Pour être un artiste, il semble normal d’acquérir un certain savoir-faire, une technique artistique. Le terme savoir-faire est la combinaison de deux verbes à la forme infinitive : « savoir » et « faire ». L’un voulant exprimer la connaissance, l’autre représentant l’action d’entreprendre. Ensemble, ils signifient la capacité d’appliquer le savoir acquis. L’artiste doit donc compter, dans ses qualifications, le savoir-faire. Mais peut-on dire que toute personne ayant réussi à appliquer une connaissance est un artiste ? Nous pouvons différencier un artiste d’un artisan, et cela par la touche de génie qu’intègre l’artiste à ses œuvres. Le savoir-faire ne serait donc pas la caractéristique première de l’artiste, mais seulement un point commun entre l’artisan et l’artiste.
Reconnaître un artiste, c’est le distinguer grâce à certains caractères, ou bien retrouver dans sa mémoire le souvenir de quelqu’un ou quelque chose. Sommes-nous donc capables réellement de reconnaître un artiste ? Encore faut-il pouvoir distinguer la touche originale et personnelle qu’il apporte, ou bien comparer l’artiste et son œuvre avec quelque chose de préexistant. Ce point est paradoxal, car l’artiste peut ne pas être reconnu si son œuvre est nouvelle car nous devons apprivoiser cette nouveauté, la distinguer des modèles que nous avons et les avis peuvent diverger à ce sujet. Pourtant, l’artiste a besoin de la reconnaissance de son public et cette difficulté à repérer un artiste a pour conséquence l’absence de gratitude pour l’artiste.
I. L'artiste a un savoir-faire
A quoi peut bien servir la connaissance si elle ne s’accompagne pas du fait d’accomplir la chose en elle-même ?
Comme toute activité, l’activité artistique a une dimension technique impliquant règles et savoir-faire. Peindre, sculpter, sont de réels métiers. Il ne suffit pas de connaître par cœur un livre de recette pour savoir cuisiner. Il faut expérimenter la chose afin de s’améliorer, de progresser, de devenir un professionnel. La pratique apparaît comme irrémédiable afin de réussir. La connaissance est bien sûr insuffisante. En effet, bien que l’on sache qu’il faut courir cent mètres en quelques trentaines de secondes pour avoir la qualification d’athlète, on n’en devient pas pour autant un. De même que pour savoir nager, il faut « se jeter à l’eau » afin de sentir la poussée d’Archimède sur son corps, réagir en fonction des remous de l’eau, avancer dans ce milieu inconnu. La théorie seule ne permet donc pas de créer. La théorie et le savoir-faire, combinés, permettent d’accomplir de grandes choses artistiques. Savoir appliquer la connaissance, la technique.
Le savoir-faire est une des bases de l’activité artistique. Afin d’accomplir son art avec précision l’artiste doit connaître la technique de la couleur, de la peinture. En effet la préparation des couleurs requiert un savoir-faire (peinture à l’huile, à l’eau…). Comme un artisan cherchant à accomplir sa tâche, l’artiste doit suivre des règles précises et respecter des consignes. Il est vrai qu’on peut avoir « l’art et la manière » d’effectuer quelque chose. Dans l’expression « agir selon les règles de l’art », « art » est assimilé à la présence de règles. Le savoir-faire permet de distinguer un courant artistique comme l’impressionnisme ou le pointillisme par exemple, où la technique de la peinture, et du maintien du pinceau nous informe sur le mouvement artistique de l’artiste. Ce savoir-faire lui permet aussi d’être reconnu parmi les autres artistes. En effet, une technique particulière lui assure une singularité, qui ne peut être copiée.
Mais le savoir-faire est général, tout le monde peut l’apprendre. Un bon artisan peut très bien faire son travail en usant d’un savoir-faire. Cependant, même un certain travail réalisé à la perfection ne pourra suffire pour le qualifier d’artiste. En effet malgré son importance capitale, le savoir-faire n’est pas le propre de l’artiste. Ce dernier se distingue d’un artisan précautionneux et agile. Le style de l’artiste se découvre grâce à son génie.
II. Mais la nature de l'artiste est de ne pas suivre de règles préétablies
L’artiste a la particularité qu’il ne suit pas de règles préétablies. Il « crée la règle au fur et à mesure qu’il crée ». N’ayant pas de modèle préalable, il produit une œuvre artistique sans étapes précises, sans savoir réellement comment il crée. Voilà une des caractéristiques essentielles de l’artiste. Pouvoir créer quelque chose sans avoir déterminé au préalable un patron, un modèle. Il se jette dans son œuvre comme on se jetterait dans le néant, l’inconnu, afin d’en ressortir une œuvre d’art, quelque chose d’unique et de beau. L’artiste ne saurait jamais expliquer comment il a pu peindre, sculpter une merveille. L’Art a cela d’unique qu’il est une fin en soi. Il permet aux gens de s’émerveiller, de critiquer, d’apprécier ou bien encore de commenter l’œuvre qu’ils ont en face d’eux. On se souvient longtemps d’une œuvre car elle nous touche intérieurement, et durablement. Bien que l’artiste soit seul décideur de ses règles, il est néanmoins contraint de les suivre. C’est une sorte de savoir-faire novateur qu’il développe. Le principe des contraintes artistiques est donc toujours présent dans la création d’œuvres d’art.
