Jean Jacques Rousseau écrivain du XVIIIe siècle. Il écrivit son œuvre en partie pour se justifier d’un pamphlet de Voltaire qui répandait des calomnies au sujet de l’auteur. Ce passage, se situe à la fin du Livre I, alors qu’il est en apprentissage à Genève. Il nous raconte une chasse aux pommes, sur un registre épique et parodique.
I. L'évocation des mythes, donnant une dimension à la fois burlesque et épique
a) Le mythe du jardin des Hespérides
Petit rappel de la mythologie grecque : Héraclès, demi-dieu, fils de Zeus et d’une simple mortelle, fut soumis à une épreuve en 12 travaux. L’un de ceux-ci consistait à voler des pommes d’or au jardin des Hespérides. Ce jardin est en fait un verger d’orangers situé en Espagne, ce qui explique l’inaccessibilité de ces fruits considérés sacrés. Héraclès a dû se battre contre un dragon, ce qui explique le registre épique de ce texte. On voit le champ lexical de ce mythe : "jardin des Hespérides" et "dragon". Ce dernier renvoie au maître qui est considéré comme invincible et méchant, ce qui montre une disproportion entre les capacités de Rousseau et la punition qu’il subit.
Ce texte a donc un côté burlesque, puisqu’il s’agit d’un sujet somme toute banal traité en épopée et qui en devient par la même risible. (Comparaison de l’enfant Rousseau à Héraclès)
b) Le mythe de l’Éden
L’Éden est le paradis terrestre où sont nés Adam et Eve. Dans ce jardin se trouve l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal, dont les fruits (les pommes) sont défendus. Cependant, le serpent, qui représente un "modèle réduit" du dragon, puisqu’ils sont symboliquement classés dans la même espèce, les incite à manger la pomme. Punis pour leur faute, Adam et Eve sont renvoyés de l’Éden. La pomme correspond donc à la tentation, qui conduit à la faute.
D’autre part, en latin, "pomme" se dit "mala" qui signifie, dans un de ses sens, "maux". Par un jeu de mots, la pomme est donc devenue le symbole chrétien du Mal, qui deviendra plus tard la base de l’expression : "avoir un pépin".
c) Le mythe de l’âge d’or et de l’âge de fer
Les Grecs et les romains découpaient le temps antérieur en quatre parties.
- l’âge d’Or, où la terre produisait d’elle-même et où les cultures n’étaient pas nécessaires.
- l’âge d’Argent
- l’âge de Bronze
- l’âge de Fer, où il faut travailler pour avoir un minimum vital. C’est aussi le temps des guerres, il faut se battre à tous les niveaux.
Ces quatre périodes peuvent être appliquées à l’homme, l’âge d’Or représentant l’enfance, et l’âge de Fer l’autonomie. L’extrait est la transition entre ces deux âges symboliques. Rousseau croit qu’il peut se servir lui-même, mais il accomplit en fait de nombreux efforts qui n’aboutissent pas.
Ce texte a donc une dimension épique, puisqu’il envisage le rapport entre l’homme et le Mal.
II. Un récit d'action, à la dimension épique
Le récit commence par le passé et se poursuit au présent de narration. Ce changement de rythme correspond à une accélération.
a) Un récit d'action, formant une épopée
- La présence de verbes d’actions : "allongeais, tirais, menais" et l’énumération des actions successives, provoque un rythme soutenu.
- Il interpelle le lecteur par des réflexions lyriques : "qui dira ma douleur". Celles-ci sont disproportionnées par rapport à l’action qu’il accomplit.
- Il utilise de nombreux repères spatiaux temporels qui permettent de faire revivre l’action.
a) Un texte qui raconte une quête
Mais parallèlement, Rousseau découpe et s'attarde sur l’action pour mieux la rendre épique.
Le champ lexical de l’effort montre que Rousseau a engagé une stratégie. Son action devient une prouesse. Ainsi, quand il parle de "précieux fruit", la valeur qu’il lui donne ne dépend que de l’effort qu’il a accompli. Cela s’apparente à une quête.
III. La remise en cause des châtiments
a) Les effets psychologiques pervers
Rousseau, en tant qu’enfant, conclut de cet épisode qu’il peut commettre des fautes tant qu’il est battu pour celles-ci. La punition aboutit à un effet pervers, au lieu d’arrêter de voler, il continue et se sent même autorisé à le faire.
On perçoit sa psychologie, il a l’impression qu’on s’acharne sur lui : "soit, je suis fait l’être". Cela montre une paranoïa et une croyance en la fatalité.
On peut par ailleurs comparer ce passage à celui du vol du ruban, dans le livre II. Dans cet épisode, Rousseau risque d’être puni, or, on le prend déjà pour mauvais, il sera donc menteur... et voleur.
b) Une éducation d'époque difficilement supportable
Rousseau montre aussi un problème social : la disproportion de la punition conduit à la vengeance. L’éducation de cette époque n’est donc pas vraiment adaptée, puisque certaines conséquences sont beaucoup trop importantes, pour une cause relativement minime. Les relations sociales en deviennent donc pernicieuses.
Rousseau évoque son maître et donc l’autorité qu’il ne supporte pas. Le maître n’est mentionné que par des allégories ("dragon"). Lorsque celui-ci lui dit "Courage !", Rousseau défit le maître, car il se prend pour Hercule. Il défie l’autorité pour ne pas avoir à la supporter. Il provoque le maître. Ce schéma se répète d’ailleurs plusieurs fois, il se fait licencier par provocation.
Conclusion
On peut comparer ce passage avec un extrait des Confessions de Saint-Augustin, où celui-ci vole des poires par plaisir de franchir l’interdit. Rousseau vole également sans nécessité. Cependant, Saint-Augustin donne un sens chrétien à cet aveu, qui est une confession à Dieu lui-même. La progression est la suivante : accusation, puis description du larcin, puis contrition, pour obtenir le pardon. Rousseau, lui, cherche à faire rire le lecteur, à le mettre de son côté. Il fait aussi une réflexion sur l’éducation des enfants en remettant en cause les châtiments.