L’opinion commune tend à considérer qu’une vie libre est une vie sans contrainte, c'est-à-dire sans force freinant ou empêchant durablement la réalisation de sa volonté, où l’on puisse faire ce qu’on veut et comme on l’entend. Aussi, la loi semble s’opposer à cette conception, avec sa force exécutoire. Ainsi, beaucoup la considèrent comme une restriction de la liberté.
D’ailleurs, la formulation du sujet, qui nous invite à étudier l’essence de la loi, suppose déjà qu’elle est une contrainte.
Mais avant toute chose, qu’entend t-on exactement par le mot « loi » ? Cette notion peut en effet revêtir plusieurs sens. On peut tout d’abord considérer les lois naturelles, qui découlent de principes scientifiques inaliénables, mais également les lois positives, qui sont le fruit d’une convention, la création des hommes eux-mêmes. Le droit positif comprend donc les lois juridiques, les lois morales également. Cependant, nous pouvons nous demander si la loi n’est pas autre chose qu’une contrainte.
Dès lors, plusieurs problèmes se présentent à nous : peut-on considérer la loi autrement que comme une restriction de la liberté ? Dans quelle mesure ? En quoi la loi peut-elle être une composante de la liberté ? Est-il possible de l’outrepasser ? Comment la loi peut-elle être un atout ? Toutes ces questions, nous allons tenter d’y répondre en étudiant, dans un premier temps le caractère ambivalent de la loi, avant de voir, dans un deuxième moment, dans quelle mesure il est possible de dire que la loi est nécessaire à la liberté. Enfin, nous nous intéresserons aux libertés présentes autour de la loi dans un troisième axe de notre développement.
I. La loi a un caractère ambivalent
Nous pouvons tout d’abord remarquer que la loi se caractérise par son ambivalence. En effet, elle impose des devoirs aux hommes, les soumet à son autorité autant qu’elle est pour eux une garantie de la liberté. Mais intéressons nous tout d’abord à la loi comme restriction de la liberté. La loi apparait en effet comme une contrainte de par deux de ses fonctions : elle oblige et interdit. A ses restrictions, les hommes y sont toujours confrontés ; les limites de vitesse du Code de la route, ou l’interdiction d’énoncer des propos diffamatoires par exemple. D’autre part, la loi oblige : elle soumet les hommes à ce qu’on nomme des devoirs. Ainsi, par exemple, les hommes sont tenus de porter assistance à une personne en danger. Kant, d’ailleurs, définit le devoir comme « la nécessité d’accomplir une action par rapport à la morale ». De plus, cette image de la loi comme contrainte est également véhiculée par certaines œuvres comme Le Procès de F. Kafka où le héros, Joseph K. se retrouve en quelque sorte prisonnier de la loi, qui est un véritable étau. Nous pouvons d’autre part évoquer le cas des lois naturelles. Celles-ci sont évidemment le meilleur exemple de la « loi-contrainte » que l’on puisse trouver puisque l’homme y est nécessairement soumis, il ne peut pas les changer ni les transgresser. Nous pouvons, pour illustrer cette idée, évoquer la loi de l’attraction terrestre qui fait que tout est automatiquement attiré vers le sol. Cette suprématie des lois naturelles, Spinoza y adhère. En effet, c’est un philosophe déterministe, c'est-à-dire qu’il justifie tout par la causalité. Et dans ce rapport de cause à effet, les hommes sont soumis aux lois scientifiques. Une citation de Spinoza vient ici tout à propos : « les hommes se trompent en ce qu’ils se croient libres et cette opinion consiste en cela seul qu’ils sont conscients de leurs actions, et ignorant des causes qui les déterminent ». Mais alors que la loi naturelle est forcément contraignante, dans le droit positif, on trouve plusieurs exemples qui mettent en évidence le fait que la loi soit également une garantie des libertés de chacun.
Effectivement, la loi permet également à chaque homme de garantir ses droits et sa liberté. Nous pouvons ici mettre en évidence la troisième fonction des lois : autoriser. Afin de concrétiser cette idée, prenons plusieurs exemples : nous pouvons tout d’abord citer le droit de vote, mais également le droit de grève ou bien le droit, pour les femmes, depuis 1965, de travailler sans l’accord préalable de leur époux. Les droits garantissent aux hommes de pouvoir réaliser certains actes sans être inquiétés. Les droits légalisent et assurent les libertés. Déjà au XVIIIème siècle, J.J. Rousseau dans Du Contrat Social explique que « la loi peut faire plusieurs classes de citoyens, assigner même les qualités qui donneront des droits à ces classes ». Les hommes, grâce à la loi, jouissent donc de libertés qui sont, de surcroit, garanties. Dans ce cas là, la loi n’apparait pas comme une contrainte, mais comme la garantie des libertés. Montesquieu d’ailleurs dans De l’Esprit des Lois, évoque la liberté en ces termes « Dans un état, c'est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et de n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir ». Pour Montesquieu, les lois sont donc dispensatrices de la liberté car ce sont elles qui la garantissent. Elles établissent des limites à l’intérieur desquelles l’homme peut agir. Elles sont donc beaucoup plus montrées comme des frontières favorables à l’homme que comme de véritables contraintes.
