«Moi, qui ai plus de conscience, j'aurais moins de liberté?» disait Pedro Calderon de la Barca, c'est-à-dire une prise de conscience entravera-t-elle ma liberté déjà acquise? C’est la question que l’on peut tous se poser. En effet, la prise de conscience est une invitation à la réflexion intérieure, à douter, à remettre en question des situations et des points de vue établis, figés. La liberté quant à elle signifie le droit de disposer de sa propre personne, d'agir sans restriction, de choisir. La question est donc de savoir si une prise de conscience permet le développement de la liberté où au contraire l’entrave-t-elle. En effet, le doute entraîné par une prise de conscience permet l'accès à une nouvelle vision, à de nouveaux aspects du monde, qui permettent une certaine forme de liberté. Toutefois, ce doute à trop grande échelle entraîne une incapacité d'agir: or la liberté se trouve dans la pensée, mais aussi dans l'action. C'est pourquoi cette approche contradictoire nous permet de reformuler la question en ces termes: une prise de conscience est-elle toujours source de liberté?
I. La prise de conscience du monde et de soi entraîne une certaine liberté
Dans un premier temps, nous allons voir que la prise de conscience du monde et de soi entraîne une certaine liberté. Néanmoins dans une deuxième partie nous verrons que dans certains cas une prise de conscience peut devenir une entrave à la liberté ou du moins ne rien apporter. Enfin, nous étudierons que plus que sur la liberté, une prise de conscience influence le Moi intérieur et profond d’un Homme.
Dans une première partie, on peut voir qu'une prise de conscience permet l'acquisition d'une certaine forme de liberté. En effet, tout d'abord, cette thèse est validée par le sens commun. Pour la majorité des gens, une prise de conscience permet de se libérer soi-même, parfois d'un poids, parfois d'idées préconçues qui ferment certains horizons … etc. Elle est à leurs yeux, libérateurs. De plus, elle permet de mieux se connaître et de mieux connaître le monde qui nous entoure et donc apporte une certaine forme de liberté.
Dans un deuxième temps, on peut voir que d'après la définition donnée précédemment, la liberté est la capacité d'agir avec conscience. Comme l'a dit Spinoza «la seule liberté possible suppose la prise de conscience». De même prendre conscience c’est s'affranchir de toutes ses chaînes, penser par soi-même, c'est-à-dire devenir libre, pouvoir choisir: d'après Alain «penser c'est dire non!». De même, le cogito de Descartes à la base du doute méthodique indique que l’on ne peut être sûrs que de nous-mêmes. Rien en dehors de nous n’est certain. Cette prise de conscience permet de se libérer des idées préconçues, des illusions et des fausses croyances et ainsi d’élargir son esprit et de se forger sa propre opinion. On peut aller jusqu’à dire qu’elle permet un passage de la minorité à la majorité. Or, ce passage, d'après Kant, représente en fait l'acquisition de la liberté tant de penser que d'agir. La prise de conscience est donc ici libératrice des préjugés et de l'état de minorité, mais elle est aussi à l'origine même de la liberté. On peut donc dire que la liberté et elle sont presque intrinsèquement liées. De plus, l'observation de la conduite des Hommes semble sans équivoque en faveur de ce point de vue. En effet, tout d'abord par le fait qu’une prise de conscience est la remise en cause de ce qui nous entoure et de nous même. Or cette remise en cause permet de transformer une chose jusque-là inconsciente, une intuition, en un objet réel, c'est-à-dire certain, qui peut donc être à la base d’une volonté de changement du monde extérieur. Par exemple, dans Le père Goriot de Balzac, Eugène de Rastignac se rend compte de tous les mauvais penchants de la haute société parisienne, il en prend conscience, et se décide donc à essayer de la changer. De même, certaines prises de conscience permettent une évolution de soi-même. Dans Cinna de Corneille, Auguste se rend compte des atrocités qu'il a commises ; cela lui permet d'évoluer et de devenir meilleure. Or toutes ces transformations du monde et de soi-même sont en fait libératrices : ainsi Eugène de Rastignac n'est plus déçu par la bonne société et Auguste n'est plus submergé par la culpabilité, ils ne subissent plus, ils agissent: ils sont dits libres. Pour conclure, on peut donc dire qu’en plus d’être validé par le sens commun, le fait qu’une prise de conscience soit source de liberté est montré par de nombreux philosophes et par la simple observation du comportement humain.
