Dans la vie de tous les jours, lorsque l’on parle de l’homme, on parle plus généralement de l’espèce humaine. Ainsi, on l’associe à la grande famille des êtres vivants, c’est-à-dire des êtres qui font partie de la réalité puisqu’ils forment la nature. En vivant dans cette même nature, ces êtres vivants sont en relation les uns avec les autres et partagent un certain nombre de ressemblances. Mais tous ces êtres disposent cependant de caractères qui leur sont propres puisqu’ils possèdent chacun un patrimoine génétique qui explique leurs différences.
Malgré cela, l’espèce humaine semble se détacher des autres. En effet, il entretient également des rapports avec les espèces qui l’entourent, mais il semblerait qu’il pense qu’elles sont là pour lui. Cette différence amène alors à penser que la vie commune à tous les êtres vivants aboutit à l’existence de l’être humain, la plus jeune espèce sur Terre. Même si l’homme appartient à la nature nous pouvons nous demander si : L’homme n’est-il qu’un être naturel ? D’un côté, l’homme est bien un être naturel malgré toutes les croyances religieuses que l’on a pu avoir depuis des siècles, de l’autre côté, cette affirmation peut être remise en question par le fait qu’avec une certaine dénaturation, l’homme artificialise son mode d’existence et se dit lui-même non naturel.
I. Le dualisme nous invite à croire que l'homme n'est pas que naturel
Pour commencer, nous allons étudier une ontologie partagée par une partie des hommes qui ne se considèrent pas comme des êtres naturels. Cette ontologie, s’appelle le dualisme et c’est une théorie profonde du réel, de la nature de l’être. Pour les dualistes, le réel se composerait de deux types de réalités : il y aurait une réalité matérielle et une réalité immatérielle. La réalité matérielle serait composée de corps, c’est-à-dire de réalités spatiales capables d’occuper une portion d’espace. Les choses sont matérielles et sensibles si elles sont susceptibles d'être perceptibles par nos sens. Au contraire, la réalité immatérielle caractérise ce qui est métaphysique et serait composée d’éléments tangibles donc non perceptibles par nos sens comme l’âme. Mais qu’est-ce que l’âme ? L’âme est une réalité métaphysique. Elle serait tout d’abord le principe de la pensée. Des philosophes comme Pascal soutiennent que la matière n’est pas capable de penser. Pour comprendre l’existence de la pensée, il faut introduire un principe non matériel. L’âme immatérielle offre une solution au problème. Le corps ne pense pas, mais l’âme le fait. En outre, dans les religions, qui sont des théories dualistes où d’après Friedrich Nietzsche, il y a un arrière-monde, la réalité matérielle visible n’est pas la seule, l’âme introduit aussi l’idée d’immortalité. L’âme serait emprisonnée dans le corps puis libérée à la mort et c’est à ce moment-là que notre véritable vie débuterait : notre corps meurt et se désagrège, mais notre âme subsiste. L’humain serait donc une réalité double : matérielle avec son corps, mais le corps ne serait que le support matériel provisoire du monde d’en bas. Selon les dualistes, seuls les hommes seraient dotés d’une âme : les animaux en seraient dépourvus. 3) Descartes, un des fondateurs de la philosophie moderne au XVIIe siècle, partage cette opinion. Ce dualiste et scientifique affirme que l’humain est une machine biologique, mais possède fondamentalement une âme et qu’il est le seul à en posséder. Dans sa Lettre à Reneri pour Pollot en 1638, Descartes y défend sa thèse. Il nous dit que les animaux sont des animaux-machines sans âme ni même intelligence et sentiments. Le chat qui vient se frotter pour demander des caresses. Le chien dont les yeux semblent remplis de gratitude et d’amour envers son maître. L’habileté de certains oiseaux dans la construction. La ruse dont fait preuve le renard. Toutes ces actions, agir, construire, sentir, ressemblent fortement à celle de l’homme. Nous avons donc tendance à attribuer une âme aux animaux, comme celle que nous possédons dit Descartes. Mais il nous explique que ce ne sont que des préjugés. Contrairement à nous, les animaux n’inventent rien, mais exécutent mécaniquement des actions selon les lois de leur nature programmée : ils n’ont donc pas d’âme. Du point de vue dualiste, comme l’homme possède une âme il n’est pas naturel, mais surnaturel créer par Dieu.
