[tp]1) Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie.[/tp]
Spinoza, dans ce texte, montre que toute communauté politique doit être fondée sur deux principes : celui de la liberté et celui de la raison. Il établit en conséquence de cela une distinction entre trois formes d'obéissance, toutes trois nécessaires au bon fonctionnement de la cité : l'obéissance de l'esclave, celle de l'enfant, et celle du sujet - c'est-à-dire de l'individu membre de la communauté politique évoquée par Aristote (de La communauté politique à avant tout par l'intérêt des enfants...).
Dans un second moment du texte (de Il existe donc selon nous... jusque la fin du texte) Spinoza montre que ces trois formes d'obéissance sont établies de manière hiérarchique : le plus bas degré de la liberté est celui de l'esclave; le plus haut degré de la liberté est celui du sujet, c'est-à-dire celui qui participe à la vie politique elle-même - participation dont par définition l'esclave et l'enfant (ou le fils) sont exclus.
[tp]2) Montrez en quoi l'obéissance de l'enfant et du sujet se distinguent de l'obéissance de l'esclave.[/tp]
a) L'obéissance de l'enfant et du sujet se distinguent de l'obéissance de l'esclave en fonction de ce paramètre qu'Aristote nomme "intérêt". En effet, pour ce qui concerne l'esclave, les ordres ne sont pas établis en fonction de son propre intérêt, mais en fonction de celui de son maître. C'est pourquoi il n'est pas libre : son obéissance ne lui procure aucun avantage propre. Il n'en est pas tout à fait de même pour l'enfant : il obéit, certes, aux ordres de ses parents, ce qui le place dans une situation d'infériorité par rapport à eux, mais il en retire obligatoirement un certain bénéfice, puisque ses parents établissent leurs ordres en fonction de son intérêt à lui. Quant au "sujet", on peut considérer qu'il est libre, puisqu'il obéit à l'autorité politique (la "souveraine Puissance") afin de contribuer à l'intérêt général, qui coïncide avec son propre intérêt.
Dans le cas du sujet et de l'enfant, l'obéissance leur procure un bénéfice, lié à l'intérêt qu'ils ont d'obéir. En revanche, l'esclave ne jouit d'aucun avantage. L'obéissance ne lui rapporte rien. C'est en quoi il est moins libre que l'enfant, lui-même moins libre que le citoyen.
b) Ce texte est avant tout un texte de nature politique : Spinoza décrit le rôle du citoyen, qu'il nomme "sujet", au sein de la communauté politique. La souveraine Puissance, c'est-à-dire l'Etat, ou, comme le précise la note en marge de ce texte, "l'instance qui détient l'autorité politique", est garante de l' "intérêt général", conçue comme intérêt de chacun et de tous. L'intérêt particulier, montre Spinoza, coïncide avec l'intérêt général : en participant à l'intérêt général, le sujet ou le citoyen participe à son propre intérêt.
c) La liberté décrite dans ce texte s'établit en fonction de la nature de l'obéissance de chacun, et des bénéfices que chaque individu retire de cette obéissance. Plus un individu est dépendant d'une autorité, moins il est libre. C'est pourquoi l'esclave ne jouit d'aucune liberté. Il obéit en quelque sorte "gratuitement". Son obéissance n'est la source d'aucun gain. L'enfant, en revanche, trouve un bénéfice quand il obéit à ses parents, puisque les ordres lui sont donnés pour son propre bien à lui. Cela lui confère par conséquent une certaine liberté. Quant au sujet, il est le plus libre des trois, puisque l'obéissance au détenteur de l'autorité politique a pour finalité l'intérêt général, laquelle coïncide avec son propre intérêt. Spinoza montre ainsi, à travers l'exemple du sujet, que l'on peut être libre tout en obéissant. Mais ce n'est pas, bien sûr, le cas de l''esclave.
[tp]3) Est-on d'autant plus libre que les lois auxquelles on obéit s'appuient sur la raison ?[/tp]
Spinoza place au centre de sa théorie politique le concept de "raison" : c'est pourquoi on classe cet auteur parmi les philosophes dits "rationalistes", au même titre, par exemple, que Descartes, Hobbes ou Locke. Mais de manière générale, tous les philosophes des 17ème et 18ème siècle sont convaincus que la raison est le propre de l'homme, et qu'elle est au fondement de toutes les sciences. La raison, dans cette optique, est établie par opposition à la sensibilité , considérée comme étant source d'erreurs ou de faux jugements, et à la foi, qui relève de l'ordre de la croyance ou de la superstition. La raison ne prend donc son véritable sens qu'en fonction de ces deux types d'opposition. Le principe de raison est par ailleurs ce qui marque la philosophie occidentale dans son ensemble. Les philosophes de l'Antiquité grecque s'attachaient déjà à proposer une vision rationnelle du monde.
