Faut-il choisir entre être heureux ou être libre ?

La dissertation complètement rédigée qui a value une note de 14/20.

Dernière mise à jour : 31/01/2025 • Proposé par: dosomethin (élève)

« Nous voulons être libres et jouir de notre vie », proclamaient en 1968 beaucoup de jeunes de cette génération. Ceci est un idéal qui peut sembler impossible, on pourrait alors le qualifier d’utopie.

Mais est-ce si simple ? Les lendemains qui déchantent nous amènent à nous interroger pour savoir si la liberté rend vraiment heureux et surtout à se demander ce qu'est être libre et comment l'on peut définir le bonheur. Le bonheur et la liberté sont-ils opposés ? Être heureux implique-t-il le fait de renoncer à une certaine liberté ? Autrement dit, être pleinement libre veut-il dire renoncer à la béatitude ?

I. La liberté n'est pas de faire tout ce que l'on désire

En latin, "liber" signifie le livre, sans entrave, sans chaînes, par opposition à "servus", esclave. Libertas désignait l'état juridique de l'homme libre par opposition à la condition d’esclave. L'homme libre agit à sa guise, il n'a pas de maître. Les anciens concevaient la liberté dans un contexte historique où l'esclavage allait de soi. La première définition de la liberté est donc l'absence de contraintes, la liberté de faire ce que l'on veut, à condition d'être un homme libre. Cette définition correspond à celle du sens commun : la liberté est l'absence d'obstacles, tout comme la chute libre d'un corps est celle qui ne rencontre pas d’oppositions. Dans ce cas, l'animal aussi est libre : il agit spontanément, sans contrainte sociale. Mais c'est confondre instinct et intention, besoin et volonté. L'homme, conscient de sa destinée de mortel, va construire sa vie en faisant des choix et des projets. Être libre, est-ce donc de pouvoir faire tout ce que l'on veut ? C'est la position du sophiste Calliclès, personnage du Gorgias de Platon. Individu fougueux, passionné, intempérant, Calliclès représente la nature contre la loi. La seule définition possible de la liberté, c'est l'excès, c'est absolument ce que l'on veut, sans aucune contrainte, sans se soucier des autres ni des conséquences de ses actes. Mais agir ainsi, est-ce vraiment être libre ? Le passionné est dépendant de sa passion. Il n'est donc pas libre puisqu'il agit par rapport à elle. La liberté n'est pas l'assouvissement de tous les désirs ni le rejet de toute autorité. Ce que Calliclès oublie, c'est que vivre sans contraintes, c'est vivre seul. En effet, toute société est régie par des lois, donc par des restrictions, des compromis, parfois même des sacrifices. Mais si, comme le dit Aristote, l'homme est par essence un « animal politique », ou si, comme le dit Hegel, pour se savoir humain, il faut au moins être deux, il est impossible de vivre seul. Bien sûr il est impossible de se retirer du monde, mais, sauf à vivre entièrement seul en ermite, on ne peut pas faire tout ce que l'on veut : la loi nous rattrape toujours. Et n'oublions pas que nous sommes aussi soumis à notre corps qui ne nous obéit pas toujours. On ne peut alors se demander si la liberté n'est pas la désobéissance, la transgression de la loi. Certains, comme les anarchistes, affirment l'indivisibilité de la liberté : une seule contrainte suffit à l'anéantir tout entière. On n'est pas plus ou moins libre : on est totalement libre ou on ne l'est pas. L'accès libre par excellence et donc la transgression. Bakounine considère la désobéissance d'Adam et Ève comme le premier acte de « l'humaine liberté ».

Définir la liberté comme absence de contrainte, c'est en donner une définition factuelle, c'est-à-dire une liberté qui se réfère à l'action, à l'expérience. Cette liberté ne peut donc pas être totale dès lors que nous vivons en société. Cela signifie-t-il que la liberté n'existe pas ? Le libre arbitre, « puissance que nous avons de faire ou de ne pas faire quelque chose », comme le définit Bossuet, consiste en ce pouvoir d'agir ou de ne pas agir. La volonté infinie de l'homme, souligne Descartes, est la faculté de se déterminer uniquement par soi-même : le libre arbitre est véritablement la liberté. Se déterminer uniquement par soi-même, c'est accorder sa volonté et son action. Nous faisons chaque jour l'expérience de ce « sentiment vif interne », de cette liberté infinie. Nous pouvons à tout moment accepter ou refuser de faire quelque chose. Nous pouvons même refuser de choisir. Pour Descartes, ce refus est là encore le signe de notre liberté infinie. Cette liberté d'indifférence est le plus bas degré de la liberté, mais elle est liberté.

