L'expérience de la beauté passe-t-elle nécessairement par l'oeuvre d'art ?

Corrigé sous forme de plan détaillé.

Dernière mise à jour : 24/11/2021 • Proposé par: cyberpotache (élève)

Remarques préalables

- La question peut se ramener au problème de l'existence d'une beauté naturelle - mais à condition que cette dernière puisse être perçue directement, sans aucune expérience artistique antérieure.
- Si la beauté est "désintéressée", ce désintérêt peut-il se manifester par rapport à un donné naturel ?
- Que désigne-t-on lorsqu'on évoque un "beau paysage" ?

Introduction

On sait que la conception de la beauté physique d'un individu varie d'une culture à l'autre. Ce relativisme implique-t-il que seuls des éléments culturels élaborent la beauté, parmi lesquels l’œuvre d'art serait alors fondamentale, ou peut-on admettre qu'une expérience directe de la beauté est possible, sans qu'il soit nécessaire de passer par l’œuvre d'art ?

I. Le rapport au beau est tardif

On note que la relation initiale entre l'homme et les choses est liée à des intérêts pratiques : il s'agit d'abord de survivre. La notion de beauté ne peut se former qu'ensuite. Ainsi, un "beau paysage", tel qu'il est admiré par un touriste, a une signification très différente pour un Aborigène australien : il est lieu mythique, demeure d'esprits, territoire de chasse ou de cérémonie, mais certainement pas "beau".

Le beau est ainsi de l'ordre d'un "superflu" qui ne peut apparaître qu'après la satisfaction des besoins essentiels. Ce que confirme son absence de relation avec le besoin ou le désir. Même le "beau corps" n'est pas forcément le plus sexuellement désirable.

II. La beauté physique est culturelle

Ce qu'on nomme "beau corps" dans une culture peut très bien ne pas être "beau" pour une autre. Ainsi la corpulence appréciée dans certaines sociétés africaines ne correspond pas aux critères de la société occidentale. Mais il est très vraisemblable qu'un visage doté de ce que la sculpture antique présente comme "nez grec" ne paraîtrait aujourd'hui pas particulièrement beau. II y a donc des variations culturelles, mais aussi historiques.

Dans les cultures "primitive", le corps ne peut être réputé beau que s'il porte les marques de son appartenance culturelle : tatouages, coiffures, dents modifiées, etc., c'est-à-dire s'il a été modifié par des "techniques du corps" (Mauss) qui constituent des arts "mineurs". On constate dans ces mêmes cultures "primitives" une confusion éventuelle entre le beau, l'utile, l'efficace, notamment à propos des objets rituels ou religieux (masques, statuettes). Ce qui confirme que la notion de beauté n'émerge que dans un contexte culturel -et non relativement à la nature telle qu'elle est immédiatement donnée, et qui demeure dans de telles sociétés un milieu à travailler (ou nourricier) dénué de toute dimension de beauté.

III. De l'art à la nature

Dans l'histoire de la sensibilité occidentale, c'est l'art qui révèle les beautés de la nature : on ne commence à s'intéresser esthétiquement au paysage qu'à partir de la lecture de La Nouvelle Héloïse (encore est-ce de façon d'abord confuse, ou le sentimental se mélange au beau). II en résulte qu'un beau paysage est d'abord celui qui rappelle au moins vaguement un beau tableau (ce qui ne signifie pas que ce dernier doit être nécessairement connu par l'individu qui juge que le paysage est beau : le sujet subit une imprégnation par sa culture, à travers laquelle se diffuse l'influence de la mise en forme initiale du tableau).

L'expérience de la beauté (de la nature) renvoie donc toujours, au moins implicitement, à une connaissance très floue de l'art. Mais c'est précisément parce que le public ignore une telle détermination de son jugement sur la nature qu'il lui arrive ensuite de n'apprécier dans une rouvre que ce qui lui rappelle la nature, méconnaissant que son intérêt pour cette dernière provient de l'histoire de l'art et de la culture. On aboutit ainsi à inverser totalement la relation, et à exiger de l'art qu'il "imite" ou "reproduise" un modèle qu'il a lui-même révélé.

Conclusion

Kant remarque que si nous sommes émus par le chant d'un rossignol, c'est parce que nous croyons y percevoir une intention d'exprimer des sentiments humains. Comme le ferait la musique... Ce qui ne l'empêche pas d'admettre l'existence d'une beauté naturelle (celle qu'il qualifie d'"adhérente" par opposition à la beauté "libre", qui est celle de l'art). Mais cette dernière n'existe que relativement à une conscience capable de la percevoir (à moins qu'on n'admette qu'elle existe de toute façon pour Dieu, qui en serait l'auteur, mais une telle conception mélange l'esthétique et la théologie), et dans cette conscience, c'est d'abord la connaissance de l'art ou ses échos qui forme l'expérience du beau.

Lectures

- Francastel, Peinture et Société
- Kandinsky, Point, ligne, surface