La Fontaine, Les Fables - La cour du Lion

L'étude linéaire du texte.

Dernière mise à jour : 29/01/2024 • Proposé par: nelly (élève)

Texte étudié

Sa Majesté Lionne un jour voulut connaître,
De quelles nations le Ciel l'avait fait maître.
Il manda donc par députés
Ses vassaux de toute nature,
Envoyant de tous les côtés
Une circulaire écriture,
Avec son sceau. L’écrit portait
Qu’un mois durant le Roi tiendrait
Cour plénière, dont l’ouverture
Devait être un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin.
Par ce trait de magnificence
Le Prince à ses sujets étalait sa puissance.
En son Louvre il les invita.
Quel Louvre ! un vrai charnier, dont l’odeur se porta
D’abord au nez des gens. L’Ours boucha sa narine :
Il se fût bien passé de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L’envoya chez Pluton faire le dégoûté.
Le Singe approuva fort cette sévérité ;
Et flatteur excessif il loua la colère
Et la griffe du Prince, et l’antre, et cette odeur :
Il n’était ambre, il n’était fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succès, et fut encor punie.
Ce Monseigneur du Lion là,
Fut parent de Caligula.
Le Renard étant proche : Or çà, lui dit le Sire,
Que sens-tu ? dis-le-moi : Parle sans déguiser.
L’autre aussitôt de s’excuser,
Alléguant un grand rhume : il ne pouvait que dire
Sans odorat ; bref il s’en tire.
Ceci vous sert d’enseignement.
Ne soyez à la Cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère ;
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand.

La Fontaine, Les Fables - La cour du Lion

Le deuxième recueil des Fables voit le jour en 1678 et en 1679. Les apologues (petit récit visant à illustrer une leçon morale) qui le constituent mettent en scène des animaux mais aussi des hommes. On y retrouve, comme dans le premier recueil, la satire de la Cour et du roi, la critique des défauts humains. Deux thèmes, en apparence contradictoires, au cœur du Classicisme, occupent également une place de choix : l’imagination et la pensée. La Fontaine voit l'imagination comme une force de persuasion. Elle lui permet de formuler des reproches à Louis XIV en se protégeant de la censure. Enfin, l'imagination est un outil de séduction. Elle charme, divertit, saisit l’attention des lecteurs.

Cette fable est inspirée d'une fable de Phèdre, « Le Lion régnant » mise en vers par La Fontaine et actualisée pour correspondre à la réalité de la cour de Louis XIV. Il va utiliser quatre figures animales : un lion, un ours, un singe et un renard dans le but de peindre les vices humains observables à Versailles. Animaux anthropomorphes (qui prend la forme d'un être humain) représentant le roi et ses courtisans.

Cette fable a une portée moralisatrice et satirique sur le comportement à la cour. On pourra se demander ici en quoi « La cour du lion » est-il un apologue ?

Elle est composée de 3 mouvements :
- le premier mouvement (v.1 à 15) décrit la situation initiale, le contexte
- le deuxième mouvement (v.16 à 32) contient l'élément perturbateur, le cœur du récit ainsi que le dénouement
- le troisième mouvement (v.33 à 36) nous donne la morale de la fable

I. Le lion, roi de la jungle (v. 1 à 15)

La fable commence par deux alexandrins qui annoncent la prise de décision du roi : « Sa Majesté Lionne un jour voulut connaître // De quelles nations le Ciel l’avait fait maître ». La périphrase qui ouvre la fable, permet de désigner le roi : « Sa Majesté Lionne ». « Ciel » a ici une connotation religieuse, de droit divin. En effet, le roi est assez vaniteux, désirant mesurer sa puissance. Sa puissance est visible dans le vers 2 grâce au substantif « maître ».

Les v. 3 à 7 montre le pouvoir du roi. Le verbe d’obligation du vers 3 : « mander » révèle son autorité . Les vers 4 à 7 marquent le passage de l’alexandrin à l’octosyllabe, ce qui entraîne un rythme plus rapide au sein de la fable. Ces vers affirment toute la puissance du roi : « Ses vassaux de toute nature, // Envoyant de tous les côtés // Une circulaire écriture, // Avec son sceau ». Le complément circonstanciel de lieu : « de tous les côtés » sous-entend que son royaume est vaste ce qui accentue sa domination. Le rejet : « Avec son sceau » (v. 7) permet d’insister sur son pouvoir.

Le champ lexical de la richesse et de la grandeur, dans les vers suivants, vise à montrer le faste du règne de Louis XIV : « Cour plénière » (v. 9), « fort grand festin » (v. 10), « tours de Fagotin » (v. 11), « magnificence » (v. 12). La durée des festivités : « un mois durant » (v. 8), le spectacle proposé : « tours de Fagotin » et l’abondance de la nourriture servie, rendue visible par l’hyperbole : « un fort grand festin » révèlent le caractère excessif et l’absence de mesure du roi Soleil qui désire impressionner ses sujets.

