Tout le monde a effectué des actes sans en avoir conscience. Ces actes sont effectués sous l’effet de l’inconscient. Est-on capable d’avoir une notion plus ou moins précise de l’inconscient qui nous fait produire ces actes sans que nous n’en ayons conscience? Est-il possible de percevoir la nature, la constitution et les manifestations de l’inconscient de manière précise ? Après avoir vu la structure de l’inconscient, nous verrons comment ces mystères sont le propre de l’inconscient.
I. On peut connaître en partie l'inconscient par sa nature
Avant Freud, certains philosophes avaient déjà montré que la représentation cartésienne du psychisme humain était insuffisante. Pour Descartes, l'esprit s'identifiait avec la conscience, avec la pensée claire et distincte. On pouvait avoir accès, par la conscience, à tout ce qui se passe en nous, sans possibilité d'erreur (cf. fait que le malin génie ne pouvait nous tromper concernant tout ce qui se passe dans notre esprit). Dès le 17e, un contemporain de Descartes, Leibniz, a répondu à Descartes que cette conception du psychisme humain n'est pas valide, et est insuffisante. Pour Leibniz, contrairement à Descartes, on ne peut pas rendre compte du psychisme, et même du comportement en général, sans reconnaître l'existence de pensées inconscientes. Sa thèse va être que l'on n'a pas accès (ou conscience de) à tout ce qui se passe en nous. La pensée n'est pas toujours pensée consciente: nous pensons toujours mais nous n'avons pas conscience de toutes nos pensées.
Dans le texte Nouveaux Essais, Préface, pp.41-42, Les petites perceptions, Leibniz insiste sur ce point : il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais, sans aperception ou réflexion ; il y a des changements dans notre âme, dont nous ne nous apercevons pas. Leibniz soutient donc qu'il existe deux sortes de perceptions dans notre esprit. En effet je peux entendre un son sans m'en apercevoir, sans savoir que je l'entends. Cela nous montre la nécessité de reconnaître l'existence de pensées ou perceptions inconscientes, qui ne laissent pas de faire toujours leur effet sur nous, mais qui ne sont aperçues (consciemment) qu'à un certain moment. La conscience émerge de l'inconscient : on voit bien qu'il y a ici un passage graduel de l'inconscience à la conscience. On passe donc à la conscience à partir d'éléments inconscients. On connaît donc l’inconscient, mais également sa structure.
En effet, Freud va élaborer le concept d’un inconscient qui est une instance à la fois psychique et distincte de la conscience, et ayant ses propres structures et ses propres lois de fonctionnement et d’action. Dans ce qu'il appelle sa "topique" (représentation en quelque sorte spatiale du psychisme humain), Freud compare l'appareil psychique à une maison à trois étages. Ces trois parties se distinguent l'une de l'autre et possèdent chacune ses propres contenus et lois de fonctionnement, le plus souvent en conflit:
- 1er étage : La conscience qui recueille l’ensemble des valeurs moralement admises par la société. En conséquence, elle refuse ce qui lui apparaît incompatible avec ces valeurs.
- 2ème étage : le préconscient qui stocke des éléments qui furent conscients, mais qui n’ont pas la nécessité de l’être en permanence.
- 3ème étage : L’inconscient au niveau le plus profond ; il est composé d’éléments subissant un refoulement, dû à la censure qui, dans la vie quotidienne, sépare l’inconscient du système préconscient, et interdit aux pulsions et aux désirs qu’elles suscitent l’accès au conscient.
L'inconscient est donc pour Freud l'ensemble des désirs les plus primitifs, souvent sexuels, qu'ils soient refoulés ou originaires, constitutifs de tout homme. En général, on dit que ce sont des désirs refoulés (dans l'enfance) qui le constitue. Le concept d'inconscient s'enrichit donc : il n'est plus seulement un réservoir de "contenus" échappant à la conscience. Ces contenus sont dotés d'une signification, ils sont acceptables ou non par la conscience, et donc, "refoulés" par la conscience dans l'inconscient. Il a donc acquis, par rapport à la tradition classique, un sens positif : lieu psychique qui a ses contenus représentatifs spécifiques, une énergie et un fonctionnement propre.
On connaît donc la structure de l’inconscient, mais cet inconscient a des moyens de s'exprimer ; on va donc pouvoir d’une certaine manière y accéder et le connaître.
