Questions préliminaires
- À quelle thèse Aristote répond-il ici ?
- Analyser avec le plus grand soin la dernière phrase: à quelle "volonté" est-il fait allusion ?
- La formule "sans avoir l'ignorance pour excuse" : quelle en est la portée ?
Introduction
D'où viennent les qualités de notre caractère moral ? D'une influence extérieure (les autres, une divinité même), ou de nous-même ? La réponse est importante puisque, selon son orientation, c'est notre responsabilité qui est affirmée ou niée. Pour Aristote, c'est l'"exercice" individuel des mauvais comportements qui forme les dispositions au mal, en sorte que "les hommes sont personnellement responsables" de ce qu'ils deviennent.
I. Détermination par "l'exercice"
C'est à force de vivre mal que l'on devient mauvais, quelle que soit la gravité apparente de ce mal : relâchement, injustice ou intempérance. Il y a donc une influence du comportement adopté par un individu sur ses caractéristiques morales : la répétition des actions moralement condamnables façonne le sujet comme si ce dernier était en quelque sorte initialement indéterminé, et ne pouvait acquérir de caractéristiques qu'en fonction de l'existence qu'il mène.
Ce qui signifie au minimum qu'il n'existe pas, pour Aristote, de détermination "innée" ou originelle du caractère moral. Celui-ci est d'abord indistinct, il ne se constitue qu'en fonction de la vie menée, dont il est la conséquence aussi bien que le "résumé".
II. Tout exercice a une fin
La comparaison avec ceux qui cherchent à acquérir une compétence particulière, physique ou autre, permet de souligner que l'exercice, c'est-à-dire la pratique, s'effectue "en vue" d'un résultat. Si l'on s'entraîne à la course, c'est pour courir plus vite. La répétition d'une action (qui équivaut à un entraînement) confère elle aussi une "compétence", c'est-à-dire une qualification particulière : les qualités de l'action répétée finissent pas se retrouver dans l'agent...
Qui ne serait pas d'accord avec une telle analyse n'est selon Aristote qu'"un esprit singulièrement étroit" : de quelle étroitesse peut-on l'accuser ? De ce qu'il méconnaît l'influence de la pratique sur la détermination d'un sujet : il manque donc de "réalisme" en s'imaginant que l'on peut isoler le sujet (moral éventuellement) de ce qu'il fait. Selon Aristote, il faut au contraire affirmer que le sujet finit par être influencé par sa pratique au point d'en recueillir le caractère dominant.
Il faut de surcroît affirmer que le choix de la pratique lui-même est volontaire.
III. La responsabilité est entière
On pourrait en effet, tout en admettant l'influence du comportement sur l'individu, faire valoir que le premier n'est pas nécessairement choisi ou voulu, en alléguant le jeu du hasard, des circonstances, etc. Aristote affirme au contraire que l'homme qui commet des actes d'injustice souhaite bien être injuste : il exerce une "volonté mauvaise" (dans un sens pas tout à fait kantien cependant ! il n'est ici nulle part question d'une universalité de la loi) et a donc une responsabilité entière sur sa conduite.
Une seule exception est envisageable: "l'ignorance" - qu'il faut ici prendre dans un sens particulièrement fort, puisqu'elle indique un esprit qui ne serait pas capable de déceler l'injustice d'un comportement, donc un esprit malade ou incompétent (irrationnel). Bien distinguer cette ignorance de celle à laquelle faisait allusion Socrate : pour ce dernier, on ne peut être méchant volontairement puisqu'on croit poursuivre le bien. Aristote fait au contraire valoir qu'un esprit "normal" ne peut ignorer que ce qu'il poursuit est le mal.
En effet, si commettre des actes injustes détermine à être injuste soi-même, cette injustice "acquise" devient pour les actes ultérieurs une volonté d'injustice.
Conclusion
Texte historiquement important, qui marque une intention de faire du sujet le responsable de ses actions et de ses qualités, indépendamment des influences qu'il peut subir : on remarque en particulier l'ambiance totalement "laïque" de l'analyse ; à aucun moment, il n'est fait allusion à une éventuelle influence des divinités.
Lectures
- Aristote, Éthique à Nicomaque
- Kant, Critique de la raison pratique