Hamlet est une tragédie de Shakespeare, auteur de nombreuses pièces du XVIIème siècles. Cette pièce relate la lutte d’un jeune prince humaniste et philosophe pour maintenir sa position. En effet, son père a été tué par son oncle. Ce dernier a épousé par la suite la mère du jeune intellectuel. Hamlet deviendrait donc gênant si jamais le couple avait des enfants. Hamlet voit le spectre de son père et après une reconstitution des faits, le jeune homme est certain de la culpabilité du nouveau roi. Il décide donc de feindre la folie afin de piéger son entourage et venger son père. De plus, celui-ci sait que son oncle a décidé de l’éliminer. Hamlet dans les scènes précédentes a tué Polonius, un courtisan du roi. Le roi mis au courant de ce meurtre par la reine veut savoir où se trouve le corps du défunt. Comme Hamlet refuse de révéler l’endroit à Rosengrantz et Guilderstern, deux de ses camarades de mèche avec le roi, ce dernier le convoque dans le but de le faire avouer. Il s’en suit donc un dialogue dont le ton est ironique. Mais derrière ce comique, à travers cette folie, n’y a-t-il pas un réel malaise du côté d’Hamlet ? Quel est le rôle réel de la folie dans cet extrait ? L’étude du comique de la folie, puis de ses limites permettra de comprendre en quoi les deux combinés amènent à un questionnement sur le rôle de la folie dans le pathétique.
La première chose qui saute aux yeux du lecteur à la première lecture de ce dialogue est que celui-ci fait rire. En effet, Hamlet a un discours très imagé et farfelus aux premiers abords. C’est un vrai discours de fou. Ainsi, Hamlet qualifie le petit asticot de « seul empereur en matière de manger » (v.21). Il va même jusqu’à humaniser ceux-ci e, qualifiant les vers de « congrès de vers politiques » (v.20). Il inverse beaucoup de conceptions communes chez l’homme : ce n’est plus l’homme qui mange mais qui est mangé. Il met même à la carte « Roi et mendiants maigres » qu’il qualifie de « menu varié » (v.25). Hamlet fait donc beaucoup d’assemblages d’images très comiques. Ceux-ci peuvent paraître très farfelus. Au-delà du discours d’Hamlet, on remarque que ses répliques peuvent paraître en décalage avec les questions du roi. Ainsi quand il lui demande où est Plolonius, Hamlet se contente de répondre qu’il est « à souper ». Mais le lecteur sait aussi bien que le roi lui-même que Polonius est mort. Et lorsque malignement, le roi lui redemande où le défunt est à souper, Hamlet reprend cette même phrase nominale en y ajoutant un verbe au passif. On comprend donc que c’est Polonius qui est mangé et non l’inverse. Tout au long du dialogue, Hamlet poursuit son discours sans réellement faire attention à celui du roi qui est très lapidaire. De plus Hamlet continue à détourner les questions, et lorsque le roi réitère sa question sur le leur où se trouve Polonius, Hamlet lui répond encore une fois semble-t-il tout aussi décalé, car il lui évoque le « ciel » (v.33) tout en lui conseillant d’y envoyer « quelqu’un pour y voir ». Ce dialogue parait donc comme un dialogue de sourd avec deux interlocuteurs hermétiques aux attentes et réponses de l’un et l’autre. Hamlet fait rire par son décalage ironique.
Malgré cela, Hamlet tient un discours totalement construit. En tant qu’intellectuel celui-ci montre une argumentation et une logique qui font de son discours un raisonnement très structuré, presque scientifique. Il refait tout le cycle naturel de la chaîne alimentaire. Ainsi les hommes sont mangés par les vers, les vers par les poissons qui eux-mêmes sont mangés par les mêmes hommes qui sont mangés précédemment. Son discours est tellement bien structuré que l’on pourrait même croire à sa conclusion un peu folle que les hommes mangent les hommes à travers les poissons pêchés. Hamlet tient donc un discours qui semble complètement fou mais finalement n’a-t-il pas répondu aux questions du roi par des moyens détournés? Il ne faut pas oublier que la folie n’est qu’un stratagème pour se jouer de son destin. Il a conscience de cette finalité inéluctable qu’est la mort. Au-delà du comique réel de ce texte n’y a-t-il pas une certaine tension pathétique?
