Depuis la nuit des temps philosophes et scientifiques établissent de nouvelles théorie, qui se succèdent les unes aux autres, qui se complètent ou qui s'opposent. Dans ce dernier cas, l'idée la plus récente vient remettre en cause la valeur de sa précédente et de ce fait, cette nouvelle théorie devient l'objet de nombreuses contestations, parfois virulentes. Ce qui peut s'expliquer par le fait qu'elle vient contredire la plupart du temps des valeurs qui sont acceptées comme viables universellement et ancrées dans les esprits. Prenons l'exemple très connu de Galilée et de l'héliocentrisme. Sa théorie s'est révélée comme extrêmement déplaisante et très fortement critiquée (même si ici, le cas est un peu particulier car des raisons de pouvoir religieux y sont mêlées) car le fait que la Terre constitue le centre du monde était reconnu comme un fait indiscutable par la population, les esprits dit « pensants » et les différents pouvoirs de l'époque. Cette idée a donc bouleversé ce que l'on considérait alors comme une valeur certaine et infalsifiable.
Lorsqu'une théorie est venu remettre en cause le pouvoir essentiel que croyait détenir l'Homme -celui d'être maître de ses actes et pensées-, ce fut à nouveau l'occasion d'une effusion de critiques acerbes mais logiques. Cette théorie définit une formation psychique séparée de la conscience (rappelons que la conscience est ce qui dirige nos actions volontaire et réfléchies et qui nous permet de prendre du recul sur ces dernières) et qui serait à l'origine de certains comportements et/ou de certaines idées qu'on ne peut expliquer de façon rationnelle.
Cette théorie est celle de l'existence de l'inconscient, et à la vue des nombreuses oppositions qu'elle a soulevées la question que l'on peut se poser est la suivante : est ce que cette théorie a réellement lieu d'être? Sigmund Freud qui est lui-même l'auteur de ladite théorie nous répond par l'affirmative dans un extrait issu de son ouvrage Métapsychologie. Il y avance trois raisons principales : la première est qu'elle est nécessaire pour expliquer certains phénomène psychiques, la seconde qu'elle est légitime et enfin il nous apporte des preuves de cette nécessité et légitimité. C'est donc ce que nous allons tenter d'approfondir et d'expliquer à travers notre analyse.
En effet, le droit de travailler scientifiquement -c'est à dire comme si les propos avancés avaient été démontrés, prouvés et reconnus par une majorité de scientifiques- avec cette thèse est contesté de « tous côtés ». D'où le discours que tient ici Freud : il répond à ses détracteurs en la présentant dès le départ comme
une « hypothèse », donc comme une supposition admise à priori et dont on se propose de vérifier la validité : c'est une chose vraisemblable et non pas encore une réalité. Il nuance donc ses dires mais ce n'est que pour mieux affirmer ensuite que cette « hypothèse est nécessaire ».
Nécessaire car indispensable pour expliquer dans un premier temps les nombreux ''manques'' de notre conscience (ce que Freud appelle lacunes) -j'entends par là les nombreuses choses dont on n'a plus souvenir, les représentations psychiques auxquelles on ne prête pas attention, notamment- et qui touchent sans distinction tous les Hommes, qu'ils soient « sain[s] » ou « malade[s] ».
Nécessaire également, pour comprendre des actes psychiques qui restent incompréhensibles si on se refuse à accepter un psychisme inconscient car il s'expliquent par d'autres actes, eux-même inconscients : « des actes psychiques qui, pour être expliqués, présupposent d'autres actes qui, eux, ne bénéficient pas du témoignage de la conscience. » selon la terminologie freudienne. En effet, ces actes ne peuvent être appliqués au principe du ''Cogito Ergo Sum'' de Descartes -qui veut que l'on soit conscient de tout ce qui se passe en nous-, ils sont donc le fait de quelque chose qui ne dépend pas de moi, qui ne dépend pas de ma conscience. En conséquences, ils sont donc le fruit d'un psychisme inconscient.
Ces actes, tout comme « les données [...] extrêmement lacunaires » de la conscience se manifestent chez l'Homme sain comme chez l'Homme malade mais sous des formes différentes pour l'un et pour l'autre. Chez un individu en bonne santé psychique, ils prennent l'apparence d'actes quotidiens anodins tels que « les rêves » ou encore « les actes manqués » mais chez un individu considéré comme souffrant ces actes incompréhensibles sont « ce qu'on appelle symptômes psychiques et phénomènes compulsionnels ».
