Le chapitre 18 correspond au milieu exact de Candide. C’est une pause dans le récit. Beaucoup de péripéties, axées sur l'expérience du mal et sur la cruauté humaine se sont déjà écoulées. Ce chapitre se passe en Eldorado, un univers où tout est le mieux pour le meilleur des mondes, tout est positif. C'est donc une utopie, à travers laquelle Voltaire décrit le fonctionnement d’une société idéale et critique la société européenne.
L'Eldorado est une vieille légende, un pays ou tout est en or, où toutes richesses sont en abondance. Beaucoup l'ont recherché, Marco Polo, Christophe Colomb... mais personne ne l'a jamais trouvé. Elle a alimenté l’imaginaire des gens. Ce nouvel univers est donc idéalisé, utopique. L’auteur invite à décrypter, à déceler la part d'utopie et le fait qu’il ne puisse exister.
I. Description d’une société idéale
a) Un univers inverse
Tout l’univers d’Eldorado fonctionne sur les inversions par rapport à notre univers. Il ressemble en quelque sorte à un miroir de notre société.
La garde est assurée par des femmes. La dimension féminine est donc accentuée. C’est aussi l’esthétique qui est mise en avant : "belles filles". Et de manière générale, l’aspect esthétique est très important à Eldorado : on insiste beaucoup sur l’architecture, la beauté. Accumulation avec les fontaines. Il n’est jamais question d’aspects pratiques, on ne parle que de la beauté, tout est misé sur l’esthétique. De nombreuses références au visuel et à l’olfactif.
Les coutumes sont déconcertantes, avec nombreuses inversions avec le monde réel : le caractère grandiose et le décalage entre le fait que ce sont deux voyageurs. La familiarité avec le Roi est très importante : "embrasser", "baiser des deux côtés". L’accueil chaleureux du roi explique une égalité entre Roi et citoyens. Le respect de l'étiquette n’existe plus mais la morale est respectée. Eldorado témoigne également d’un grand intérêt pour les sciences, le savoir. Le Palais des sciences est gigantesque. Il est découvert à la fin par Candide, il est émerveillé "ce qui le surprit davantage".
Dans cet univers, tout fonctionne sur l’insolite, pour montrer que l’Eldorado est le meilleur des monde.
b) L’Eldorado, un paradis terrestre
L’Eldorado est un monde parfait, merveilleux, un univers où tout est beau, un paradis sur Terre, marqué par superlatifs "prodigieuse", "le plus de plaisir". Des hyperboles ainsi que des accumulations le prouvent également. Toutes les images sont associées au luxe et à la richesse, axé sur le gigantisme, sur la richesse et la variété du matériau par exemple. Les fontaines sont répétées de nombreuses fois. L’abondance est exprimée avec des hyperboles : "deux cent vingt pieds de haut et de cent de large", "mille musiciens", "mille colonnes", "deux milles pas".
L'accueil lui-même est très luxueux : "tissu de duvet de colibri" ; "mille musiciens", "réception à souper", "carrosse". Le palais est gardé pour la fin car c’est le meilleur. Des hyperboles le caractérisent : "galerie de deux milles pas", "toute pleine d'instruments de mathématique et de physique". Au delà du luxe, on a ici la description de la société parfaite. Il n’y a aucune prison. Le mal est inexistant à Eldorado, il n’y a donc aucun criminel, aucune justice. Tout va bien pour le meilleur des mondes.
Il y a donc beaucoup à voir à Eldorado mais la description faite n’est pas très longue, laissant place à l’imagination. Il n’y a pas besoin d’en faire plus. Voltaire multiplie les indices pour que le lecteur ne prenne pas au pied de la lettre ce qui est dit. Il ne faut pas être aussi naïf que Candide.
II. Regard critique et distancié
a) Un univers douteux
Candide est très naïf, c’est très important pour le récit. Il est trop attaché à ce qu’il voit et ne prend aucune distance ou n'émet aucun jugement. Il n’a aucun esprit critique, tout ce qu’il voit est considéré comme réel. Il n’est absolument pas surpris de ce qu’il voit, il n’est pas émerveillé, il ne se pose pas de questions.
Il a une attitude ridicule devant le Roi entre autre. C’est la question sur le cérémonial qui le ridiculise : "si on léchait la poussière", "si on mettait les mains ( ... ) sur le derrière". C’est très excessif et en devient ridicule.
Voltaire crée une complicité avec son lecteur : Eldorado n’est qu’une utopie.Il insiste sur les perfections exagérées. A force d'être parfait, ça devient excessif, il en fait trop. Un jeu entre le conteur et le lecteur s’installe. Ce monde n’est par ailleurs pas parfait : il y a des limites à la liberté, à la tolérance. En effet, personne ne peut en sortir : il est isolé du reste du monde. Preuve que les utopies ont des limites. De plus, Cunégonde ne s’y trouve pas. C’est ce qui cause le départ des deux héros. Ce monde n’est pas tout à fait parfait, Cunégonde est absente.
b) Exposé des idées de Voltaire
A travers cette utopie, Voltaire expose un certain nombre de ses idéaux.
Il y décrit l'absence de violence, avec une société fondée sur la courtoisie et le respect d’autrui. Aucune criminalité et donc, pas besoin de justice. Une autre rapport humain, avec l'égalité hommes femmes. Cette idée est celle des philosophes des lumières. De même le monarque y est tolérant, proche de ses sujets.
L’argent n’y a pas d’importance ( "ces cailloux et ce sable que nous nommons or et pierreries" ). L’or est nommé "boue jaune". A l'inverse les sciences y sont développées. En particulier les mathématiques et les physiques.
Une société urbaine, dans une ville qui privilégie l’esthétique. Les villes y sont pensées pour être utiles et agréables : "grandes places, pavées d’une espèce de pierres qui répandaient une odeur semblable à celle du gérofle ou de la cannelle".
L’idée de tolérance et de relativisme revient souvent. Voltaire fait aussi une critique implicite de l’optimisme : ce monde est excessif et faux. L’optimisme est du côté de l’utopie.
Conclusion
L’ensemble du chapitre permet de nuancer. Au delà des apparences, il y a des imperfections : ce sont les limites de l’utopie. Voltaire nous indique ici qu’il ne sert à rien de rechercher une société idéale mais qu'il vaut mieux rechercher la société la meilleure possible. Il fait donc une satire de l’utopie. C’est un philosophe pragmatique, il refuse le dogmatisme (les idées sans preuves).