II. On peut connaître en partie l'inconscient par ses manifestations
En effet, les actes manqués et les lapsus sont une manifestation de l’inconscient. Lors d’un lapsus ou d’un acte manqué, l’inconscient profite d'une circonstance favorable, extérieure, pour contourner le barrage que fait habituellement la conscience et se faufiler au dehors. Des mots que je dis à la place d'autres, sans raison apparente, mais qui en fait révèlent un désir inconscient : ainsi un président d'une assemblée, au lieu de déclarer "la séance est ouverte", peut manifester son ennui (inconscient) en disant : "la séance est close". Ou au lieu d'aller à l'école, je vais au bar du coin : acte où le résultat visé consciemment n'est pas atteint et se trouve remplacé par un autre; c'est donc le symptôme d'un fonctionnement inconscient et un compromis entre l'intention consciente (aller à l'école) et le refoulé (ne pas avoir envie d'y aller), et donc, une manifestation de l'inconscient.
L’inconscient se manifeste à travers l’hystérie ; en effet, l'hystérie est un trouble qui se manifeste de façon corporelle. Exemple : des tics, des peurs, des phobies, des répétitions de certains actes, etc. Longtemps, l'origine de ces troubles est restée énigmatique. À tel point qu'au Moyen Âge, les femmes qui en souffraient étaient accusées de sorcellerie. Plus tard, on attribua ces troubles à la frustration sexuelle. Freud trouva, grâce à son hypothèse de l'inconscient, une explication plus "rationnelle" de l'hystérie : ainsi, selon lui, quand les conflits entre les exigences de la conscience et les désirs refoulés (inconscients) sont trop violents, et qu'on fait trop d'efforts pour rejeter les pensées/désirs inavoués dans l'inconscient, il arrive que l'on se mette à souffrir de troubles du comportement, qui se manifestent de façon corporelle. Les symptômes hystériques seraient dus à des chocs affectifs, dont le patient ne s'est pas libéré (ils traduisent un moment de la vie du sujet qui lui échappe). Les symptômes hystériques sont donc les moyens détournés qu'ont trouvés les désirs refoulés pour se satisfaire.
Mais là où l'inconscient se manifeste le plus, c'est la nuit pendant le sommeil. Alors, la censure laisse se manifester les contenus inconscients, qui font surface dans les rêves. Comme le dit Freud dans Introduction à la psychanalyse, "le rêve est la satisfaction inconsciente et déguisée d’un désir refoulé" : satisfaction déguisée pour que justement la conscience en laisse émerger des fragments plus ou moins nombreux et cohérents, dans lesquels elle ne reconnaît pas ce qu’elle avait d’abord refoulé.D’où cette satisfaction au réveil : satisfaction liée au sentiment, à l'impression, d'avoir réalisé un désir, et d’avoir pu tromper la conscience.Les rêves obéissent donc à une logique rigoureuse, celle de l'inconscient. Cette logique : règles selon lesquelles les contenus s'associent, s'échangent selon des lois (déplacement, condensation, symbolisme). Le rêve a un contenu manifeste et un contenu latent. Le contenu manifeste est ce dont nous avons conscience, et le contenu latent, son sens caché, inconscient. Il y a un travail d'élaboration du rêve (autre manière de dire que l'inconscient travaille, a des lois de fonctionnement propres) : c'est le passage du contenu latent au contenu manifeste; c'est un travail d'encodage, de déformation (puisque ces idées latentes du rêve sont toujours des désirs inconscients) qui se produit sous l'influence de la censure (moins sévère qu'à l'état de veille). Ce qu'il faut bien retenir, c'est que l'inconscient fait tout pour ne pas se faire reconnaître (sinon, ça ne passerait pas la censure) L’objet réel du désir sera remplacé dans le rêve par un objet généralement associé à l’objet réel, ou par un symbole de cet objet réel. -Précision : cet objet ressortit généralement des domaines faisant l’objet des désirs et craintes les plus violents et conflictuels : la mort, la naissance, la sexualité.
Exemples de symboles :
-la mort peut être symbolisée par le voyage, le départ
-la naissance, par la sortie de l’eau
-les activités et organes sexuels, par des objets ou situations qui leur ressemblent par une caractéristique quelconque : cannes, parapluies, robinets, crayons, objets qui s’allongent, serpents, etc. Ce sont là des exemples fréquents, souvent culturels, correspondant à des symbolismes codifiés, mythes, contes populaires ou expressions populaires dans le langage courant.