Avant d'aller plus avant dans notre analyse il nous faut définir ces exemples afin de faciliter notre compréhension : les symptômes psychiques sont principalement traduits par les névroses, ils sont les signes des tentatives de ''retour du refoulement'' ; c'est à dire que des pensées, des désirs (sexuels, agressifs...) incompatibles avec les aspirations morales du sujet ont été refoulées et tenteraient donc de se manifester à la conscience de façon indirecte, voilà ce que sont ''les tentatives de retour du refoulé''.
Les phénomènes compulsionnels quant à eux, sont des symptômes d'un type particulier, des idées obsédantes, la répétition d'actes dont le sujet souhaiterait pouvoir se débarrasser, sans y parvenir. Il se sent poussé et ne peut s'empêcher de les accomplir, l'angoisse l'envahit lorsqu'il ne les accomplit pas : par exemple l'éxécution d'un rituel complexe et compliqué avant de se coucher et sans lequel il est impossible de trouver le sommeil.
Les actes manqués, eux, désignent certains échecs de la conduite quotidienne , ceux qu'on ne peut s'expliquer. Je voulais par exemple poster une lettre : mais voilà que j'oublie de le faire (plusieurs fois peut être) sans raison, alors que d'ordinaire cet acte banal ne me pose pas de problème.
Pour finir, les rêves sont un des symptômes psychiques révélant les tentatives de ''retour du refoulé''.
Mais il ne faut pas perdre de vue que ces quatre cas d'actions conscientes résultant d'actes inconscients ne sont que des exemples, ce n'est pas une présentation exhaustive car « notre expérience [...] personnelle nous met en présence d'idées qui nous viennent sans que nous en connaissions l'origine, et de résultats de pensées dont l'élaboration nous est demeurée cachée », ce qui pourrait constituer de nouveaux exemples.
Dans ces quatre exemples, la conscience éprouve son incapacité à maîtriser et comprendre certains phénomènes psychologiques, or, si la conscience ne peut maîtriser certains actes elle ne respecte pas la théorie selon laquelle l'Homme est maître de ses actes et pensées. La théorie freudienne de l'inconscient s'oppose donc à la théorie de Descartes qui affirmait « [qu'] il ne peut rien se passer en moi dont je ne soit conscient ».
D'après ce que nous venons de dire dans un premier temps, l'inconscient est donc une hypothèse nécessaire car il permet d'expliquer des actes, des pensées et des comportements conscients qui, jusqu'à présent restaient obscurs, illogiques et incompréhensibles si l'on se bornait à vouloir les percevoir à travers notre conscience mais d'après Freud, ils peuvent s'ordonner et trouver même une certaine cohérence.
En effet, l'auteur nous affirme « [qu']ils [les actes] s'ordonnent dans un ensemble dont on peut montrer la cohérence, si nous interpolons les actes inconscients inférés ». Pour plus de clarté dans notre explication, commençons par définir le terme ''d'actes inconscients inférés'', cette terminologie désigne des actes inconscients qui sont supposés grâce à des faits conscients que l'on a constatés et que l'on a supposé être le résultat desdits actes inconscients. Plus clairement, un acte inconscient inféré est un acte conscient qui est perçu comme le résultat d'un cheminement, d'une action, qui lui est inconscient.
Ce que Freud veut donc nous signifier est que, ces actes que l'on considérait comme « incohérents et incompréhensibles » prennent un sens certain, avec une cohésion entre eux dès lors que l'on accepte l'hypothèse de l'existence d'un psychisme inconscient, à côté de notre psychisme conscient.
Ce « gain de sens et de cohérence » comme le dit l'auteur lui-même, permet de « justifi[er] pleinement » le fait d'aller au delà de « l'expérience immédiate ». Ce qu'il veut nous faire comprendre par là c'est que grâce au fait qu'à présent ces actes sont devenus compréhensibles, on trouve une justification à approfondir les recherches concernant l'inconscient, à ne pas se borner aux résultats immédiats des expérience effectuées dans ce cadre là.
Ce qui justifie donc cette hypothèse de l'existence d'un inconscient, ce sont des fait psychiques aperçus de nous mais qui ne peuvent pas être expliqués par la conscience (comme les rêves, les actes manqués, les symptômes de maladies psychiques...). L'existence de tels faits permet d'inférer (voir définition ci-dessus) l'existence d'une vie psychique inconsciente. Ces ''indices'', une fois expliqués et acceptés, on valeur de preuves en faveur de cette hypothèse une fois qu'elle est émise et permet donc de pouvoir pousser plus avant des recherches au sujet de l'inconscient.
