Préambule
Malgré sa santé et son engagement politique, Paul Eluard s’engage dans la Résistance et écrit « Liberté », un poème qui restera dans l’histoire. C’est un des meilleurs poètes du 20e siècle. Bien que ce ne soit pas un fanatique, il appartient au mouvement surréaliste, basé sur l’inconscience, le rêve ou encore le télescopage d’images, tout comme Louis Aragon, André Breton et dont le chef de file est Guillaume Apollinaire. En effet, c’est lui qui a prononcé en premier le terme « surréalisme ».
Le fou d’amour médiéval persiste dans la tradition poétique française, même si, au fil du temps, on a inventé de nouveaux codes amoureux qui ne correspondent plus aux codes de la courtoisie médiévale. Ainsi, les Surréalistes ont-ils réactivés, dès les années folles (1918-1939), ce concept de l’amour fou. Dans Capitale de la douleur, parue en 1926, Paul Eluard s’en inspire pour célébrer Gala, sa 1e épouse. Nous verrons comment le poète surréaliste va réactiver ce topos (sujet type). Nous analyserons d’abord en quoi ce poème est à la fois un éloge du principe féminin et un blason, et ensuite un hymne à l’amour et au monde.
I- Un blason et un éloge
A. Le regard, miroir de l’âme ?
Dans ce poème, dès l’incipit, le regard est mis en relief grâce à « la courbe de tes yeux « , et il se termine avec « regards ». Ce regard est associé à la figure du cercle, dont le champ lexical est très marqué : « tour », « rond », « auréole », « monde ». Ce regard encercle le poète, mais cet encerclement n’est pas une prison ou un piège : cela relève du cercle magique, qui est une vielle pratique magique retrouvée dès le 18e siècle et qui a fortement intéressé les Surréalistes. A la courbe, au cercle magique, on va passer à l’idée de protection par l’adjectif « sûr » pour le berceau, et à une connotation sacrée avec « auréole ». Il y a également un réseau d’image connotant la douceur, la danse en rond, les ailes couvrant le monde : c’est un enveloppement en rapport avec la circularité du poème. Il met aussi en rapport des sens, créant une fusion sensorielle, grâce à des métaphores, comme les yeux qui sont associés aux sourires parfumés. On remarque qu’il y a aussi une série d’appositions caractérisant les yeux de Gala. Ces yeux sont donc refuge et principe de vie. Les images sont foisonnantes, parfois insolites, mais avec des rapports d’analogie subtile.
B. La Femme magistrale
Le principe féminin, cher aux Surréalistes (c’est l’amour fou), met en relation le platonisme et l’épicurisme, qui sont des tendances philosophiques grecs. Cette femme est source de vie, et la vie du poète dépend de la vie de cette femme, ce qui démontré vers 4-5 avec « dépend » et répété vers 13-14, qui signifie que le principe féminin est nécessaire à la vie. Cela paraît tellement indispensable que c’est relié à la naissance : « berceau », « couvée ». Ce principe de vie est affirmé au vers 15 : c’est la pointe du poème. En effet, il relie le sang au regard, alors que normalement le sang est relié au cœur. Il y a donc une transfusion entre l’amant et l’amante.
Ce qui renvoie à nous interroger sur la conception de l’amour dans ce poème.
II- L’hymne à l’amour
A. L’amour fusionnel
La complémentarité est marquée par le jeu des pronoms personnels (« je ») et des adjectifs possessifs relatifs à l’attribut que sont les yeux de Gala. Cet amour fusionnel se fait par le rythme binaire, crée par une succession de juxtaposition, qui a un effet accumulatif mais en même temps un bercement. Il y a alors réciprocité et complémentarité dans l’offrande, qui est suggérée et pas nommée. Le dernier vers en fait un rite sacré et un mystère.
B. L’amour sacré
Les motifs religieux marquent la renaissance et la purification sacrée : - l’auréole, qui permet de distinguer les personnages sacrés - la paille des astres, qui renvoie à la naissance du sauveur des Chrétiens et à l’étable de Bethléem - la montée du sacré est montrée par le rythme, mais aussi par la construction syntaxique (les deux derniers quintiles ne forment qu’une seule phrase; les 7 premiers vers symbolisant une montée progressive et les 3 derniers une montée sublime). On peut donc dire que cet amour est idéalisé car la femme apparaît comme une divinité et la relation est plus cosmique que charnelle. Des images hyperboliques, telles que « le monde entier » ou « tout mon sang », provoquent une sorte d’élargissement magistral.
On en conclut que le poète revivifie le topos du blason renaissance, le blason de l’œil (c’est une ouverture au monde). Il est renouvelé dans le sens, le but et la manière, à l’aide d’images originales. Il s’agit plus d’un éloge du principe féminin que de la femme Gala. A travers le thème de l’amour fou et des associations d’idées chères aux Surréalistes, le poète accorde une large place aux rêves et revient, d’une certaine manière, à des conceptions très anciennes : l’amour sacrée, le mythe de l’androgyne et les codes de l’amour courtois.