Effectivement, dans les religions monothéistes, un Dieu unique aurait créé le monde dont l’homme. Ce Dieu aurait autorisé et encouragé l’homme à dominer toute la Terre. L’homme ne se sent ainsi non pas inférieur, ni même égal aux autres créatures, mais supérieur. Dieu aurait prévu la nourriture pour l’homme. Ce dernier n’est donc pas un animal parmi les autres, mais un étranger qui possède certains éléments spéciaux qui donnent une place particulière à l’homme. Tout est créature, mais seule une créature est à l’image de Dieu. Ainsi, comme nous le montre Montaigne dans Les Essais, une royauté imaginaire de l’homme sur la nature s’installe, car il y aurait une différence de nature et non de degré entre l’homme et l’animal. De cette différence de nature découle l’idée d’une échelle des êtres. D’après L’échelle de la nature de 1781 de Charles Bonnet, l’homme se place au sommet de cette échelle, en roi de la nature et domine tout le reste c’est-à-dire les autres êtres vivants, des animaux aux plantes, ainsi que les éléments non vivants tels les rochers. De cette place que se donne l’être humain naît l’anthropocentrisme. Il désigne la tendance de l’homme à se placer au centre de tout, à se considérer comme étant la merveille des merveilles, que tout dans le monde a été fait pour lui comme si c’était un moyen en vue d’un but qui l’expliquerait. L’homme se pense alors comme sujet, mais pourtant, rien ne prouve qu’il l’est. L’homme se considère comme un sujet, car il appartient à une société créée par Dieu. Cette société s’organise en un système politique. Le Dieu unique des juifs, des chrétiens et des musulmans est un Dieu qui ordonne, commande, fixe pour l'homme des lois dont il ne doit pas sortir. Ainsi, le point commun principal qui permet de regrouper toutes les religions humaines, c'est cette préoccupation pour la loi, pour la nécessité de réguler le comportement humain et c’est ce qui forme l'humanité : les hommes partagent le même esprit humain.
D’après la thèse dualiste, l’homme pense avoir une âme. L’homme serait alors constitué de matière et d’âme. À elle seule, cette propriété métaphysique et religieuse le différencierait de l’animal. Ainsi l’homme se dit non naturel et s’attribue le droit de dominer la nature, car il pense être supérieur à tout ce qui l’entoure. Cette supériorité illusoire lui viendrait de Dieu. Mais cette simple supposition est-elle suffisante à l’homme pour arriver à cette conclusion ? Au fond, cette affirmation repose sur un argument qui n’a jamais été prouvé. De plus, dans cette thèse, seule la nature de l’homme est prise en compte : qu’en est-il de la nature en l’homme ? Ne faudrait-il donc pas plutôt faire une analyse de l’homme dans sa globalité pour pouvoir donner une réponse plus précise à la question ?
II. La culture surtout, donne à l'homme une autre dimension que sa seule nature
On peut distinguer en l’homme deux dimensions : une dimension culturelle et une dimension biologique. Par sa dimension culturelle, l’homme se détache de sa nature biologique puisqu’au cours de son existence, il se transforme lui-même : il se dénaturalise. Cet aspect semble le différencié de l’animal qui, d’après Rousseau dans la première partie de son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, « est, au bout de quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu’elle était la première année de ces mille ans ». Rousseau met en évidence cette différence entre les deux êtres en retenant une caractéristique indiscutable de la nature humaine : sa perfectibilité. Cela signifie que la nature de l’homme n’est pas fixe, elle évolue. L’homme suivrait alors une sorte de marche en avant dans une direction définie pour arriver à sa véritable nature, celle qui le rend le meilleur possible, et peut-être atteindre la perfection. L’homme est ainsi ouvert au changement puisque cette faculté, « à l’aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l’espèce que dans l’individu ». C’est ce qui permet à Érasme de dire « on ne naît pas Homme, on le devient ». En effet, nous faisons certes partie de l’espèce humaine par notre nature biologique, mais ce qui fait de nous un véritable être humain c’est tout ce que l’on acquiert, tout ce que l’homme ajoute sur l’homme au cours de son histoire, soit notre dimension culturelle. La culture est donc la cause de la dénaturation de l’homme et de son environnement. L’homme dénaturalise aussi la nature en plus de lui-même, de par son intelligence, en construisant par exemple des infrastructures dont il a besoin pour vivre. Ces biens matériaux sont un des exemples qui montrent que cette culture se transmet de génération en génération. Mais lorsqu’un homme fait une découverte scientifique par exemple, il ne part pas de zéro. Il s’appuie sur les avancées et les erreurs de ses prédécesseurs. C’est donc ainsi que, peu à peu, le long de générations successives où chacune apporte son innovation même minuscule, l'homme va se mettre à grandir, justement grâce à cette mémoire qui lui permet de recevoir le savoir de ses ancêtres et de le transmettre, augmenté, à sa progéniture.
