Dans ce texte extrait des « Lettres écrites sur la montagne, VIII », Rousseau évoque le thème de la liberté et plus précisément de la liberté socio-politique. Selon lui, la loi permet la liberté, autrement dit, celle-ci existe seulement si elle est garantie par des lois que tout le monde respecte. De « On a beau vouloir confondre » à « une volonté désordonnée » Rousseau affirme que la liberté est totalement différente de l’indépendance, et de « Il n’y a donc point de liberté sans lois » à « je ne sache rien de plus certain », Rousseau met en évidence les relations entre la liberté et la loi. L’auteur argumente sa thèse en nous disant que si chacun faisait ce qu’il lui plaisait, tout le monde se gênerait mutuellement, cela ne correspondrait donc en aucun cas à la liberté, il faut alors établir des lois à qui chacun doit obéir afin d’établir la liberté pour tous. La loi est-elle une condition de la liberté ? Nous allons procéder à une étude linéaire du texte. Nous verrons alors, dans une première partie, que la liberté et l’indépendance sont deux concepts contradictoires, et dans un second temps les relations entre loi et liberté.
I. La liberté et l’indépendance sont deux concepts contradictoires
On constate que dans un premier temps, Rousseau nous éclaire quant à la contradiction entre liberté et indépendance.
En effet, Rousseau souhaite tout d’abord marquer son désaccord en ce qui constitue une opinion commune qui assimile la liberté à l’indépendance, puisqu’en effet, nous croyons bien souvent que nous sommes libres lorsque nous sommes indépendants, c'est-à-dire que l’on agit selon son bon vouloir, et que donc, les lois gênent notre liberté. Rousseau, quant à lui, nous affirme que ce sont deux concepts totalement différents, et que « ces deux choses sont si différentes que même elles s’excluent mutuellement ». La liberté et l’indépendance sont donc différentes au point que l’une empêche la présence de l’autre. On voit donc bien qu’il y a une distinction voir une opposition forte entre indépendance et liberté.
De plus, l’auteur part ensuite de la définition de l’indépendance admise pour tous, pour nous éclairer encore mieux sur le fait que l’indépendance n’est pas la liberté. Etre indépendant c’est le pouvoir d’agir comme bon nous semble. L’auteur met alors en évidence le fait que si tout le monde faisait ce qu’il voulait, il y aurait forcément des personnes à qui cela déplairait : « quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplait aux autres ». En effet, quelqu’un peut décider d’écouter fortement de la musique dans une bibliothèque, puisque rien ne l’en empêche, mais il y aurait forcément des gens mécontents puisque cela les gêneraient dans leur travail. Ce n’est pas de leur propre volonté, mais la volonté de quelqu’un d’autre qui les soumet. Rousseau affirme donc que faire ce que l’on veut, être indépendant « ne s’appelle pas un état libre ». Ainsi, un état libre n’est pas une conjonction d’individus indépendants car ceux-ci s’opposeraient à la liberté de leur prochain.
Par ailleurs, Rousseau fait la conclusion de ce qu’il a dit précédemment : l’indépendance produit le despotisme, c'est-à-dire l’art de gouverné de façon absolue et arbitraire ainsi que l’esclavage. Il affirme que la liberté consiste surtout à ne pas être obligé de faire ce qu’un autre veut que l'on fasse, mais aussi à ne pas obliger un autre à faire ce que l'on veut qu' il fasse, autrement dit, « la liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être soumis à celle d’autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la notre ». En effet, en étant indépendant, donc en faisant ce qu’il me plait, je me mets en position de supériorité, et j’impose un pouvoir arbitraire et donc absolu à autrui, cependant, cela s’accompagne d’une soumission de la volonté d’autrui à la notre c’est-à-dire une obéissance de l’autre sans contraintes, ce qui ne correspond pas à un état libre. La liberté consiste donc à ne pas être soumis mais aussi à ne pas soumettre.