Toutefois, on peut se demander si le fait qu'une prise de conscience entraîne une remise en cause de tout ne rajoute pas en fait des chaînes à la liberté par exemple d'action?
II. Une prise de conscience peut ajouter un poids ou même être inutile
Dans un deuxième temps, nous allons voir que loin d'être toujours libératrice, une prise de conscience peut ajouter un poids ou même être inutile.
Par définition une prise de conscience est la remise en question ainsi que le passage de quelque chose d’inconscient à la réalité. Or ce passage ne permet pas toujours d'agir comme le fait Eugène de Rastignac dans Le père Goriot. En effet, par exemple dans Phèdre de Racine bien que Phèdre soit totalement consciente de son amour impossible pour son beau-fils Hyppolite et qu'elle soit capable de l'analyser, elle ne peut le mettre à distance, s'en séparer, parce qu'il fait partie intégrante d'elle-même. Ici la prise de conscience ne permet donc rien, elle n'est pas libératrice bien au contraire. En effet, Phèdre prenant conscience de son amour inaltérable, va décider de séduire son beau-fils qui va se refuser à elle ; cela va entraîner son malheur. Ici, la prise de conscience entraîne donc un sentiment de fatalité et non de liberté. Elle ne permet pas de choisir et d'être maître de soi-même. Ainsi si une prise de conscience peut parfois être inefficace sur la possibilité de changement, elle peut, en plus, être un poids et entraver la liberté. De plus une prise de conscience s'accompagnant de doutes, de remises en question, elle peut empêcher l'action, elle peut empêcher de vivre. Ainsi, un scepticisme exagéré peut conduire à l'inaction totale et même à la folie. Tout cela est dû au fait que la prise conscience est angoissante comme la montre Sartre et peut aller jusqu’à entraîner la mauvaise foi. La mauvaise foi selon Sartre est la capacité de la conscience à se mentir à elle-même. Par exemple, lorsqu’on ressent une émotion, c’est un choix de la conscience, mais qu’à aucun moment elle ne pose comme telle ; une crise de larmes est une solution trouvée par la conscience pour se sortir d’une situation; mais pour que l’émotion soit vraie, il faut que la conscience s’y laisse prendre, qu’elle ne la perçoive pas comme un acte volontaire issu d’un calcul « si l’émotion est un jeu, c’est un jeu auquel nous croyons » dit Jean-Paul Sartre. En effet, il est beaucoup plus facile de se réfugier dans l'inconscience, de ne pas savoir. Le fait qu’une prise de consciente soit angoissante et inspire un doute disproportionnel, montre que loin d'être libératrice, une prise de consciente peut être pesante, semblable à des chaînes qui empêchent de profiter de la vie, d'agir. Or la liberté sans l'action n'est qu'une semi-liberté.
De plus, une prise de conscience peut être parfois illusoire et donc ne peut pas, là encore, entraîner une véritable liberté. Ainsi, Spinoza compare l’homme qui est conscient d’être libre à un enfant qui croirait désirer librement le lait. Ce n’est pas parce qu’il est conscient de son désir qu’il est libre de désirer ce qu’il désire ; il est semblable à une pierre, ajoute Spinoza, que l’on ferait tomber et à qui, dans sa chute, on prêterait une conscience et qui déclarerait alors qu’elle est libre de tomber parce qu’elle en est consciente et parce qu’elle le veut. En d’autres termes, la conscience, malgré la distance qu’elle donne, pourrait être victime d’illusions quant à la liberté qu’elle pense permettre. Et c’est bien entendu dans la notion d’inconscience psychique que l’on pourrait voir le meilleur exemple d’illusions de la conscience sur sa propre liberté. Par exemple, l’originalité de la pensée freudienne consiste à affirmer que nous pouvons être conscients d’agir en ignorant les causes qui nous font agir.