Les vers 12-13 voient l’intervention du fabuliste : « Par ce trait de magnificence // Le Prince à ses sujets étalait sa puissance ». Le vers 13 est un alexandrin qui a pour objectif d’accentuer la puissance de Louis XIV. Le vers 14 indique, grâce au nom propre « Louvre », que le roi les reçoit dans son palais. La répétition du nom propre, précédé du déterminant exclamatif : « quel » au vers 15 et suivi du point d’exclamation : « Quel Louvre ! » traduit l’admiration de La Fontaine pour la résidence du roi.

II. L’intervention de l’ours, du singe et du renard (v. 16 à 32)

Le premier courtisan à intervenir dans la fable est l’ours : « l’Ours boucha sa narine » (v. 16). Son geste, plutôt délicat, est assez surprenant pour un animal qui ne l’est pas habituellement, mais il n'est pas apprécié du roi comme le montre le verbe de sentiment : « déplaire » (v. 18) : « Sa grimace déplut. ». L’adjectif « irrité » (v. 18) traduit la susceptibilité du lion/roi qui condamne l’Ours. L’euphémisme : « L’envoya chez Pluton faire le dégoûté » (v. 19) rend compte de la cruauté du roi qui décide de l’exécution d’un de ses sujets parce qu’il lui déplaît.

Le deuxième courtisan à intervenir est le singe. Il applaudit la décision du lion/roi. Les v. 20 et 21 « Le Singe approuva fort cette sévérité » et « flatteur excessif » sont des louanges qui montrent sa volonté de complimenter avec excès le lion. La multiplication des mots de liaison du vers 22 : « Et la griffe du Prince, et l’antre, et cette odeur » exprime la volonté de flatter encore et encore le monarque. Le singe va se prendre à son propre jeu, en comparant les mauvaises odeurs du banquet à des senteurs florales, par le biais d’un parallélisme de construction : « Il n’était ambrent il n’était fleur, // Qui ne fût ail au prix » (v. 23-24). Le singe, malgré sa malice, s’attire les foudres du roi qui perçoit son hypocrisie. Il est, à son tour, condamné à mourir : « Sa sotte flatterie // Eut un mauvais succès, et fut encore punie.» L’adverbe « encore » insiste sur la cruauté de Louis XIV qui continue l’exécution de ceux qui le contrarient. La Fontaine ensuite intervient, à nouveau, dans la fable lorsqu’il établit un lien de parenté, dans les v. 26 et 27 entre le lion et Caligula, un empereur fou et sanguinaire qui éliminait tous ses opposants : « Ce Monseigneur du Lion-là // Fut parent de Caligula. »

Le dernier courtisan à intervenir est le renard, connu pour sa ruse. Le lion s’adresse au renard grâce au discours direct. Il est d’ailleurs le seul à prendre directement la parole, tous les autres animaux ayant recourt au discours indirect. La Fontaine réserve le discours direct au monarque pour montrer la puissance extrême de celui-ci mais aussi pour sous-entendre qu’il est l’unique personnage à avoir le droit à la parole à la Cour. Ses phrases sont brèves et injonctives (qui donne un ordre) elles témoignent de son autorité : « Que sens-tu ? Dis-le-moi. : Parle sans déguiser » (v. 29). L’impératif : « Parle sans déguiser » est humoristique, il demande au renard d’être sincère alors qu’il a fait tuer ceux dont les paroles ou les actions lui ont déplu. Le renard est le plus malin de tous les courtisans et va réussir à se tirer de ce mauvais pas. Grâce au verbe « alléguer », le fabuliste révèle que le renard n’est pas vraiment malade : « alléguant un grand rhume ». Ce faux prétexte lui permet d’éviter de répondre au roi : « il ne pouvait que dire// Sans odorat ; bref il s’en tire. » (v. 31-32) comme l’indiquent les deux négations.

III. La morale explicite (v. 33 à 36)

La fable se termine par une morale explicite qui occupe quatre vers introduite par « ceci ». Le vers 33 rappelle la dimension didactique (qui a pour rôle de délivrer un enseignement) de l’apologue : « Ceci vous sert d’enseignement. » La Fontaine, en utilisant le pronom personnel : « vous », s’adresse directement à son lecteur. Il rappelle que le courtisan est à la cour pour plaire au roi.

Le fabuliste montre que ce n’est pas la vérité qui triomphe mais la ruse. Il faut, selon lui, parvenir à une attitude mesurée. C’est ce que les deux oxymores (figure de style alliant 2 mots de sens contradictoire) : « Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère » (v. 35) montrent.

Le dernier vers : « Et tâchez quelquefois de répondre en Normand » indique qu’il est prudent de taire son avis si l’on veut rester dans les bonnes grâces de Louis XIV.

Conclusion

La Fontaine utilise donc ici un apologue pour dépeindre de manière négative et satirique la Cour de Louis XIV : les courtisans y sont présentés comme hypocrites, menteurs et opportunistes.

Le roi lui-même y est critiqué et ridiculisé : en tant que souverain autoritaire, il ne tolère ni la franchise ni les flatteries, et sa cruauté est dépeinte comme disproportionnée.