Questions préalables
- L'opinion peut-elle être le guide du pouvoir politique ?
- Cerner correctement ce qui est ici nommé " opinion "
- Comment se nomme traditionnellement un pouvoir qui flatte l'opinion ?
- Le pouvoir peut-il inversement braver l'opinion ?
Introduction
Il arrive, et même fréquemment, qu'un pouvoir se plaigne d'une incompréhension de ses décisions par l'opinion ; il en vient alors à déplorer une absence d'explications suffisantes. Quelle que soit la cause de la résistance de l'opinion dans de tels cas, cela montre au moins qu'un tel pouvoir entend plutôt persuader l'opinion de la justesse de ses décisions que se plier à ce qu'elle souhaitait. À l'inverse, le pouvoir qui cherche à flatter l'opinion est fréquemment qualifié, négativement, de démagogique. Alors l'opinion peut-elle être le guide du pouvoir politique, et si oui, dans quelles conditions ?
I. Les errances de l'opinion
D'où vient l'opinion ? Dans la tradition philosophique, elle a mauvaise réputation : de Platon à Descartes ou Heidegger (l'anonymat du "on"), on n'y perçoit qu'une fausse pensée, mal construite et sans rigueur, soumise aux passions et aux intérêts. Il est vrai que, sur le plan strictement politique, l'opinion ne se fonde, semble-t-il, que sur la situation personnelle de chaque membre d'un État. Elle ne rassemble ainsi, de façon éventuellement discordante en raison de la diversité des situations, qu'une somme d'intérêts personnels, que l'on qualifiera volontiers de strictement égoïstes et à courte vue.
À l'inverse, un pouvoir politique normalement constitué se doit de viser la défense d'un intérêt collectif ou commun, qui est tout autre chose que la simple somme des intérêts privés. Par définition, cet intérêt collectif est celui d'une nation, non de classes ou de groupes particuliers. Or, c'est au contraire de ces derniers qu'émanent des opinions différentes. II n'est pas nécessaire d'être farouchement marxiste pour reconnaître que les situations matérielles des citoyens déterminent largement leurs envies, leurs partis pris et leurs valeurs politiques. Comme on constate aisément d'autre part que chaque individu, même sans faire preuve d'un égoïsme pathologique, a tendance à penser en priorité à sa propre situation et à concevoir les problèmes de la société à la lumière des siens, on doit reconnaître qu'à l'intérieur d'un État, ce n'est jamais une opinion unanime qui s'énonce, mais que cherchent au contraire à se faire