Spinoza privilégie la raison, par conséquent, pour fonder la théorie politique selon laquelle le citoyen d'un Etat moderne doit être libre. D'une certaine manière, la liberté ne peut être fondée sur un autre principe que sur celui de la raison. Le citoyen est donc un homme à la fois libre et raisonnable. A la suite de Spinoza, au 18ème siècle, Rousseau écrira, dans "Le Contrat social", qu'il n'existe pas de liberté sans lois. Il veut signifier que la liberté ne signifie pas l'absence de contrainte; l'absence de contrainte, le fait de n'obéir à personne, ne correspondent pas à la liberté. Pour Rousseau, il ne s'agit pas alors de liberté, mais d'indépendance : seul l'homme à l'état de nature est indépendant. A partir du moment où une société politique est fondée, l'homme doit renoncer à son indépendance. Il y gagne sa liberté : car il n'existe pas de liberté à l'état de nature. Seul l'homme qui est passé de l'état de nature à l'état social est libre. Il perd certes son indépendance, mais il gagne sa liberté. C'est ce que Rousseau nomme "le contrat social" : l'homme établit un pacte en vertu duquel il renonce à l'indépendance de l'état de nature, pour fonder un Etat de droit, c'est-à-dire un Etat dans lequel il y a des lois. Par l'intermédiaire de la volonté générale, l'individu, obéissant à tous, n'obéit à personne, explique Rousseau. Ainsi la "volonté genérale" est-elle liée à l'édification de l'Etat, et coïncide t-elle avec la liberté de l'homme.
Peut-on néanmoins affirmer que l'état social, établi sur les fondements de la raison, soit le garant de notre liberté ? Obéir aux lois, est-ce être libre ?
Certainement, dans la mesure où nous venons d'établir, à l'instar de Rousseau, qu'il n'existe pas de liberté sans loi. Hobbes a montré, de son côté, que l'homme, à l'état de nature, était "un loup pour l'homme". L'homme ne peut pas être libre, estime en substance Hobbes, si sa vie est constamment menacée. C'est pourquoi il faut, comme chez Rousseau, un "pacte social", à l'issue duquel la sécurité de l'individu sera établie. Car la liberté humaine peut en effet être source de menaces et de violences : je suis libre de tuer et libre de m'emparer des biens d'autrui, par exemple. La liberté individuelle ne peut être une valeur en soi, si être libre consiste à priver autrui de sa propre liberté. Et un être raisonnable ne peut désirer tuer son prochain ou lui dérober ce qu'il possède. C'est en quoi la raison est profondément liée à la liberté. De surcroît, nous ne vivons pas seul, mais avec les autres. Nous ne pouvons à ce titre envisager notre liberté indépendamment de celle d'autrui.
Il se pourrait néanmoins que la loi nous prive de notre liberté, si celle-ci s'avère injuste. Les lois ne sont pas toujours synonymes de justice ou d'équité. Les lois de l'ex-URSS ou celle de l'Etat nazi étaient des lois iniques. Les lois des Etats qui ne sont pas des Etats de droit - nous venons de donner deux exemples de ce qu'ont pu être, au siècle dernier, un Etat totalitaire de gauche et un Etat totalitaire de droite - sont des lois qui, opprimant l'individu, le prive de sa liberté la plus fondamentale. Parmi ces lois fondamentales figurent, par exemple, la liberté d'expression ou la liberté de penser.
On peut donc affirmer que nous sommes d'autant plus libres que les lois auxquelles nous obéissons s'appuient sur la raison, à condition néanmoins que ces lois respectent les droits fondamentaux de l'individu. On ne peut pas, aujourd'hui, par exemple, considérer que les individus ne sont pas égaux. Dans le cas de l'esclavage, le principe d'égalité entre les hommes est bafoué: un Etat considérant que les esclaves doivent obéir inconditionnellement à un maître n'aurait plus, aujourd'hui, aucune légitimité. Tous les hommes naissent libres et égaux en droits, selon la Déclaration des droits de l'homme, établie en 1789. De la même manière, un Etat considérant que la femme est inférieure à l'homme, et à ce titre moins "libre" que lui, ne saurait être légitime. La "raison", évoquée par Spinoza, est aujourd"hui corrélée aux principes de liberté, d'égalité et de solidarité. C'est néanmoins ne pas tenir compte du fait que la raison elle-même, et le courant rationaliste dans son ensemble, ne sont pas exempts de dérives. C'est toute la différence existant entre le "rationnel" et le "raisonnable". L'homme rationnel doit également être un homme raisonnable. Est raisonnable l'individu qui adopte une attitude ou une conduite sensée, conforme aux attentes de la majorité des individus.