On comprend donc que la situation d’Hamlet est grave. Ainsi, dans ce dialogue ressort tout d’abord une tension certaine entre les deux hommes. Le roi reste stoïque face au discours de son beau-fils et neveu. Il tente de savoir par toutes les ruses possibles où est le corps de son courtisan. On remarque donc que le roi pose plusieurs fois la même question. Ceci montre sa réelle détermination. Il tente même de rentrer dans la folie du Prince lorsqu’il demande où Polonius est à souper tout en sachant que ce dernier est décédé. De plus il essaye de comprendre le discours du fou quand il lui demande: «Qu’entends-tu par là? ». C’est comme si il essayait de récolter le plus d’indices possibles.
Mais encore, bien au-delà de cette simple confrontation pour savoir où est le corps, ce dialogue met en avant un jeu réel pour le pouvoir, la vie et la mort dans ce discours. En effet, le roi joue sur son autorité dans ce dialogue. Il tente d’asseoir son pouvoir en voulant prendre le dessus sur Hamlet : le faire avouer prouverait sa supériorité. Le jeu d’Hamlet ici aussi montre cette rivalité c’est-à-dire que le prince en ne répondant pas défie l’autorité de son oncle. Hamlet sait très bien qu’il risque la mort.
Face à cette conscience du danger, Hamlet fait des menaces directes au roi. Il explique dans son raisonnement sur les asticots que la mort d’un roi finalement n’a rien d’exceptionnel et d’inéluctable lorsqu’il compare le « roi gras et mendiant maigres » en les mettant sur « la même table »(v.26). De plus, le lecteur comprend bien qu’il se moque ouvertement du roi, par exemple il lui conseille d’allé chercher « dans l’autre endroit (lui) -même »(v.33-36). Tout le discours et réponses du prince sont donc aussi un jeu intellectuel pour tenter de gagner cette confrontation. Il existe dans ce dialogue un réel enjeu qui met en avant le fait que la folie d’Hamlet joue un rôle important dans le tragique de ce dialogue.
Avant tout, le premier constat est que le thème de ce dialogue est la mort. C’est d’ailleurs l’objet de beaucoup d’images et de métaphores comiques. C’est aussi la cause des répliques d’Hamlet. Lorsqu’il dit que « tout finit là »(v.26) ou encore lorsqu’il évoque le « ciel » (v.38), ce sont bien des références à la mort. Cette référence à la mort si proéminente montre bien qu’un malaise profond se cache derrière la folie du prince et de même que ce dialogue se place dans une situation profondément tragique car Hamlet ici lutte contre son destin (ainsi que le font les héros de tragédie grecque).
La folie ici, joue un rôle de dédramatisation de la mort et même minimise celle-ci. Hamlet réduit la fin des êtres à un repas pour des asticots, et peu importe le rang social durant la vie. Ou alors, il n’évoque le corps de Polonius qu’à travers l’odeur que celui-ci dégagera « si d’aventure (ils) ne le (trouveraient) pas avant la fin du mois ». Hamlet se joue même de la mort et défie celle-ci comme il défie le roi. On retrouve une sorte de courage extraordinaire dans ce personnage qui à travers son discours ne laisse transparaître aucune peur face à la mort et son destin. Ici encore on peut retrouver un des caractères du héros de tragédies grecques.
Il y a tout de même une nuance à préciser dans cette comparaison d’Hamlet avec le héros grec. Hamlet grâce à sa folie se joue réellement de son destin alors que le héros grec lui subit son destin. En défiant le roi et ses ordres, il défie en même temps sa mort qu’il sait prochaine. Ainsi, le tragique de la liberté succède au tragique du destin. La folie d’Hamlet dans ce texte dessert tout de même le tragique de la situation, car c’est celle-ci qui l’a poussé à ce stratagème. Le dialogue est donc profondément encré dans une situation tragique.
Il y a un réel écroulement des barrières entre le comique et le tragique dans ce texte. Le comique ici ne retranscrit par la folie cache une situation tragique. Tout au long de la pièce Hamlet feint la folie qui donne un ton ironique au texte mais le lecteur, tout comme le prince, a toujours en tête le fait que celui-ci joue sa vie et que le mort n’est jamais loin. Ce passage rentre bien dans la lignée de la pièce entière de ce point de vue-là mais un fait a changé quelque peu la situation : le meurtre de Polonius par Hamlet montre au roi que c’est devenu une personne qui peut-être dangereux pour lui, un « fou dangereux ».