petits êtres diaboliques comme les lutins. Le cliché de la femme rêvée est donc effacé. Mais la dernière méchanceté ou dévalorisations apparaît dans le dernier vers, le vers 11, puisqu'elles n'ont jamais aimé. Elles sont comme ces femmes incapables de comprendre l'amour que leur porte le poète. Comme Annie Playden.
III. Strophe 3
Passons à la strophe 3. C’est une strophe brève qui reprend les images classiques et traditionnelles de l'automne, et presque romantiques avec l'image du cerf et du brame. Mais c’est aussi une image symbolique aussi de l'appel amoureux. De même que le brame est le cri du cerf amoureux, il peut être la métaphore de l'expression de l'amour, amour malheureux du poète pour Annie Playden.
La biche, le cerf apparaissent souvent dans la poésie depuis le romantisme comme des symboles de l'amour malheureux et du poète solitaire (par exemple dans le cor, de Vigny). On retrouve également le thème de l'inaccessibilité avec le vers 12 qui reprend le thème déjà vu dans d'autres textes de l'éloignement (« lointaines »).
IV. Strophe 4
La strophe 4 est celle qui a l'écriture la plus moderne sans doute puisque la forme réunit deux structures différentes, un quatrain aux vers longs puis un autre de vers très courts. C'est un chant d'amour à la saison de l'automne. Cette fois l'interjection ô donne de la solennité à l'apostrophe, par opposition au pauvre automne du vers 5. Mais elle réactive aussi la technique de l’expression lyrique.
On y retrouve la personnification des éléments naturels, en particulier dans l'expression de la tristesse, aux vers 16-17 « qui pleurent/ toutes leurs larmes », par cet enjambement le texte annonce l'inéluctable suite et enchaînement que vont illustrer les 4 derniers vers: puisque 3 enjambements se succèdent avec un rythme très rapide lié à la brièveté des mètres, parfois composés d’un seul mot, comme en v. 18: « les feuilles », en v. 20 : « Un train », en v. 22: « la vie ». Au vers 20, la présence du train évoque la poésie des machines comme l'avion. Mais le train rappelle aussi l'éloignement, le départ, il est donc une roulotte encore plus puissante pour nous arracher aux êtres aimés que nous ne reverrons plus.
La structure étonnante de la dernière strophe suggère visuellement l'écoulement rapide de la vie et donc de l'amour, on voit apparaître ici une forme simplifiée qui annonce les calligrammes. Les rimes en « -oule » traduisent presque la souffrance, le son « ou » est à la fois grave et à la fois imite les larmes.
C’est une onomatopée des pleurs et de la plainte.
Conclusion
Ce poème illustre donc la poésie traditionnelle du thème de l'automne, la fin de la vie la fin de l'amour et le temps des regrets. Mais il entremêle sa mélancolie d'une forme d'ironie et de jeux de construction métrique qui modernise cette thématique. Il montre la fusion dans l’œuvre d’Apollinaire de la tradition et de la modernité.