Victor Hugo s'est illustré dans de nombreux genre littéraire, comme le théâtre avec son drame romantique Hernani . Il est notamment célèbre grâce à ses romans, comme Les Misérables ou encore Notre Dame de Paris . Toutes se œuvres réputées ont été publiées lors de son exil en 1852. Dans ces œuvres on inclue le recueil satirique Les Châtiments datant de 1853, un recueil contre Napoléon III. On relèvera dans celui-ci le poème « Souvenir de la nuit du 4 ». Pareillement le recueil poétique Les contemplations , datant de 1856. Un recueil centré sur sa fille Léopoldine, morte noyée accidentellement…Dans ce recueil on relèvera deux parties, la première étant « Autrefois », et la seconde « Aujourd'hui ».
C'est dans celui-ci que se trouve notre poème « Demain des l'aube » appartenant au livre 4 (« Pauca Meae »), qui est un livre centré sur le deuil, poème 14, il évoque l'apaisement face à la mort de sa fille, une sorte d'acceptation. Il fait un pèlerinage , décrit un voyage vers la tombe de sa fille. Nous nous demanderons donc comment Victor Hugo s'adresse à sa fille, et lui rend hommage à travers ce poème. Dans un premier temps nous montrerons que ce poème est en apparence un poème d'amour. Dans un second temps nous évoquerons l'expression de la douleur du deuil. Pour enfin montrer une tristesse qui serait potentiellement infinie.
I. Un poème d'amour en apparence
On peut penser qu'il s'adresse tout d'a bord à une femme aimée et vivante. En effet la première strophe suggère que le poète s'adresse à une femme aimée qu'il s'apprête à rejoindre. On le voit avec « Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps » v4. L'amante est rendue présente à travers l'apostrophe ( « Vois-tu » , v. 2) et le jeu d'alternance entre le « je » et le « tu » qui donne une impression de dialogue , une adresse directe : « Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends » (v. 2), « Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps » (v. 4). On retrouve aussi un parallélisme entre les vers 4 et 8 : « Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps » et « Triste, et le jour sera pour moi comme la nuit » qui renforce l'idée d'un amour partagé, réciproque. L'emploi du présent souligne l'effet de présence de cet être, permettant de penser qu'elle est vivante. Le poème débute ainsi comme une chanson d'amour . En effet, le rythme régulier de l'alexandrin et la structure anaphorique de la première strophe font penser à une chanson : « J'irai par la forêt, j'irai par la montagne » (v. 3). Le thème de la quête amoureuse appartient également au fait que le héros traverse des épreuves avant de rejoindre l'être aimé, objet de sa quête.
On peut remarquer un itinéraire déterminé pour rejoindre l'être aimé. Le poème est ponctué de verbes de mouvement qui marquent un itinéraire : « Je partirai », « J'irai » (v. 1-2), « Je marcherai » (v. 5), « J'arriverai » (v. 11). La progression du poète est à la fois spatiale et temporelle. On observe d'abord une succession d ‘indications temporelles : « Demain, dès l'aube, à l'heure où » (v. 1), « longtemps » (v. 4), « le jour », « la nuit », « soir » (v. 8-9), « quand j'arriverai » (v. 11). On note ensuite une progression spatiale, marquée notamment par la succession des paysages et des compléments de lieu, qui soulignent l'idée de passage : « la campagne » (v. 1), « la forêt », « la montagne » (v. 3), « dehors » (v. 6), « les voiles », « vers Harfleur », « sur ta tombe » (v. 10-11). Ce voyage est mis en valeur par la place des verbes de mouvement en début de vers, et soulignée par l'anaphore : « J'irai par » (v. 3), qui traduit la détermination du poète, rien de pourra l'empêcher de faire ce voyage. Celle-ci s'exprime aussi à travers l'emploi du futur qui témoigne à la fois de la certitude et la volonté du poète : « Je partirai », « J'irai » (v. 1-2), « Je marcherai » (v. 5), « sera », « Je ne regarderai » (v. 8-9), « j'arriverai », « je mettrai » (v. 11). La volonté de Victor Hugo de partir et son caractère décisif sont intensifiés par le rejet au début du vers 2 : « Je partirai. » Mais cet itinéraire ne mène pas le poète à l'amour mais à la mort…
Cette révélation entraîne une chute surprenante, ce poème est en réalité funèbre. En effet, dès la deuxième strophe, le ton change. Le registre pathétique apparaît : « Seul, inconnu, le dos courbé », « Triste » (v. 7-8). On passe de la lumière (« blanchit » , v. 1) à l'obscurité (« Sans rien voir » (v. 6), « le jour pour moi sera comme la nuit » (v. 8)). La dernière strophe est marquée par un mouvement progressif de chute qui s'exprime à travers l'emploi de verbes exprimant la chute : « tombe », « descendant » (v. 8-9). Les deux derniers vers, qui constitue la chute , éclairent le sens du poème. On comprend que le poète va se recueillir sur la tombe d'une morte (« je mettrai sur ta tombe/Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur ») (v. 11-12). La chute est ainsi doublement soulignée par l'homophonie entre « tombe » (du verbe « tomber », v. 9) et le nom « tombe » (v. 11) où sont enterrés les morts. Les retrouvailles potentiellement amoureuses suggérées par l'interpellation du locuteur (« Vois-tu, je sais que tu m'attends . », v. 2 ; « Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps », v. 4) se changent en retrouvailles funèbres.