L’homme a la capacité d’acquérir cette dimension culturelle grâce à sa dimension biologique. Effectivement, l’homme dispose de capacités biologiques qui lui sont propres, qui le différencie biologiquement des animaux. C’est le principe de la théorie de l’évolution selon Charles Darwin dans L’origine des espèces. Toutes les espèces viennent d’une ou d’un très petit nombre d’espèces originelles. Les variations, qui apparaissent dans les individus, subissent une pression du milieu qui conduit à éliminer les moins aptes, c’est-à-dire ceux qui ne peuvent se reproduire. C’est ainsi que l’extrême diversité du vivant et notamment des animaux s’explique non pas par une finalité ni par des facultés implantées, mais justement par des caractères nouveaux. La classification des espèces retrace leur histoire et confirme l’idée d’évolution. Ainsi, le cerveau de l’homme est plus grand que celui d’un animal, car c’est à travers lui que l’intelligence de l’homme s’exprime : c’est avec une certaine conscience que l’homme est capable d’inventer pour créer. De cette façon, selon Aristote dans le Traité de l’âme, seul l’homme est doué de raison. L’homme possède des capacités innées qui ont besoin d’être sollicitées pour se développer. Ce développement se fait par l’acquisition de la culture à travers l’éducation : oui nous sommes bipèdes, oui nous avons la possibilité d’avoir un langage, mais ce sont nos parents qui nous ont appris à marcher et à parler. François Truffaut, dans son film L’enfant sauvage, nous démontre cette affirmation. Victor est un garçon qui a toujours vécu dans la forêt. Il n’a jamais été civilisé ni rencontré de personnes civilisées. Il se déplace à quatre pattes, ne parle pas et ne porte pas de vêtements. Ce n’est pas qu’il est idiot ou qu’il ne sait pas marcher ni parler c’est simplement que personne ne lui a jamais appris à le faire. Il ne sait donc même pas lui-même qu’il en est capable. Victor est une personne humanisée, mais pas humanisée. La dimension culturelle de l’homme serait donc la séparation entre l’homme et l’animal.
De par sa dimension biologique, l’homme acquiert une dimension culturelle qui le distingue des autres êtres vivants. L’homme se dénaturalise de plus en plus au cours des siècles, car il cherchera toujours à se distinguer de ses semblables. L’homme est un être en perpétuel chantier depuis sa naissance, et ce jusqu’à sa mort. Mais cette évolution permanente de l’homme ne conduit-elle pas à sa chute ? N'est-il pas confronté au danger de devenir, comme le dit Rousseau « le tyran de lui-même et de la nature » ?
