I. Introduction
On pense généralement que l'homme qui s'étourdit de plaisirs n'est pas sage, que c'est même une sorte de fou. N'est-ce pas folie de s'adonner aveuglément au plaisir, à tous les plaisirs? En effet, celui qui n'a pour guide que le plaisir n'est pas raisonnable : le bien-être n'est pas le bien. La seule valeur morale est le bien, et le sage doit obéir à la raison qui commande de faire le choix du bien. Pourtant, on passe aisément de là à l'idée que le plaisir est sans valeur. Un pas de plus encore, et on dira qu'il faut renoncer au plaisir...car si le plaisir n'est pas le bien, c'est donc qu'il est mauvais ! Mais est-ce vraiment faire preuve de sagesse que de s'interdire tout plaisir ? Faut-il nécessairement faire rimer sagesse avec tristesse ?
Spinoza va dans un 1er temps dénoncer cette position, qu'il qualifie sévèrement de "sauvage et triste superstition", et dans un 2nd temps développer sa thèse, à savoir que la sagesse ne saurait exclure le bonheur, et que le bonheur n'est nullement incompatible avec le plaisir.
I. Etude linéaire du texte
Dans le 1er §, Spinoza dénonce la conception ordinaire de la sagesse, selon laquelle, il faut renoncer à tous les plaisirs et vivre dans l'austérité. Cette conception est la conception chrétienne, elle "interdit de prendre du plaisir" car le plaisir est associé à la luxure, qui est le contraire de la tempérance, vertu cardinale c’est à dire nécessaire au salut de l'âme. Spinoza juge sévèrement cette conception selon laquelle, il faudrait vivre dans la tristesse. Pour lui, personne, pas même un être suprême, ne peut recommander cette conception puisqu'en éprouvant de la tristesse, on s'éloigne de notre puissance d'agir, on devient "impuissant", on n'agit pas selon notre nature. Dieu ne peut pas prendre plaisir à mon absence de plaisir. Ce serait avoir une fausse image de lui, une conception dégradante de la divinité qui est forcément omnisciente, toute puissante et parfaite. Au passage, Spinoza dénonce le fait que l’on associe le rire à la figure du diable, et l’élève contre le préjugé finaliste qui nous fait concevoir l'action de Dieu sur le mode de l'action humaine. Seule une créature moins parfaite que Dieu peut prendre plaisir au déplaisir d’autrui. Aussi évoque t-il un autre péché capital, l’envie, pour stigmatiser ceux qui prônent cette conception de la sagesse. L’envieux éprouve du plaisir à la vue des passions tristes, et de la tristesse à la vue des passions