On aurait tendance à croire qu’un homme seul serait quelqu’un qui vivrait complètement isolé du monde. Cependant cette solitude se caractérise de deux manières : celle qui est voulue et celle qui est imposé par le destin. La solitude volontaire a pour origine les relations conflictuelles que nous pouvons avoir avec des personnes ou encore que l’étouffement envers la société qui ne nous permet pas une vie heureuse par rapport aux contraintes qu’elle nous impose. Ainsi pour trouver ce bonheur tant recherché, ne faut-il pas mieux s’isoler, s’éloigner de toute société humaine ? Cependant la solitude à laquelle il accède vient toujours de ce que la société leur a apporté. La solitude involontaire viendrait du fait qu’un homme sera depuis le début isolé. Mais cet isolement permet t’il de dire que cette personne est encore humaine ? Peut-on imaginer un humain dont toute la vie se déroulerait à l’écart ne n’importe laquelle des sociétés ? Qu’est ce donc qu’un homme seul ?
La plupart de nos possibilités proviennent de la société d’où nous sommes. Le langage est l’un des exemples les plus évidents ; notre conscience elle aussi est d’origine sociale. En effet, elle n'est pas innée. Dans Phénoménologie de l’esprit, Hegel essaye de retracer l’histoire de la conscience qui pour lui ne peut se poser qu’en s’opposant c’est à dire que pour que la conscience s’affirme, nous avons besoin de la présence de l’autre. C’est Autrui qui nous permet l’essentiel de la constitution même de la conscience de soi. Ainsi, je n’existe que parce que Autrui a reconnu mon existence. Cette reconnaissance passera par le conflit. Chacun tentera de se faire connaître. L’un sera le maître, l’autre l’esclave. Le maître parce qu’il préférera plutôt mourir que de ne pas être reconnu. Le dernier sera l’esclave car il aura pris peur et préfère garder sa vie sauve. C’est ainsi que l’on obtient l’exemple du rapport du maître et de l’esclave : chacun aura pris par l’autre conscience de soi, l’esclave prend conscience de sa mortalité tandis que le maître prend conscience de soi par la reconnaissance de l’esclave. Cependant au bout d’un moment, il peut y avoir une autre forme de rapport conflictuel entre l’un et l’autre. Le maître a besoin de son esclave pour contenter ses propres désirs, à un moment il ne peut plus exister sans son esclave donc il y a une forme de dépendance, il devient l’esclave de l’esclave. L’esclave de par son travail a pris conscience de lui et de l’attitude de son maître, il va alors essayer de se libérer de son maître. Ceci se voit dans l’histoire à travers la libération des esclaves. Ainsi, au bout de ce rapport, il y a une liberté qui s’affirme.
Cependant, la personne qui s’exclut de la société, comme le solitaire ou encore l’ermite, tente de profiter plus sereinement de la nature afin de réfléchir, de méditer sur le monde. Pourtant, la satisfaction qu’il tire de cette nature requière l’efficacité de sa conscience ce qui renvoie donc à la présence d’Autrui ou de ce qu’Autrui nous a instauré. Ceci montre bien que nos compétences intellectuelles ne se développent qu’à travers un cadre de société, qui nous inculque nos premiers objets mentaux comme les mots et qui nous permet de déterminer nos réactions émotives, affectives. Ainsi la société nous donne des modèles à partir duquel notre comportement se détermine. Que nous les acceptions ou que nous nous en éloignions, ces modèles sont considérés comme le fondement de notre manière d’être. L’homme est le seul animal qui a une conscience et qui peut exprimer ses pensées, il peut donc se penser lui-même.
L’homme qui vit dans une société, vit dans une société qui lui dicte les normes auxquelles il doit s’y conformer. Ainsi, la société le contraint comme pour les autres hommes à avoir une personnalité propre, à être semblable, ce qui est à l’encontre de sa nature qui fait qu’il est capable de se penser lui-même et de vivre dans la singularité. De plus, le rapport avec Autrui fait qu’il nous juge. Et par ce jugement, l’homme tente de paraître, il joue alors un rôle qui n’est pas le sien. Sartre le prouve dans L’être et le néant, le garçon de café joue à être garçon de café ainsi Autrui l’empêche d’être lui-même. La solitude semble être alors le seul recours à cette libération, à être lui-même. Pourtant, malgré ces contraintes et cette présence d’Autrui, nous ne sommes pas semblables, chacun a des goûts qui lui sont propres. Comment serait donc alors celui qui a vécu toute sa vie en dehors de la société et du rapport avec Autrui ?