III. Mais l'homme ne peut oublier pour autant sa nature, ainsi son écosystème naturel
Rousseau fut, à l'époque moderne, l'un des premiers à analyser le caractère véritablement destructeur de toute civilisation : notre perfectibilité est « la cause de tous les malheurs de l'homme ». En nous élevant à la perception du bien, elle nous ouvre aussi à la tentation du mal. En effet, en étant doté de libre arbitre, l’homme est le seul être capable de choisir entre le bien ou le mal puisqu’il est le seul être à pouvoir faire un choix. L'animal, qui en est dépourvu, est peut-être bête, mais sa bêtise est aussi ce qui le préserve du déséquilibre et le confine dans la tranquillité. Par exemple, l'agressivité, chez l'animal, est le fruit naturel de l'impulsion vitale c’est-à-dire celle de la faim du prédateur, ou de l'ardeur de l'excitation sexuelle qui pousse le mâle au combat. Mais elle est aussi régulée par l'instinct : il suffit qu'au cours de l'affrontement un des deux combattants montre des signes de soumission, et le combat prend fin. L'homme, nous dit Emmanuel Kant, « abuse toujours de sa liberté à l'égard de ses semblables », tout simplement parce que « son penchant naturel à l'égoïsme le pousse à se réserver, dans toute la mesure du possible, un régime d'exception pour lui-même ». Autrement dit, quel que soit le degré d'ouverture de sa conscience, l'homme reste au fond animal et il a en cela cette obsession de l'animal pour sa propre survie. Chez l'être humain, l'instinct ne disparaît donc pas tout à fait. Le comportement s'ouvre effectivement à l'action formatrice de la culture, mais au fond, tout au fond, le cœur de l'instinct, c'est-à-dire la pulsion, il ne s'en défait jamais. Il s'en défait si peu qu'elle reste son moteur. Si l’homme met autant l’accent sur sa dimension culturelle pour se différencier des animaux, c’est qu’au fond, il sait qu’il n’est pas si loin de l’animal.
Dans la première partie de son Discours sur l’origine et les fondements des inégalités parmi les hommes, Rousseau évoque et distingue une autre caractéristique spécifique à l’homme : le libre arbitre. C’est-à-dire qu’il a la liberté de choisir entre le bien et le mal par exemple. L'homme n'étant plus réglé par la nature, il doit se régler lui-même. Le vrai nom de la liberté humaine est donc l'autonomie. N'étant plus commandé par l'instinct, il doit se donner des règles et des limites qu’il doit partager avec ses confrères. L'humanité a pris conscience depuis peu qu’elle était loin d’être supérieure à la nature qui l’entoure : la nature de l’homme ne fait en rien de lui un être supérieur aux autres. Nous devons maintenant réguler notre rapport à la nature. En effet, pendant longtemps, nous avons été capables d'augmenter notre puissance vis-à-vis de la nature, mais nous voilà aujourd'hui confrontés aux conséquences cette évolution. Notre activité a généré de tels effets néfastes sur notre planète, comme la pollution, qu’à ce jour nous sommes obligés de revoir complètement notre mode de fonctionnement. Par le passé, nous avons tellement été capables d'augmenter la puissance de nos armes, qu’aujourd'hui nous sommes confrontés à une telle puissance de feu telle qu'en détruisant l'ennemi, elle réduit à néant en même temps le champ de bataille, et leur fait même courir le risque de périr eux-mêmes. De plus, les nouvelles technologies ne cessent de se développer de jour en jour. On maîtrise l’intelligence artificielle et des robots entièrement autonomes ont vu le jour et le rêve des trans humanistes est de créer un homme 2.0 mi-homme mi-machine. Alors que pendant ce temps-là, des milliers de personnes meurent de faim dans le monde. Donc oui, en ignorant l'ordre de la nature, en ne veillant pas au bon ordre de cet immense écosystème terrestre, l'homme risque de devenir un être dénaturé d’une nature qu'il ne cesse de mieux comprendre. Ce risque de la démesure, risque de faire retomber l’homme « plus bas que la bête même » d’après Rousseau.
Conclusion
Dans un premier temps, nous avons pu établir que l’homme n’est en rien une réalité surnaturelle puisque les découvertes scientifiques ont montré que l’homme ne possédait pas d’âme. Mais dans un second temps, nous avons dû revenir sur les origines de la dénaturation de l’homme : l’homme se dénaturalise par la culture intégrée par l’éducation. Puis nous avons vu que la dénaturation de l’homme pourrait amener à son extinction s’il ne change pas son mode d’existence. On peut donc en conclure que l’homme est bien une réalité biologique créée par la nature tout comme l’animal.
Mais l’homme n’est pas que naturel puisque la culture fait partie de son essence : c’est ce qui le définit et lui permet de se transformer lui-même. Il s’est donc éloigné de la nature pour trouver sa propre nature, mais ceci ne lui est pas que bénéfique : l’homme doit faire des changements profonds s’il ne veut pas détruire la nature encore existante et sa propre espèce.