Ce qu'il faut retenir, c'est que l'ordre des éléments est souvent inversé. Il y a en quelque sorte une logique propre de l'inconscient Le psychanalyste fera un travail d'interprétation, inverse du premier, pour chercher ce sens caché permettant ainsi de connaître la nature de l’inconscient.
Nous pouvons connaître certains aspects de notre inconscient, mais une grande partie reste mystérieuse et incompressible.
III. Mais l'inconscient par essence reste en partie mystérieux
Effectivement, l’inconscient est propre a chacun mais personne ne peut vraiment dire de quel souvenir il est fait, ni de quelle pensé ou désir il est composé. En effet, l’inconscient reste un mystère pour l’homme ; il est composé de sentiments, de pulsions et de désirs refoulés. Mais chaque sujet possède des sentiments différents des désirs propres ; il est donc impossible de définir exactement de quoi l’inconscient est constitué. C’est le cas durant le sommeil ; la censure se situe entre inconscient et préconscient. En conséquence, les désirs accèdent à ce dernier, où ils trouvent des travestissements possibles. Le rêve présente le contenu manifeste et le contenu latent. L’interprétation du rêve consiste à analyser le contenu manifeste pour remonter de ces images et de ces mots jusqu’à ce dont ils constituent la version acceptable. Mais il existe une grande difficulté à analyser le rêve car il n’y a pas correspondance terme à terme entre les éléments manifestes et les éléments latents. En effet, un élément manifeste peut représenter plusieurs éléments latents et le centre du contenu latent peut être totalement modifié, ou même absent du contenu manifeste. De plus, chaque rêveur à une façon personnelle de symboliser le contenu latent.
La nature de l’inconscient reste donc actuellement une énigme pour les hommes ; mais pas seulement, l’homme ne peut définir à quel instant l’inconscient va se manifester et va arriver à passer la censure, à se déguiser pour tromper la censure et arrivé dans le conscient. En effet, on ne prévoit pas un lapsus ou une phobie. Les mots que je dis à la place d'autres, sans raison apparente, mais qui en fait révèlent un désir inconscient comme un président d'une assemblée, qui au lieu de déclarer "la séance est ouverte", peut manifester son ennui (inconscient) en disant "la séance est close" ne prévoit pas cet acte. Il ne pouvait savoir que son inconscient allait se manifester.
L’instant de manifestation de l’inconscient nous est donc toujours inconnu, de même que la forme que va prendre l’inconscient pour se manifester. De même qu’on ne peut distinguer à quel moment il agit et à quel instant notre pulsion ou désir va être refoulé pour être modifié. Personne ne peut connaître un désir dont il n’a pas conscience d’avoir ; je ne peux pas savoir que mon désir sexuel est refoulé si je n’ai pas conscience que j’ai un désir sexuel à un instant précis. Les désirs à un instant donné étant différents pour chaque sujet, il est impossible de définir exactement la nature de l’inconscient.
Conclusion
Nous ne pouvons douter de l’existence de notre inconscient ni de la connaissance de sa structure décrite par Freud. L’inconscient est resté durant de nombreuses années un grand mystère mais aujourd’hui une grande partie est connue. En effet, en plus de sa structure et sa place dans l’appareil psychique divisé en trois étages suivant la topique de Freud on connaît les différentes formes de manifestation de celui-ci, ainsi que son contenu. Effectivement même si l’on ne peut définir exactement la nature des désirs de notre inconscient on ne peut nier que celui-ci est composé de désirs.
De plus, ignorer quand l’inconscient va se manifester et sa nature est le propre de l’inconscient. En effet, la définition de l’inconscient par opposition au conscient et d’agir à notre insu sans que nous n’en ayons conscience et d’être constitué d’éléments que la conscience refuse d’admettre ; on ne peut donc pas y accéder et connaître leurs natures. Nous connaissons l’existence de l’inconscient sinon on ne pourrait en parler. Nous connaissons sa structure grâce à Freud, les éléments qui le composent et ses manifestations qui nous aident à mieux le comprendre. On peut donc connaître l’inconscient même si certains éléments nous échappent.