Ces preuves, dont nous venons de parler, Freud nous en dit que c'est « la pratique couronnée de succès », par laquelle, avec le docteur Breueur (son collaborateur dans cette expérience) ils ont pu, par rapport à un but précis et défini à l'avance, influencer le « cours de la pensée » et que cette preuve est justement « incontestable[...] ». D'après lui donc, le succès de la mise en pratique de cette hypothèse (qui a consisté à influencer la conscience par le biais de l'inconscient) est une preuve suffisante de l'existence de cet inconscient.
D'un point de vue objectif, la théorie de Freud est donc tout à fait recevable puisqu'elle s'avère être nécessaire et légitime et que, de plus, il nous en apporte des preuves. Ce n'est donc « qu'au prix d'une prétention intenable que l'on peut exiger que tout ce qui se produit dans le domaine psychique doive aussi être reconnu de la conscience. »
Pourtant, après réflexion, l'auteur peut nous apparaître de façon mois ''honnête'' qu'il ne le devrait. En effet, comme l'a dit Jean Paul Sartre cette thèse peut être de ''mauvaise foi'', et pour cause : si nous refoulons certains désirs, c'est que la censure chargée juger comme décents ou non nos désirs doit choisir et donc, pour choisir se représenter, or les représentations sont de l'ordre de la conscience.
Pour Sartre, la notion de mauvaise foi suffit à expliquer les conduites dont Freud voulait rendre compte à travers son hypothèse de l'inconscient. Etre de mauvaise foi, c'est mentir, y compris à soi même, c'est donc quelque part se fuir. Le recours à cette notion serait donc une façon de ne pas assumer la liberté de libre-arbitre dont on dispose afin d'avoir une ''excuse'' si l'on franchit les interdits qu'a posé l'éthique sociale. Ce qui, d'ailleurs pouvait déjà être le sens de la critique d'Alain qui écrivait ceci : « Il faut éviter de croire [...] que l'inconscient est un autre Moi ; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses ; une sorte de mauvais ange [...]. »
De plus, Freud a force de vouloir valoriser son hypothèse dans le but de la faire accepter l'a lui-même discréditée. En effet, en présentant des preuves qui, en apparence, n'ont rien de scientifique puisque non-cliniques, comme « incontestable », les présente comme infalsifiables, irréfutable. Et c'est justement là -si je peux me permettre l'expression- que le bât blesse : une théorie scientifique ne peut jamais être vérifiée dans le sens où l'on ne peut jamais affirmer qu'elle est absolument vraie ; l'on peut seulement la réfuter en se fondant sur des faits précis et en démontrant qu'elle est donc fausse. Une théorie véritablement scientifique doit donc énoncer les cas pour lesquels elle ne serait plus valable, or Freud nous affirme que sa thèse est valable dans tous les cas. C'est une critique que l'on pourrait retrouver dans les écrits du philosophe Karl Popper.
L'intérêt de ce texte est donc de nous définir les fondements de la théorie de l'inconscient tout en voulant la défendre et la faire accepter des scientifiques afin de pouvoir l'exploiter comme une technique médicinale et scientifique dans le but de soigner des malades psychiques, des névrosés, par le biais de l'inconscient. Cette technique est nommée l'inconscient. Freud dans ce but ''d'acceptation'' a souhaité nous démontrer la nécessité ainsi que la légitimité de son hypothèse ; et, pour l'appuyer à voulu nous en apporter des preuves.
Ce sont justement ces preuves qui permettent au lecteur de réfléchir sur la réalité de cette théorie : est-elle une réalité exploitable scientifiquement ou quelque chose de vraisemblable mais qui n'est pas de bonne foi comme ont eu l'air de le penser Sartre et Popper ?
Quoi qu'il en soit, il ne faut pas oublier que Freud, malgré le fait qu'il soit le plus célèbre, n'a pas été le seul à parler d'un psychisme inconscient. Nietzsche et Rimbaud, même si ils n'ont pas employé la terminologie ''d'inconscient'', le rejoignent d'une certaine façon puisqu'ils ont affirmé que « Je est un autre ». Leibniz peut lui aussi être vu comme en accord avec la théorie freudienne mais de façon plus nuancée puisqu'il affirme quant à lui que tout ce que nous avons vécu et croyons avoir oublié subsiste en réalité en nous sous formes de traces infimes.
La théorie de Freud a donc été contestée, l'est encore aujourd'hui mais est également soutenue. Comme nous l'avancions dans notre introduction, la thèse de l'inconscient, bien qu'opposée à celle de la conscience comme fondement total de la personne est venue la compléter, mais jusqu'à quand ? Jusqu'à ce qu'une nouvelle théorie vienne à sont tour contester les dire de Sigmund Freud ?