Pour conclure, on peut donc dire que par la nature même de l’Homme qui préfère souvent se complaire dans l’ignorance et qui n’est pas toujours capable de mettre à distance ce qu’il ressent, une prise de conscience peut devenir un obstacle à la liberté.
III. Une prise de conscience influence le moi intérieur et profond d’un Homme
Néanmoins par étude de l’Homme, on peut remarquer que plus que sur la liberté, une prise de conscience influence le moi intérieur et profond d’un Homme. L’Homme est un composé complexe de sensations, de sentiments et de pensées. En effet, sa conscience, loin d’agir seulement sur sa liberté, agit sur son caractère, sa façon de penser et d’appréhender le monde et les autres. Ainsi, de la même façon, une prise de conscience loin de ne jouer que sur la liberté, joue sur les composés de l’Homme dans son ensemble et sur le monde qui l’entoure.
Tout d'abord, on peut voir son influence sur l’évolution de l’Homme dans son ensemble. En effet, une prise de conscience par le doute et les vérités qu’elle apporte, permet une évolution du moi en bien comme en mal et c’est cette évolution qui peut permettre l’acquisition de la liberté. Tout d’abord tout simplement par la prise de conscience de soi qui est, à quelques rares exceptions, spécifiques à l’Homme. C’est cette prise de conscience qui permet le passage du monde animal au monde humain et qui explique que les rares animaux en étant capables sont si proches de nous. On peut donc dire qu’elle permet une évolution au niveau des racines mêmes du Moi. Néanmoins, cette évolution du Moi se base aussi sur des prises de conscience plus petites que l’on voit dans la vie de tous les jours. Ainsi dans Au Bonheur de Dames de Zola, Mouret par la découverte de son amour pour Denise et par la remise en question qu’elle fait naître en lui, le fait totalement changer, tant dans sa manière de penser que d’agir.
Néanmoins si une prise de conscience permet l’évolution du moi elle permet aussi l’évolution du monde qui entoure. En effet, tout d’abord par le fait que la conscience en soi n’existe pas abstraitement, sans attache, elle n’existe que dans un rapport au monde, à la société. « La conscience et le monde sont donnés d'un même coup: extérieur par essence à la conscience, le monde est, par essence, relatif à elle. » Disait Jean-Paul Sartre, montrant ainsi le lien étroit entre monde et conscience. Or monde et conscience étant liés, une prise de conscience peut forcément avoir un impact sur le monde, le faire évoluer. De même, l’évolution du Moi permet une évolution du monde puisque ce monde est composé par différents Mois. Ainsi l’évolution de Victor Hugo de royaliste à républicain, entraîne sa lutte pour la république qui joue un grand rôle dans l’instauration de la République française. Une prise de conscience est en fait à l’origine de tous les grands faits historiques qui ont marqué notre Histoire et qui ont changé le
monde.
On peut donc dire qu’une prise de conscience, peut permettre l’évolution de tout, de l’infime au gigantesque.
Conclusion
Pour conclure, on peut dire qu’une prise de conscience peut être un obstacle ou une aide dans l’acquisition de la liberté, bien qu’elle soit plus souvent une aide. Toutefois, elle ne se résume pas qu’à la liberté qu’elle apporte, mais aussi à la transformation du monde et de soi dont elle est à l’origine. Néanmoins, on peut observer que les animaux par bien des aspects sont plus libres que nous. Doit-on donc leur attribuer une conscience dont ils ne servent toutefois que pour acquérir de la liberté, ou au contraire doit-on penser que c’est justement cette absence de conscience qui en ne leur faisant pas obstacle, la développe?