En général, nous pensons que la foi et la raison s’opposent. Car l’une concerne la croyance en l’existence d’un Dieu et plus largement l’adhésion à une religion. Et l’autre est ce qui permet de distinguer le vrai du faux de façon logique. L'une demande de croire sans pouvoir prouver quand l'autre demande de prouver, sans croire quoi que ce soit. Mais d’un autre côté, il est aussi évident que rien n’empêche la foi et la raison de coïncider, car les croyants ne rejettent pas la science, de même que certains scientifiques sont croyants.
Peut-on dès lors penser que la foi religieuse exclut tout recours à la raison ? Nous verrons dans un premier temps que la foi religieuse semble contraire à la raison, puis nous verrons comment la foi religieuse a besoin de la raison pour s'appuyer dessus. Enfin nous verrons comment la raison peut éclairer la foi religieuse.
I. La foi religieuse semble contraire à la raison
La foi religieuse a pu s'opposer à de nombreuses reprises, historiquement, à la raison. L'Église a ainsi condamné le travaux de scientifiques qui venait contredire les écrits bibliques. Bruno Giordano qui a développé la théorie de l'héliocentrisme et démontré que l'univers était infini, sans centre, a ainsi été condamné à être brûlé vif au XVIe siècle par l'inquisition pour des propos jugés blasphématoires. Bruno Giordano s'est basé sur des calculs, des observations, et pouvait ainsi rationnellement démontrer ses dires. Mais il venait ici dans un même temps contredire les croyances, la religion et donc la foi.
Les philosophes ont eux-mêmes voulu défendre l'existence de Dieu, et de ménager dans un même temps leur raison et leur croyances, mais en les distinguant nettement. « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ». Ainsi pour Blaise Pascal (XVIIe siècle), Dieu est infiniment incompréhensible car n’ayant ni bornes ni parties, il a nul rapport à nous. Donc il est inutile de vouloir prouver l’existence de Dieu car la raison ne peut pas comprendre ce qu’est le Divin. Ainsi faut-il reconnaître les limites de notre savoir qui ne permet pas d’atteindre toutes les réalités. Or nous pouvons sentir le surnaturel par l’intuition directe, à savoir le cœur et la foi. La foi religieuse n'est ainsi pas sur le même plan que le raison, et la raison doit simplement admettre ses limites sur le plan métaphysique.
Donc même quand elle ne s'affronte pas directement, foi religieuse et raison semblent tout au mieux s'éviter, n'étant pas sur le même plan. Mais leur champ d'étude étant similaire, ne peut-on pas penser la foi religieuse en complément de la raison ?
II. Mais la foi religieuse a besoin de la raison pour se construire
La religion comme la raison essaient de comprendre le monde et d'en extraire une vérité. Au lieu de se confronter ou simplement s'ignorer, la foi religieuse pourrait ainsi simplement s'accorder aux avancées apportées par la raison.
« Puisque la révélation est la vérité, l’examen par la démonstration des choses qui existent n’entraînera nulle contradiction avec les enseignements apportés par le Texte révélé : car la vérité ne peut être contraire à la vérité, mais s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur. » Ibn Rushd, dit Averroès XIIe siècle. La foi et la raison visent toutes les deux l’accès à la vérité, or la vérité est unique. Nous ne pouvons donc pas les opposer. L’interprétation des textes religieux peut permettre de concilier leurs messages en cas de contradiction apparente entre un résultat de la démonstration et le sens obvie (évident) d’un énoncé du texte révélé. Le texte religieux donne du sens aux évènements, quand la raison les explique.
Et lorsque la raison donne tord aux textes religieux, la foi se doit de s'adapter. Le verset 11 de la Sourate 41 du Coran raconte que pour créer l’univers, « Dieu s’est ensuite adressé au ciel qui était alors fumée. » Nous pouvons interpréter ce texte comme une image de ce que la science décrit comme hypothèse celle du big bang, alors qu’il semble y avoir une incompatibilité entre ces deux versions. La raison permet d’accéder à la vérité par la démonstration. Aussi le texte sacré révèle-t-il la vérité, il ne peut pas être faux et se doit donc d'être réinterprété. L’évolution de la science résulte du travail de la raison qui ne peut pas être arrêté par une lecture littérale des textes religieux. La foi exige donc l’usage de la raison pour faire évoluer sa lecture du monde.
La raison permet ainsi a la religion de lui donner des fondements solides, en permettant d'expliquer les descriptions et explications données par les textes religieux. Libérés de la nécessiter de donner une explication du comment, la religion peut dès lors se concentrer sur l'explication du pourquoi. Mais plus encore la raison permet d'éclairer les choix dictés par la religion.
III. La foi religieuse a besoin de la raison pour éclairer ses choix
La foi religieuse a besoin de la raison pour ne pas tomber dans l'absolutisme ou dans des comportements destructeurs.
La foi demande d'ignorer la raison, lorsqu'il s'agit de connaître Dieu. « L’être humain, s’il doit savoir en vérité quelque chose de l’inconnu (le Dieu), doit savoir d’abord que c’est absolument différent de lui » Kierkegaard XIXe siècle. La raison doit se faire une idée de sa différence avec une nature divine impossible à comprendre. Cet aveuglement de la raison est la seule manière d’atteindre Dieu. Le divin totalement incompréhensible pour les humains a encore un sens si on accepte qu’il n’est pas nécessaire de tout comprendre.
Mais connaître Dieu ne demande pas pour autant d'ignorer toute raison quand il s'agit de nos actions sur Terre. À l’épreuve du sacrifice d’Isaac « Abraham crut et ne douta pas, il crût en l’absurde » nous dit Kierkegaard. La foi transforme ce qui aurait été un infanticide en un acte de sacrifice divin, arrêté par Dieu, dont les intentions demeurent complètement incompréhensibles. Si on suit ce raisonnement, il doit obéir aveuglément même si cela semble absurde. Mais notre raison nous dit bien que cela reste absurde, et nous interdit de penser que l'action de sacrifier son propre enfant puisse être entendable. La religion suivi de manière aveugle a tout raison mène aux comportements les plus absolutistes, les plus destructeurs. La raison permet dès lors de cadrer nos actions sur Terre, d'interroger leurs conséquences, d'interroger les discours qui mènent au pire.
Conclusion
Foi religieuse et raison semblent donc au départ s'opposer en tout point, ayant une lecture différente et n'ayant pas le même prisme pour comprendre le monde: la première a la croyance, le deuxième la démonstration. Mais la foi religieuse plutôt que simplement condamner ou ignorer la raison, peut s'appuyer dessus. En effet la religion n'a au final pas la même visée que la raison. Car si les deux s'appliquent à donner la vérité, la religion explique le sens quand la raison se limite à en expliquer la mécanique.
À la foi religieuse dès lors de respecter les avancées de la raison, et de réinterpréter les textes religieuses à mesure que les découvertes scientifiques viennent éclairer les textes sacrés. Plus encore, la raison sert de garde-fou à la foi religieuse, quand celle-ci donne des préceptes à suivre au quotidien. En décryptant froidement les conséquences de nos actes, ou encore les mécaniques sociales qui viennent faire déborder la foi religieuse vers des comportements destructeurs, la raison permet de guider la foi religieuse vers ce quoi elle est destinée, à savoir une vie plus paisible et apaisée vis-à-vis des tourments du monde.