La liberté est donc la condition initiale de l'homme, pense Sartre. L'homme n'est pas défini par une essence préétablie, il est libre de se faire, il est projet. L'obstacle stimule notre liberté par ceux qui nous mettent en situation de devoir choisir. C'est pourquoi Sartre peut écrire que « nous n'avons jamais été aussi libres que ce sous l'occupation allemande ». Volonté et liberté deviennent synonymes. On choisit sans la contrainte d’aucune force extérieure et en connaissant les conséquences de son choix. La liberté sartrienne s'oppose à la contrainte, mais aussi au déterminisme. Voyons à présent ce qu’est être heureux ?

II. Le bonheur demande de se limiter dans sa liberté

Être heureux, c’est d'abord avoir du bonheur. Le bonheur est défini comme un état durable de satisfaction complète des attentes de l'existence. À ce titre il peut être assimilé, comme le fait Aristote, au souverain bien, c'est-à-dire le bien complet et parfait qui se suffit à lui-même, parce qu'ils constituent une infinité de toutes les actions humaines. Tout ce qu'il fait, même provisoirement douloureux, et fait en vue du bonheur. La totalité des désirs et des volontés court vers cet objectif.

Entendu ainsi, il est la loi fondamentale des conduites humaines. Il est une donnée naturelle et psychologique inévitable pour quiconque. Comme le dit Sénèque : « tout le monde veut une vie heureuse », et vit en espérant obtenir le bonheur, il n’y a pas d'autres horizons possibles. Cela lui donne-t-il pour autant une prééminence absolue ? Dans son œuvre Odes, Horace y définit le bonheur par l'expression « carpe diem (cueille le jour). ». Cette célèbre expression définit moins une philosophie d'Horace (qui était poète) que le mot d'ordre de l'hédonisme (philosophie du plaisir). Il faut « cueillir le jour », c'est-à-dire saisir les occasions qui se présentent, parce que l'on ne sait pas de quoi demain sera fait et que la mort est pour bientôt. Il ne faut donc pas calculer ni remettre au lendemain, mais vivre le présent avec autant d'intensité que possible. « Carpe diem » est d'une certaine façon une phrase anti-philosophique, qui dénonce la prétention à donner une formule générale du bonheur, et qui réduit celui-ci à une somme de plaisir. On sera d'autant plus heureux, au jour de sa mort, que la somme des plaisirs que l'on aura vécu sera plus grande. Derrière le « carpe diem » se cache aussi un sentiment tragique de l'existence, la conscience omniprésente de la mort, qui réduit le plaisir à une forme ponctuelle et compulsive.

C’est au IVe siècle, avant notre ère, qu'Épicure fonda l'école le Jardin dont l'enseignement touchait à la vie pratique de chacun. Le bonheur est une création individuelle. La principale source existant sur l’épicurisme est le poème latin de Lucrèce, « De natura rerum ». Cette doctrine, que l'acceptation courante définit comme le goût pour les plaisirs sensuels, est plutôt une doctrine de la réduction de la souffrance. Le mal n’existe pas en tant que tel, mais par contre les souffrances, douleurs et peines sont bien réels. Voici un extrait de la Lettre à Ménécée, d’Épicure : « c'est pour cela que nous faisons tout : afin de ne pas souffrir de ne pas être troublés. […] Et c'est pourquoi nous disons que le plaisir est le principe de la fin de la vie bienheureuse. ». Le plaisir est « le principe de la fin de la vie bienheureuse » et constitue le bien suprême. Le but de nos actions est le bonheur, mais certains désirs sont la cause de nos souffrances et de nos malheurs. La vertu, ou sagesse épicurienne consiste à réduire nos désirs en matière de plaisirs « non nécessaires », comme la bonne nourriture et le sexe, voire « superflus » comme la richesse et la gloire, afin d'atteindre un état de non-désir et de non-souffrance. Cet état de plaisir au repos est l'ataraxie, identifié au bonheur, un bonheur atteignable. L'hédonisme des épicuriens aboutit à l’ascétisme le plus strict. Le vrai plaisir se construit sur le long terme, dans la connaissance scientifique du monde et de l'homme, qui permet la libération de toutes les peurs irrationnelles.