En outre, Rousseau nous explique qu’exercer un pouvoir absolu revient à se soumettre et que par conséquent l’indépendance produit la disparition de la liberté. Il nous indique qu’un maître, autrement dit, quelqu’un qui exerce un pouvoir indépendamment de la volonté générale, ne peut être libre. En effet, celui-ci prive quelqu’un de liberté qui est susceptible d’opposer de la résistance, le pouvoir du despote peut alors se retourner contre lui, par conséquent, l’indépendance en produisant l’esclavage produit également la disparition de la liberté du despote car un homme ne peut, sans être inquiété, imposer sa volonté à celle d’autrui, or Rousseau affirme qu’il n’y a "De volonté vraiment libre que celle à laquelle nul n'a le droit d'opposer de la résistance." En effet, comme le despote est « inquiété » en permanence, il ne connaît pas de vraie liberté et de plus, on comprend qu’à trop vouloir imposer sa volonté à l’autre, à trop dominer l’autre, on lui montre qu’on dépend de lui, or, « la vraie liberté n’est jamais destructive d’elle-même ». C’est pour cette raison que l’auteur affirme que « quiconque est maître ne peut être libre, et régner c’est obéir ». Dans un régime despotique, on a donc d’autant plus de pouvoir qu’on se montre servile et soumis l’égard de ses supérieurs. On remarque alors qu’il n’y a pas de droit dans le domaine de l’esclavage, on reste dans un domaine de force. La liberté ne correspond donc pas à être maître de tout.
Enfin, Rousseau établit un lien entre liberté et justice, c’est-à-dire entre liberté et égalité : il n’existe pas de liberté sans égalité. En effet, en disant que « la liberté sans la justice est une véritable contradiction » Rousseau met en avant le fait qu’il est nécessaire d’établir une clause qui sera la soumission totale et inconditionnelle de tous vis-à-vis de chacun. En effet, c’est cela qui, en établissant l’égalité entre tous, va garantir par là-même la liberté car par exemple si quelqu’un était autorisé à garer sa voiture en plein milieu de la route, cela gênerait les autres voitures, qui seront obligé de la contournée et par conséquent, cela les priverai de leur liberté et cela serai alors ce que l’on appelle une soumission. Il est donc nécessaire que personne ne puisse garer sa voiture n’importe où, mais qu’il y ait des règles, strictement similaires pour tous afin d’être tous dans des positions égales, et afin que personne ne puisse gêner ou priver de liberté autrui. L’égalité est donc une condition de la liberté.
II. Les relations entre loi et liberté
On a donc démontré que la liberté et l’indépendance sont deux choses bien distinctes et que l’indépendance, en produisant l’esclavage et le despotisme reste dans le domaine de la force. Cela laisse entrevoir qu’il n’y aura une liberté qu’à partir du moment où il y aura présence de droits et de lois admises pour tous et respectées par tous. Nous verrons maintenant les relations entre la liberté et les lois.
En effet, Rousseau veut ici nous montrer que c’est en obéissant aux lois qu’on crée notre propre liberté car la loi est par définition l’expression de la volonté générale et chaque personne doit constamment mettre son propre intérêt en relation avec celui des autres afin de viser l’intérêt commun et le sien en même temps. Donc au final, lorsqu’on obéit à la loi, on obéit à soi-même, on est par conséquent dans un état libre. De plus, en visant l’intérêt commun, l’intérêt de tous, on obéit à tous, donc à personne. En définitive, là où il y a des lois, il ne peut y avoir quelqu’un au dessus des lois, ni maître, ni esclave. Dès lors qu’un homme ne vise que ses intérêts particuliers, il ne fait plus la volonté générale. Comme la loi est l’expression de la volonté générale, alors ce quelqu’un se situe au dessus des lois et il n’y a plus de liberté. Pour ces raisons, Rousseau affirme qu’ « Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois ». Les lois permettent donc la liberté.
De plus, Rousseau nous parle de l’état de nature afin d’insister sur le fait qu’obéissance et liberté ne sont pas contradictoires, que même dans la nature, sans lois institutionnelles, il existe une loi et que la définition de la liberté donnée ici s’applique en quelque manière à l’état de la nature. L’état de nature correspond à la situation hypothétique qu’un homme vive en dehors de la société. Dans cet état les hommes auraient été libres, non pas en raison du respect de la loi politique ou civile mais en vertu de celui de la loi naturelle. Celle-ci était innée en l’homme et l'instinct de conservation ainsi que la pitié naturelle aurai été un guide suffisant. C’est cette loi qui exigeait des hommes qu’ils respectent leur prochain et lui portent secours en cas de danger. Dans l’état de nature, il y aurait donc eu une « loi naturelle qui commande à tous » Cette loi aurai été précaire, constamment menacée par le pouvoir et la force de ceux qui préféraient écouter la voix de leur appétit et de leurs intérêts. Par conséquent, même dans cet état, l’indépendance absolue serait illusoire. La liberté et obéissance sont donc liées.