II. L’expression de la douleur du deuil
Si « Demain dès l'aube » présente de prime abord les apparences d'un poème d'amour, il se métamorphose progressivement en poème de deuil. A présent nous allons pouvoir évoquer l'expression de la douleur de celui-ci.
On peut penser à un refus d'exprimer sa douleur clairement venant du poète, intensifié par la non perception de ce qui l'entoure. Victor Hugo exprime sa douleur avec distance , d'un point de vue externe : « Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées » (v. 7). Ainsi, le paysage décrit est flou et imprécis : « blanchit » (v. 1), « sans rien voir au dehors » (v. 6), « au loin » (v. 10). La nature est niée par le poète. Ainsi, on observe de nombreux adverbes et pronoms de négation : « ne puis » (v. 4), « Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit » (v. 6), « Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe/ Ni les voiles au loin » (v. 9-10). Indifférent au paysage, le poète refuse de voir et de regarder, comme le souligne la structure anaphorique « Ni …/Ni … » et la répétition de « sans ». Cette négation met en avant une capacité à faire abstraction de tout ce qui l'entoure, pour consacrer ce moment à l'être aimé et rien d'autre. Effectivement rien n e peut perturber sa pensée, pas même le paysage. La solitude du poète est vue comme étant insurmontable. Elle est reflétée par l'emploi d'adverbes et de pronoms traduisant l'absence : « loin de toi » (v. 4), « sans rien », « aucun », « seul » (v. 6- 7). Le narrateur insiste sur cette absence à travers l'anaphore de « sans » et la position des adjectifs « Seul » et « Triste » (v. 7-8) en début de vers. Cette solitude est telle qu'elle amène à une dépersonnalisation du poète, suggérée par l'adjectif « inconnu » (v. 7). Il ne se reconnaît plus, ou justement met sa personne dans l'ombre pour mettre en avant celle de l'être aimé et ainsi lui rendre hommage.
On distingue un rythme saccadé. Derrière la régularité de l'alexandrin se cachent des ruptures de rythme qui communiquent la souffrance du poète. On observe ainsi de nombreux rejets, notamment celui du vers 8 qui met en valeur l'état d'âme du poète solitaire : « Triste ». Au vers 2, le rejet « Je partirai » suivi d'un point marque une pause plus importante que la césure qu'il précède. Cet effet de pause redoublée créé un rythme saccadé traduisant l'impatience du poète. D'autre part, la césure n'est pas toujours située selon les règles de la poésie traditionnelle. Au premier vers, par exemple, elle n'est pas régulière. Le vers est ainsi scandé : « Demain,/ dès l'aube,/ à l'heure // où blanchit la campagne » (2/2/8). La place de la césure au milieu du groupe du second hémistiche est inhabituelle. De même, le rythme des vers 7 et 8 est saccadé et irrégulier (1/3/4/4 et 1/11), nous caractérisant la douleur du poète.
III. Une tristesse potentiellement infinie
Ce poème met subtilement en valeur la souffrance et la solitude de l'auteur. Si celle-ci semble être insupportable , Victor Hugo transmet toutefois l'espoir d'un renouveau après le deuil. Une certaine acceptation face à cette mort est évoquée. Nous allons donc à présent pouvoir parler d'une tristesse potentiellement infinie.