L’artiste crée, il n’invente pas, ni ne découvre. L’invention surplombe la découverte, qui est le fait de trouver quelque chose de préexistant. De plus, la création est plus forte que l’invention. En effet, bien que cette dernière fasse exister quelque chose qui n’existait pas auparavant, tôt ou tard cette chose pourrait être créée, grâce à l’évolution de la recherche, du savoir, et aux progrès scientifiques. A la différence de l’artisan, l’artiste ne se distingue pas par son habilité technique à reproduire un même mouvement, un même objet. Le produit de l’artiste est inutile au quotidien, alors que celui de l’artisan est fort utile matériellement. On trouvera cependant l’utilité de l’Art au niveau spirituel. En effet, l’Art permet aux hommes de réfléchir à la beauté, de critiquer et d’observer la vision du monde de différents artistes.
L’artiste a une disposition à produire une œuvre d’art, qui est innée. On ne peut lui enseigner cela. L’Ecole des Beaux-Arts n’apporte à ses étudiants que des méthodes permettant de les aider dans leur quête artistique. Au contraire, elle ne permet pas de « former » réellement des artistes. Une personne quelconque ne peut rentrer dans cette école et penser qu’elle lui permettra d’acquérir l’âme et le génie d’un artiste. L’artiste a une manière personnelle d’appliquer le savoir théorique qu’on lui a enseigné, il possède un véritable talent, source d’originalité de nouveauté et de créativité. L’artiste apparaît comme unique, il apporte une touche personnelle, unique, originale, jamais vue, qu’il a créée de toute pièce. A la différence de l’artisan, qui produit, fabrique un objet à partir d’une idée préalable, d’un modèle, l’artiste, lui crée sans modèle, avec une originalité surprenante. L’artiste est donc doté d’une aptitude à créer particulière qui le différencie des autres individus. Nous le reconnaissons donc par cette touche singulière.
Mais reconnaître un véritable artiste est-elle une tâche aisée ? Et de plus que vaut la reconnaissance aux yeux de l’artiste ?
III. Le savoir-faire permet alors de d'apprécier une oeuvre et son auteur
La reconnaissance d’une œuvre d’art est un besoin pour l’artiste car dans un sens, cela lui permet d’être reconnu dans la communauté artistique. Savoir que son œuvre a été remarquée, par son originalité, repérée par ses aspects hors du commun lui assure une carrière artistique sûre.
D’un autre côté, la reconnaissance est due à ce que transmet l’œuvre aux spectateurs qui la regardent. En effet, une œuvre d’art apporte un certain bien-être à ceux qui l’apprécient. Elle peut nous montrer la vision de l’artiste sur des moments de la vie courante, sur des lieux que nous connaissons tous : Les Nymphéas de Claude Monet, ou bien la vérité sur des faits terribles comme le tableau Guernica de Pablo Picasso. L’œuvre d’art suscite donc de la gratitude et de la reconnaissance envers l’artiste. Mais sommes-nous capables de distinguer une œuvre d’art et d’en apprécier les effets ?
Nous ne sommes pas forcément capables de reconnaître et d’apprécier l’artiste et son œuvre d’art. En effet, nous avons tous une vision différente du beau. Une œuvre peut nous plaire, nous pouvons la trouver belle, alors que notre voisin ne l’appréciera pas. Le jugement du spectateur sur l’artiste est donc subjectif. Il pourrait tendre à être universel car tout le monde pourrait avoir le même avis.
Cependant, l’œuvre d’un artiste nous touche, nous submerge d’émotions que nous ne pouvons expliciter. Si nous ressentons ce genre d’émotions lorsque nous observons une œuvre, nous sommes en face d’une œuvre d’art.
De nos jours, l’art est déprécié. On ne cherche que l’originalité. La beauté n’est plus et tout est prétexte à être de l’art. Artiste devient un métier convoité et beaucoup se bercent d’illusions à ce propos, pensant pouvoir devenir un artiste en peignant un tableau d’une seule et même couleur et en l’affichant dans une galerie.
Il faudrait alors avoir un moyen de reconnaître une bonne œuvre, un bon artiste. Dans un sens, le savoir-faire nous le permet. Si l’artiste sait appliquer les connaissances qu’il a apprises par le passé, alors il se distingue en tant qu’artiste d’un mouvement artistique. Le savoir-faire est donc utile pour reconnaître un artiste, bien que nos sens soient troublés par l’aspect subjectif du beau.
Conclusion
Il semblerait donc que le savoir-faire fait partie des caractéristiques nécessaires à tout artiste, mais ce n’est pas pour autant cela qui caractérise l’artiste. Le savoir-faire nous permet simplement de comparer les différents mouvements artistiques. Il est vrai que l’artiste développe un talent personnel qui lui permet de se distinguer. On peut donc penser que l’artiste se reconnaît par son génie, mais le fait est que nous n’avons pas la capacité de reconnaître réellement un artiste, ce qui est dû à notre subjectivité et au manque de recul. Le savoir-faire sert donc quelque peu à faire sortir l’individu de l’ombre, par sa maîtrise de techniques indispensables à la réalisation d’une bonne œuvre d’art.