Un homme, qui a vécu toute sa vie en dehors de la société, est considéré comme quelqu’un qui depuis la naissance a vécu dans la solitude. Le portrait de cet homme montrerait qu’il ignore le lien social qu’il a eu c’est à dire qu’il ne connaît pas ses parents. De plus, il ne posséderait aucune caractéristique propre à l’humanité : il n’a pas de langage, pas de réelle pensée. Il est incapable d’inventer quoi que ce soit, puisque toute découverte reste impossible à transmettre. Il mène peut être une vie en corrélat avec la nature qui lui apporte de la nourriture. Cette solitude totale signifie une absence d’apport culturel, c’est un être humain qui devient privé de « nature », il n’est pas déterminé à tel ou tel type de comportement.
L’absence de nature initiale a pour conséquence que l’homme, comme individu biologique, doit recevoir de son entourage des modèles : il doit alors tout apprendre du point de vue intellectuel mais aussi physique (ce qui sous-entend la démarche, les attitudes…). L’exemple de « l’enfant sauvage » montre les conséquences de cet isolement total. Ce qui le caractérise c’est qu’il n’a pas pu développer sa personnalité. Ila été pris en charge très tôt par les animaux, il copie l’attitude des animaux qui la recueillis, il ne parle pas. Ils n’a ni langage, ni pensée, ni affectivité. Son quotient intellectuel est très sous développés, il n’atteint pas celui d’un enfant de bas âge. Il n’a pas acquit en eux un développement d’humanité. Sans Autrui, il n’est pas donc nous ne sommes pas. Un homme seul ne se fait pas lui-même car la personnalité ne se constitue pas, ce n’est que grâce à Autrui que l’on se définit. Les autres formes de solitude ferait-elle des hommes différents de celui ci ?
Il reste deux autre cas de solitude. Tout d’abord, il y a le cas très particulier de l’autisme. Cette maladie apparaît dès les premières années de la vie. L’autiste est quelqu’un qui se trouve isolé des autres à cause de sa maladie mentale. Il préfère se replier sur lui-même car il a le sentiment que les gens qui l’entoure l’agressent. Etant donné qu’il vit en société, on ne peut pas dire que sa solitude est réelle. Cependant, cette forteresse qu’il érige provoque une rupture des relations sociales. Il ne veut plus avoir de relation avec Autrui. Il s’obstine à ne pas parler créant ainsi une solitude psychologique. La rupture avec Autrui provoque une fin du moi. Cette maladie est perte de soi-même. On peut retrouver là quelque similitude entre l’autiste et la personne isolée qui n’a jamais vécu dans la société, il y a eu pour les deux une coupure avec Autrui. Ils ont tous les deux grandi sans les autres perdant ainsi leur « moi ».
Comme autre forme de solitude, il y aurait celui qui a eu une solitude involontaire mais qui a tout de même eu une vie sociale. C’est ce que montre le roman de Tournier, Vendredi ou les limbes du pacifique, Robinson jusqu’à l’âge adulte a toujours vécu en société cependant un accident de bateau provoque sa solitude dans une île déserte où il y vit durant 20 années. Sachant que le moi ne s’affirme qu’avec l’autre et non contre lui, l’absence des autres le précipite pendant un temps dans une attitude sans aucune humanité. Toutefois, celui-ci décide de redevenir civilisé, de garder une certaine dignité, un semblant q’équilibre, c’est pour cela qu’il décide de créer un simulation de société, il va faire en sorte de vivre comme lorsqu’il vivait en société. Pourtant, Robinson ne parvient pas à rester soi-même et il s’aperçoit que l’absence d’Autrui ne lui permet pas de rester comme il était. Vers la fin, il constate qu’il oublie son vocabulaire à force de ne plus pouvoir parler avec Autrui. Ainsi privé d’Autrui, l’homme ne peut plus redevenir ce qu’il était. La solitude ne permet pas d’être soi mais elle nous en empêche. C’est donc autrui qui me constitue et qui me permet de me connaître moi-même. Nous pouvons toutefois dire que c’est Autrui qui me révèle qui je suis. C’est ce que dit Platon dans Alcibiade. Pour lui, se connaître soi-même nécessite une autre personne. L’autre est un miroir de ma propre âme. Nous sommes tous pareilles, nous appartenant à une même nature, une même condition. Lorsqu’une âme contemple une autre âme, c’est qu’elle contemple sa pensée, son intelligence. C’est par le dialogue que nous exprimons directement nos pensées et notre intelligence. Le langage nous permet d’exprimer nos pensées pour les faire connaître aux autres et de la même manière les connaître nous-même. A travers le dialogue, nous confrontons notre propre pensée, nous envoyons notre pensée à notre âme.
Un homme seul ignorerait tout, il peut être considéré comme quelqu’un d’ « innocent », il ne pourrait faire la distinction entre le bien et le mal, entre l’humain et le non-humain. Il n’aurait aucune perception de l’humanité. C’est grâce à Autrui que l’on se définit, mais alors sans Autrui on est en quelque sorte personne.