Ainsi, la loi se caractérise par son aspect ambivalent, puisqu’elle est à la fois porteuse de droits et de devoirs. Mais nous allons voir que la loi est certes la garantie des droits des hommes, mais tout à fait nécessaire à sa liberté.
II. La loi est nécessaire à la liberté
Nous pouvons ainsi évoquer tout d’abord la nécessité de la loi pour la sécurité des hommes. En effet, alors que l’opinion commune tend à considérer que les hommes seraient bien plus libres sans lois, le concept d’état de nature semble remettre en question cette conception. Hobbes, un philosophe anglais a créé ce modèle dans lequel les hommes ne sont soumis à aucune loi juridique mais seulement à des lois scientifiques qui poussent les hommes à assouvir leurs besoins primaires. Cependant, Hobbes met très vite en avant les dangers d’une telle situation. En effet, il nous montre que cette absence de lois juridiques conduit très vite à l’individualisme ; chacun doit survivre, quelles que soient les fins pour y parvenir. Cela aboutit donc à une situation d’insécurité, où apparait la loi du plus fort. Le philosophe, pour décrire la situation de ces hommes parle ainsi de « guerre de chacun contre chacun », de « misérable état de guerre ». Aussi, de par l’état de nature, Hobbes cherche à montrer que les lois sont indispensables pour la sécurité de chacun, pour que touts les hommes puissent vivre dans la paix, et donc se considérer plus libres, n’étant pas obligés de se cacher par exemple, pour échapper aux plus forts. A la même époque, un philosophe français, JJ. Rousseau met également en scène sa vision de l’état de nature. Bien que certaines divergences apparaissent dans leurs deux conceptions, Rousseau accorde également que les lois sont nécessaires à partir du moment où une société se constitue. Il explique ainsi « plus les passions sont violentes, plus les lois sont nécessaires pour les contenir ». Ainsi, par ce concept fictif d’état de nature, les philosophes soulignent le fait que les lois sont une nécessité pour l’homme puisqu’elles assurent sa sécurité. Elles ne sont donc pas seulement une contrainte.
D’autre part, selon Kant, sans loi morale, il n’y a pas de libertés. Mais d’abord, qu’en est-il exactement de cette loi morale ? Il s’agit d’une loi universelle, éternelle, absolue, normative. C’est en quelque sorte une loi de la raison. L’homme peut évidemment y être soumis, et, selon Kant, ces lois, biens qu’obligations franchissables sont composantes de la liberté. Il dit ainsi qu’une « volonté libre et une volonté soumise à des lois morales sont une seule et même chose ». En effet, une loi morale suppose que face à telle ou telle situation, on puisse choisir entre deux réactions, qui reposent sur des valeurs contradictoires. Prenons un exemple concret. Un enfant, devant une pâtisserie qu’on lui a défendu de toucher peut choisir de la manger ou bien ne pas transgresser l’interdit. L’obéissance et la désobéissance montrent bien que des valeurs contradictoires se présentent et qu’on est libre de choisir. Ce choix qui est à faire suppose donc une liberté, le pouvoir de choisir par soi-même. Dans cet exemple, ce n’est pas la loi qui nous contraint mais nous-mêmes, en fonction des valeurs qui nous sont chères. Selon Kant, la liberté a pour fondement l’impératif catégorique : l’homme doit faire quelque chose et puisqu’il le doit, cela suppose qu’il le peut. Spinoza, quant à lui, va dans le même sens. Ainsi, dans le Traité Théologico-politique, il écrit : « les hommes ont le plus grand intérêt à vivre selon les lois et les critères de leur raison car ceux-ci servent l’intérêt véritable des hommes ». Ainsi, ces philosophes mettent en avant le fait que les lois morales induisent des libertés.
