Ce texte de Spinoza, philosophe hollandais du XVII ème siècle, porte sur une conception de la liberté qu'il met en lien avec les notions de raison et d'esclavage. L'auteur expose différentes situations dans la société dans lesquelles on trouve, ou différents types "d'esclavage", ou différents types de liberté.
Ainsi on peut poser comme question problématique: dans quelle(s) situation(s) peut-on dire qu'un homme est libre vraiment, et d'ailleurs qu'est-ce que la vraie liberté? Ou encore, obéir est-ce renoncer à sa liberté?
La thèse de l'auteur est de dire que l'homme libre n'est pas nécessairement celui qui commande et/ou fait ce qui lui plaît, mais au contraire que l'homme libre se définit comme celui qui agit en raison et de façon utile pour le bien commun et par là-même, pour son propre bien.
On peut partager ce texte de la manière suivante, en 3 parties:
Tout d'abord de la phrase "On pense que" jusqu'à "un esclave inutile à lui-même". Dans cette partie l'auteur part d'une pensée commune comme quoi l'homme libre est celui qui commande et l'esclave celui qui obéit. Ensuite, Spinoza dément cette pensée en exposant sa thèse qui serait plutôt que l'homme libre se définit comme étant un être qui agit en raison et non attaché à ses penchants ou ses envies. Pour lui, on peut tout à fait obéir d'une façon ou d'une autre, sans nécessairement être esclave et au contraire être un homme libre.
Ensuite, de la phrase "au contraire, dans un état" jusqu'à " à l'utilité des enfants", l'auteur confirme sa thèse en prenant deux exemples, celui de l'Etat et des sujets qui obéissent pour le bien commun et donc pour eux-mêmes, et l'exemple des enfants qui obéissent à leurs parents. Mêmes si les sujets et les enfants, de deux manières différentes, obéissent, ils ne sont pas nécessairement esclaves.
Enfin de la phrase " Nous reconnaissons donc" jusqu'à "et par conséquent aussi par lui-même." l'auteur conclue en résumant les trois définitions qu'il donne de l'esclave, du fils et du sujet.
Dans la première partie, Spinoza énonce une pensée commune qui définit l'esclave comme étant un homme qui agit par commandement, c'est-à-dire qui n'est pas totalement, voire pas du tout libre de faire ce qu'il veut comme il le veut. Il obéit à un maître ou un supérieur et fait ce qu'on lui demande sans se poser de question. Par opposition, il y aurait l'homme libre qui agit selon son bon plaisir, qui fait ce qui lui plaît et ne reçoit d'ordre de personne. On aurait donc ici une situation un peu manichéenne avec d'un côté les hommes libres qui agissent de la manière qui leurs plaît, et de l'autre les esclaves qui agissent sous la contrainte, selon des ordres. Ceci ne semble pas convenir à Spinoza qui affirme que cela n'est pas totalement vrai. Pour Spinoza on peut tout aussi bien être esclave de son plaisir, c'est-à-dire de soi-même. être dominé par ses penchants, ses envies et au fond ne rien faire d'utile d'abord pour soi-même et ensuite pour la société. Pour Spinoza c'est d'ailleurs " le pire esclavage". L'homme libre pour lui est celui qui agit de son plein gré d'une part, et de façon raisonnable d'autre part, c'est-à-dire de manière réfléchie en pesant et en examinant les conséquences de ses actes, en mesurant leurs utilité pour lui-même et pour les autres membes de la société.
Ensuite, l'auteur examine le cas de celui qui obéit et qui certes est susceptible de perdre une certaine liberté, mais qui n'est pas esclave pour autant, du moment que le pourquoi de son action lui est utile à lui-même et non exclusivement à celui qui le commande. Pour Spinoza le fait d'obéir à une personne qui ne recherche que sa propre satisfaction est inutile et est considéré comme étant de l'esclavage, puisque les actes posés ne servent qu'à une seule personne et n'ont pas de fins constructives pour la société.
Dans une seconde partie, l'idée principale serait de dire que l'obéissance n'est pas nécessairement un esclavage. Pour se faire l'auteur propose deux exemples concrets. Tout d'abord, celui de l'Etat et des sujets, ou on pourrait dire aujourd'hui, des citoyens. Si on part du principe, comme le fait Spinoza, que la loi fondamentale d'un Etat est le "salut de tout le peuple" ou autrement dit le bien de la société, le fait de faire ce que l'on juge le mieux pour l'Etat en question, alors le fait d'obéir à celui qui dirige cet Etat est considéré, selon l'auteur, comme un acte libre et utile à chacun. Les hommes constituants cet Etat sont donc libres d'agir en fonction de leur raison et ainsi les lois de cet Etat seront également établies de façon raisonnable et alors cet Etat pourra être considéré comme étant libre. On entend ici le mot "libre" avec la définition qu'en donne Spinoza, c'est-à-dire vivre de son entier et plein gré sous la seule conduite de la raison. Ainsi dans ce cas, obéir n'est pas considéré comme un esclavage mais comme un acte utile à tous.