Dans Éthique à Nicomaque, d’Aristote, l'auteur nous dit « Une hirondelle ne fait pas le printemps... De même ce n'est ni en un seul jour, ni un court intervalle de temps qui font le bonheur. » . Ce qu'Aristote veut dire dans cette citation c’est qu’une activité libre menée jusqu'à sa perfection dans la persévérance, c'est être heureux. En effet, on peut appliquer cette situation à un collectionneur, c'est-à-dire que celui-ci n'atteint qu'une réelle satisfaction que lorsqu'il à acquérir une nouvelle pièce et à persévérer pour terminer sa collection. Par ailleurs, Aristote veut nous faire comprendre que le bonheur n'est pas dans la jouissance. À présent, voyons si l'on peut être, à la fois, libre et heureux ?

III. Le véritable bonheur rend libre, malgré les contraintes

Peut-on être à la fois libre et heureux ? Pour essayer d'apporter une réponse à cette question, il faut distinguer deux formes de liberté et de bonheur.

La première forme de liberté, c‘est la liberté naturelle : on appelle liberté naturelle le libre exercice de notre puissance. Or, si chacun ne peut pas faire tout ce qu'il peut faire (tout ce qu'il est matériellement capable de faire), c'est que le libre usage de la force conduit à l'état de guerre. La situation où tout homme exerce sa liberté naturelle sans rencontrer d'autres bornes que les forces extérieures qui s'y opposent s'appelle l'anarchie. La liberté du désir, ou licence est une liberté toujours inquiète qui risque sans cesse d'être entravée par la puissance d'autres désirs. Pour l’éviter, l’homme doit obéir à des règles : des lois. Dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de 1789, stipule que la liberté d’une personne finit là où celle des autres commence. C'est pourquoi l’autre forme de liberté est la liberté civile garantie par la loi qui en régit l'usage, et non la liberté menacée par les puissances qui la bornent. Elle ne peut se définir comme absence de loi, ce qui serait contradictoire avec l'existence même d'une société, mais simplement comme une absence de contraintes jugées illégitimes : ma liberté est celle de tout être raisonnable, elle est celle du citoyen, et s'exerce dans le cadre des lois qui ont pour but de défendre les droits universels. La limitation de la liberté naturelle est ainsi la condition d'exercice de la liberté civile des hommes vivant en société.

On peut être autrement "heureux" durant un court instant, comme avec la jouissance sexuelle, qui, contrairement à ce que dit la liberté morale, est éphémère. En effet, l’homme ne trouve pas de satisfaction pérenne dans ces bonheurs très courts. Salvandy nous dit qu'au contraire « C’est dans le devoir accompli que réside l’unique bonheur ». Comme la jouissance sexuelle est trop éphémère pour être affirmée durablement, l’homme doit trouver un moyen de pérenniser ce bonheur. Quand l’homme a réussi quelque chose sur lequel il a beaucoup travaillé, a sacrifié ses plaisirs éphémères, comme les pâtisseries, les sorties, etc. et qu’il y arrive enfin, c’est là qu’il arrive au bonheur absolu. Prenons l’exemple des sportifs après une victoire : ceux-ci sont fatigués et exténués du fait de l’effort qu’il on fait, mais malgré tout ils sont heureux, car ils ont enfin réussi dans ce qui les a fait vivre pendant une longue période, par exemple, Laure Manaudou, ou même les vainqueurs de la Coupe du monde de Football. Ou encore, l’homme peut être heureux, car il a le sentiment du devoir accompli.

Conclusion

Nous l'avons vu, c'est à chacun en fonction de ses choix de vie de déterminer s'il désire être heureux et libre ou si esclave de ses passions, il accepte de connaître des moments de bonheur intenses, mais aussi de connaître des passages à vide.

En pratique, ces deux options ne sont pas aussi tranchées que l'écrivent les philosophes et, le plus souvent, une même personne peut passer de temps à autre d'un comportement à l'autre suivant ce qui est en jeu. Il n'en demeure pas moins que c'est le propre de la vie humaine de trouver son bonheur dans la persévérance et dans l'effort en suivant un but noble.