En outre, Rousseau fait ici une distinction entre obéir et servir. La liberté est selon Rousseau, l’obéissance à la loi qu’on s’est nous même prescrite. On n’obéit pas à des puissants hommes, sinon on servirait, on serait soumis, esclave et donc il y aurait une perte de liberté. La liberté est une obéissance à la loi librement consentie par tous et même on n’obéit qu’à soi-même, c’est une volonté libre, ce n’est donc pas une soumission à l’autre. J’ai des chefs, autrement dit, des dirigeants qui gouvernent selon les lois et non pas des maîtres, autrement dit, des personnes qui exercent une domination par la contrainte. Au fond, faire une distinction entre servir et obéir revient à en faire une entre contrainte et obligations. Rousseau inscrit l’exercice de la liberté dans le cadre de l’Etat : on ne peut pas alors lui objecter qu’une loi puisse être injuste et un pouvoir tyrannique. Les citoyens obéissent alors à l’expression de la volonté générale qu’incarnent les lois, sans avoir à servir les intérêts d’un tyran car, cette loi lorsqu’elle est prescrite, appliquée par une autorité, celle-ci est elle-même tenue au respect de la volonté générale. Ainsi Rousseau nous dit qu’« Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas : il a des chefs et non pas des maîtres, il obéit aux lois mais il n’obéit pas qu’aux lois, et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes ». On remarque donc bien que obéir et servir ne correspondent pas à la même chose, que l’un correspond à un état libre et que l’autre non.
Par ailleurs, Rousseau veut nous montrer ici que dans un Etat libre personne n’est au dessus des lois : « ils doivent les garder et non les enfreindre » dit-il en parlant des gouvernants. Les gouvernants eux même doivent donc servir les lois et non servir des lois pour leur propre intérêt et il est donc important de protéger les lois des magistrats qui pourraient être tentés de les transformer, en mettant des « barrières au pouvoir des magistrats » afin de « garantir de leur atteinte l’enceinte sacrée des lois ». Comme une constitution qu’ils ne pourraient changer qu’avec l’accord général et non pas au grès de leurs envies et en ne pensant seulement qu’à leur propre intérêt. En définitive, tout le monde doit obéir aux lois, personne ne peut être au dessus et aucuns magistrats ne peut changer les lois sans un accord général, car les lois sont avant tout, l’expression de la volonté de tous.
De plus, Rousseau nous dit qu’un peuple est libre à condition que la loi ne considère jamais le magistrat comme un individu avec sa volonté particulière mais comme l’organe de la loi c'est-à-dire comme ce qui exprime la loi et donc obéit à la loi, par conséquent la loi ne donne aucun privilège à quiconque, même pas à celui qui gouverne : « un peuple est libre, quelque forme qu’ait son gouvernement, quand dans celui qui le gouverne, il ne voit point l’homme, mais l’organe de la loi ». La loi garantie donc contre la domination de l’autre.
Enfin, pour finir, Rousseau fait la conclusion générale de son texte, selon lui, si les lois disparaissent, la liberté disparaît, si les lois demeurent, la liberté demeure.
Conclusion
On peut donc en conclure que la véritable liberté n’est pas l’indépendance comme beaucoup de personne le pense car indépendance et liberté sont deux concepts contradictoires. En effet, l’indépendant provoque bien souvent la perte des libertés. A l’état de nature, les libertés sont illimitées et imparfaites mais elles sont limitées et garanties par la volonté générale dans la société. De plus, pour garantir les libertés, il est nécessaire que tout individu soit égal, les libertés ne se réalisent donc que dans l’obéissance à la loi qui, expression de la volonté générale, obéissance librement consentie.