On peut penser à un repli venant du poète. Tout le poème est centré sur sa personne. Ce repli sur lui- même se manifeste d'abord par l'omniprésence de la première personne : « Je partirai », « je sais », « J'irai », « Je ne puis » (v. 2 à 4), « Je marcherai », « mes pensées » (v. 5), « pour moi », « Je ne regarderai » (v. 8- 9), « quand j'arriverai, je mettrai » (v. 11). Le poète est focalisé sur son intériorité ; plus rien n'existe autour de lui : « Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées/Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit » (v. 5-6). On observe par ailleurs un jeu d'alternance entre mouvement et immobilisation, fixation : « J'irai »// « Je ne puis demeurer » (v. 3- 4), « marcherai »// « les yeux fixés » (v. 5-6). Cette alternance se joue aussi entre les verbes conjugués et l'emploi de l'infinitif et du participe passé qui connotent la passivité : « Je marcherai » // les yeux fixés », « Sans rien voir au dehors sans entendre aucun bruit », « le dos courbé, les mains croisées » (v. 5 à 7). Immobile, passif, le poète adopte donc une posture de méditation, de recueillement : « Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées » (v. 7). La structure même du poème fait écho à la posture du poète.
En plus du repli du poète on remarque pareillement un repli du poème. Le phénomène d'intériorisation se joue au sein même du texte, notamment à travers sa musicalité. En effet, le rythme régulier de l'alexandrin, souvent ternaire, donne au poème un ton incantatoire qui accompagne le recueillement : « J'irai par la forêt, j'irai par la montagne » (6/6), « Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps » (3/3/3/3), « Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées » (4/4/4), « Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit » (3/3/3/3), « Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe » (6/6). De plus, les rimes sont croisées dans chaque quatrain, comme les mains du poète recueilli (v. 7). On trouve par ailleurs beaucoup de rimes internes qui créent un effet d'écho : « Je partirai. Vois-tu, je sai s que tu m'attends » (v. 2), « Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées » (v. 5), « Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées » (v. 7), « Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit » (v. 8), « Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur » (v. 12). Enfin, la chute amène à une lecture rétrospective, donnant l'image d’un texte qui revient éternellement sur lui-même, sans fin… Comme son auteur.
Cependant le poète n'en démord pas, il garde l'espoir d'un renouveau. Le « bouquet de houx vert et de bruyère en fleur » du dernier vers évoque l'idée d'un renouveau (v. 12). En effet le houx vert symbolise l'éternité, l'immortalité. Cette image est redoublée par le pouvoir de la poésie, qui immortalise les images qu'elle représente. On pourrait même se demander si le poète ne joue pas sur l'homophonie entre « houx vert » et « ouvert » pour teinter implicitement la fin de son poème d'une lueur d'espoir.
Conclusion
Dans ce poème, Victor Hugo évoque la tragique disparition de sa fille. Celui-ci tire du registre lyrique et style incantatoire, ce qui rassemble les caractéristiques du Romantisme, dont Victor Hugo est le chef de fil. Dans ce registre on retrouve des énumérations de paysages, solitude et méditation du poète au sein de la nature et expression de ses sentiments. Le poète nous livre un poème à la fois intime et pudique qui revient infiniment sur lui-même . Ce poème n'est pas sans faire songer à un autre poème, « Elle avait pris ce pli », dans lequel Victor Hugo évoque aussi avec pudeur la douleur de son deuil. Il rend hommage à sa fille en la faisant vivre à travers cette journée symbolique qui lui consacre.
Ici, l'hommage passe principalement par ce recueil car en écrivant il laisse une trace du passage de sa fille sur cette terre, et ce malgré fut court … Il montre son acheminement spirituel depuis la perte de l'être le plus cher à ses yeux. Il en a parcouru du chemin, on relèvera le premier poème « je fus comme fou » où il était anéanti, effondré, révolté contre son Dieu auprès duquel il avait placé toutes ses croyances. Il estimait que celui-ci lui avait enlevé sa fille bien trop tôt. Dans « demain dès l'aube » cette souffrance est quelque peu apaisée, et il est en phase d'acceptation face au deuil.