De la même manière, l'auteur pose l"exemple de tous les jours, des enfants qui obéissent à leurs parents, non pas parce qu'ils y sont forcés absoluement, mais parce qu'il apparaît évident aux yeux de l'auteur que les commandements des parents sont d'une grande utilité à leurs enfants, puisqu'ils le font dans le but de les éduquer, et la plupart du temps, de la meilleure façon possible. L'enfant n'est pas un esclave dans le sens où il fait ce que lui demandent ses parents pour son bien propre et non pas dans un but inutile.
Dans une troisième et dernière partie, Spinoza résume en quelque sorte les trois catégories d'hommes qui obéissent et qu'il a définit, en dehors de celle de l'homme libre, à savoir tout d'abord l'esclave qui agit seulement pour le "plaisir" ou le confort de son maître et qui n'a pas d'autre choix. Ensuite viens le fils, qui obéit à ses parents parce qu'il sait consciemment que c'est pour son bien, que cela lui est utile; et enfin le sujet qui agit en raison, non seulement pour lui-même mais aussi, par le fait d'obéir au chef de l'Etat, pour "le bien commun", pour la construction d'un Etat libre et raisonnable, c'est-à-dire qui agit en fonction de la raison, de manière réfléchie, intelligente.
L'intérêt de ce texte, ou ce qui fait son originalité, c'est que l'auteur défend ici le concept de l'autorité sous une forme plus ou moins implicite et de manière nuancée. Il remet en cause une idée toute faite et un peu simpliste que la liberté c'est de faire ce que l'on veut. Il nous montre que si il n'y a pas vraiment de règles ou de lois, il est tout aussi réducteur de se laisser aller à ses penchants personnels que d'être esclave dans le sens obéir de force à un maître. Il apparaît assez clairement chez Spinoza que la raison est une chose essentielle dans le concept de liberté, puisque c'est en agissant avec raison que Spinoza considère l'homme comme un être libre.
On peut également voir chez cet auteur une forme d'opposition au régime anarchique ou chacun ferait ce qui luiplaît sans se soucier des autres et des conséquences que cela pourrait engendrer.
On pourrait reprocher à Spinoza d'avoir une idée assez utopique d'un Etat où toutes les lois seraient faites en fonction du bien du peuple, ainsi que d'une société où chacun agirait en raison et non pas uniquement pour soi, mais pour la société. En effet chacun sait qu'il est difficile pour un homme de ne pas profiter d'une situation avantageuse, comme par exemple être riche ou bien haut placé dans la société, ou encore même de diriger un Etat. Il existe toujours la tentaion assez forte de tirer avantage d'une certaine situation et de n'en faire profiter que soit ou sa proche famille. Il semble donc difficile de concevoir la réalisation d'un tel Etat ou d'une telle société étant donné l'égoïsme naturel de l'homme.
On peut penser que l'idée de Spinoza sur ce qu'est un homme libre est acceptable car il est vrai qu'être libre ce n'est pas nécessairement faire ce que l'on veut et on peut citer cette phrase assez connue: "Ma liberté s'arrête là où commence celle des autres". En effet il y a une certaine part de liberté dans le fait de faire ce que l'on a envie, mais seulement dans la mesure où cela n'a pas d'incidences négatives sur ceux qui m'entourent. Cela implique bien évidemment le respect d'autrui. Bien sur il peut être tentant parfois de passer outre les règles et d'agir selon nos envies mais alors nos actes pourraient enfreindre certains principes fondamentaux de la morale commune à la majorité de la population mondiale, comme par exemple ne pas voler, ne pas tuer... etc.
En conclusion, on peut dire que ce texte propose une définition de l'homme libre, ou plus généralement de la liberté, qui consisterait dans le fait de vivre et d'agir en raison et de son plein gré, même si cela implique qu'il faille obéir à quelqu'un de plus expérimenté ou de plus haut placé dans la société et donc, par conséquence, ne pas toujours faire ce dont on aurait envie.
A l'inverse l'obéissance n'est pas nécessairement un esclavage si le fait d'obéir conduit à une utilité, au moins pour celui qui l'accomplit, voire pour le reste de la société.
Mais ce texte ouvre sur une nouvelle question problématique que l'on peut se poser: jusqu'où faut-il faire preuve d'obéissance?