Enfin, Rousseau dans Lettres Ecrites de la Montagne (VIII) souligne le fait que loi et liberté sont deux concepts liés l’un avec l’autre. Effectivement, selon lui, « il n’y a point de liberté sans lois ». De plus, JJ. Rousseau, dans cette même lettre, montre que les lois évitent aux hommes d’être asservis. En effet, il explique ensuite qu’ « il [le peuple libre] obéit aux lois mais qu’il n’obéit qu’aux lois et que c’est par la forme des lois qu’il n’obéit pas aux hommes ». Rousseau, ici, donne donc un nouvel éclairage à notre sujet. Les lois, textes juridiques à portée nationale et ayant force exécutoire, seraient donc moins contraignantes que la soumission à une véritable personne physique. Le philosophe met donc en évidence le fait que les lois, bien qu’étant le produit des hommes, sont toujours des commandements préférables, qui ne donnent pas au peuple l’impression qu’ils sont soumis. La contrainte apparait donc plus dans la personne qui incarne la figure de l’autorité que dans les textes de loi eux-mêmes, comme le souligne Rousseau lorsqu’il déclare « un peuple est libre, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l’homme, mais l’organe de la loi ». En conséquence, nous pouvons donc dire que Rousseau montre ici une facette de la loi bénéfique à l’homme, puisqu’elle lui évite la contrainte de l’asservissement par un autre homme.
Ainsi, la loi fait donc partie intégrante de la liberté. Mais nous allons maintenant voir que l’inverse est également vrai, c'est-à-dire que les hommes sont également libres par rapport à la loi.
III. Il y a des espaces de liberté autour de la loi
En effet, intéressons-nous tout d’abord au choix qu’ont fait les hommes d’obéir ou non à la loi. Le nombre de personnes dans les tribunaux témoigne bien du fait que la loi peut être transgressée. En effet, l’homme étant un être de raison, il peut certes choisir d’obéir à la loi, mais également d’aller à son encontre, du fait de son libre arbitre. Cette idée, Montesquieu la met d’ailleurs en évidence dans De l’Esprit des Lois, où il explique « ils [les hommes] ne suivent pas constamment leurs lois primitives ; et celles-mêmes qu’ils se donnent, ils ne les suivent pas toujours ». Ce choix d’une éventuelle désobéissance met bien en avant la liberté de l’homme face à la loi. Elle n’est donc pas une contrainte puisque les hommes peuvent la transgresser mais plus exactement une obligation. Effectivement, les hommes sont soumis à la loi, mais peuvent, s’ils le choisissent, l’outrepasser, malgré les sanctions que cela peut engendrer.
D’autre part, dans les systèmes démocratiques, c’est le peuple qui est souverain. Aussi, de par le vote, il peut choisir ses lois. Celles-ci émanent donc de la volonté générale. C’est par exemple ce que dit Rousseau dans Du Contrat Social : « il ne faut plus demander à qui il appartient de faire les lois, puisqu’elles sont des actes de la volonté générale ». En effet, le peuple, en élisant ses représentants, peut ainsi espérer voir des lois être mises en place et qui correspondent à ses valeurs. De plus, les lois qui garantissent des droits tels que le droit de grève ou le droit de manifester permettent aux hommes, lorsqu’une loi ne leur convient pas, de faire entendre leur voix, pour que le gouvernement abandonne son projet de loi. C’était par exemple le cas du contrat première embauche en 2006, que le gouvernement a abandonné face au soulèvement des français. Il en va de même à propos du référendum concernant la Constitution pour l’Europe. Ainsi, les hommes ont une emprise sur les lois, ils peuvent faire pression sur l’Etat. Même si la majorité a tort, dans tel ou tel projet, le peuple peut toujours se soulever pour changer la situation. Aussi, à partir du moment où le peuple est lui-même l’auteur de ses lois, il ne peut pas les considérer comme une contrainte, puisqu’il ne s’agit pas d’une force extérieure qui s’oppose à leur volonté, mais d’un texte juridique qu’ils ont eux-mêmes choisi.
Conclusion
En conclusion, nous pouvons donc dire que la loi est une contrainte dès lors où il n’est pas possible de la transgresser, comme c’est le cas avec les lois naturelles. Cependant, il est possible d’outrepasser les lois juridiques et morales. Ces lois ne sont donc pas des contraintes mais des obligations. Les hommes y sont soumis, toutefois, ils peuvent, malgré tous les risques que cela peut engendrer, aller à son encontre et l’enfreindre. De plus, nous avons largement mis en évidence, tout au long de notre développement, le fait que la loi est une garantie de la liberté. Effectivement, elle garantit des droits aux hommes, assure leur sécurité, souligne le fait qu’ils jouissent d’un libre arbitre (dans le cas des lois morales). Enfin, les hommes disposent d’une certaine liberté autour de la loi. Ils peuvent, grâce au système démocratique et aux droits de grève, de manifestation…faire des lois ce qui leur convient. En conséquence, les lois ne sont pas toutes contraignantes pour l’homme. Mais en ce qui concerne les lois naturelles, avec les progrès scientifiques, peut être sera-t-il possible, dans les siècles à venir, de les défier plus ou moins, mais cela ne poserait-il pas un problème d’éthique : la superpuissance de l’homme sans contrainte peut-elle être acceptable ?