Le développement technique transforme-t-il les hommes ?

Annale bac 2009, Série ES - France métropolitaine

Corrigé synthétique.

Dernière mise à jour : 16/11/2021 • Proposé par: cyberpotache (élève)

Analyse du sujet

a) Analyse des termes

- Le développement ne signifie pas nécessairement "progrès" qui a une connotation positive immédiate; il faudra par conséquent articuler l'un sur l'autre ces deux sens. "Développer" revient à actualiser les potentialités, les possibilités et a pour synonyme le plus proche: évolution.
- Le développement technique, cela signifie t-il que le développement soit pensé à l'intérieur de l'ordre technique, ou bien que le principe de tout développement soit la technique ?
- Transformer est ici accolé à réellement: toute transformation ne touche donc pas l'être transformé dans sa réalité. La transformation touche peut-être seulement ce qui est périphérique, accessoire à l'être: elle change seulement les "formes", les manières d'être mais pas l'être.
- Cette perspective sur la transformation montre toute l'acuité du problème quand la transformation a pour "objet" "l'homme": peut-il se transformer ?

b) Problématiques possibles

- Les rapports entre le système technique et l'ordre humain: existence et essence de ce rapport.
- Les points de vue bioéthiques: la technique ne doit pas du tout porter atteinte à l'intégrité de l'homme, source et principe des valeurs. Mais alors des valeurs positives ne peuvent-elles pas diriger ce développement ?
- Qu'entendre par "transformer réellement" ?

c) Références souhaitables

- G.Simondon, Du mode d'existence des objets techniques
- Heidegger, De l'essence de la technique
- Descartes, Discours de la méthode, VI

Introduction

C'est étonnant de se demander si le développement technique transforme l'homme réellement, car la technique, c'est d'abord un ensemble d'objets, dont le développement concerne ces objets et non pas le sujet humain : que le dérailleur Shimano ait changé le vélo en VTT, cela se comprend ; mais qu'il ait pu altérer l'être même de l'homme, voilà une idée difficile à admettre.

Pourtant nos rapports à la réalité sont médiatisés par des objets techniques; tous nos comportements semblent passer par eux: que serions-nous sans la voiture à l'heure actuelle? Un seul objet technique vous manque et tout est dépeuplé... Aussi faut-il examiner les rapports entre l'homme et la technique.

I. La technique n'a pas d'effet sur la liberté de l'homme

La technique se développe, i.e elle s'améliore, elle permet une plus grande efficacité dans les buts qu'elle s'est assignée. Elle réduit et concentre en augmentant ses effets: minimum pour un maximum, telle est la formule du développement technique. Par ex. le développement technique a permis de concentrer en une seule pastille de vitamine C l'équivalent d'un kilo d'oranges : mieux vaut avaler la pastille plutôt qu'un kilo d'oranges si on ne veut pas souffrir de problèmes gastriques.

En quoi ce développement serait sans effet sur l'homme ? On peut penser que la technique, quand elle se développe, est sans effet sur l'homme en tant que tel, i.e en tant qu'il est une liberté. Et le propre d'une liberté, c'est de ne pas dépendre des différents déterminismes. La technique a ses impératifs, elle a un ordre de nécessités qui ne peut apparemment subordonner l'être-libre de l'Homme. Pourtant, le développement technique doit se réinscrire dans ce qui le nécessite, i.e dans le rapport de l'homme à la nature.

II. Le développement technique correspond au développement de l'homme

Si développement technique, il y a, c'est parce que l'homme est cet être dont la nature est faible devant la nature (pensez aux catastrophes naturelles); il n'est pas immédiatement viable, c'est le plus faible des animaux. La technique, le coutelas par ex. permet de s'affranchir des déterminismes naturels. Mais cela veut dire surtout que le développement technique correspond au développement de l'homme lui-même; cette correspondance est réciproque, un développement se réfère à l'autre, comme le montrent par. ex. les travaux de Leroi-Gourhan.

Le développement technique, c'est une question d'hominisation. Dans cette perspective phylogénétique, le développement technique transforme l'homme dans sa réalité même. Une meilleure maîtrise technique de la couture a pour effet que l'homme est moins sensible au froid et a moins besoin de son système pileux: voyez les techniques vestimentaires. La précision s'impose de savoir si c'est le développement de l'homme qui développe la technique ou si c'est l'inverse.

III. La question de la nature de la transformation de l'homme

La question est mal posée: c'est dans la réciprocité des deux développements que la question se pose: qu'il y ait développement, cela indexe qu'il est technique et humain: telle est la perspective que Simondon a ouverte avec son "mode d'existence des objets techniques"; le développement technique doit se réinscrire dans le développement culturel. elle doit être pensée comme une valeur qui n'est pas sans effet sur l'homme. Le problème porte plutôt sur la réalité même de cette transformation: l'homme est un animal en devenir, il a à devenir ce qu'il est.

Il n'est pas déjà ce qu'il est. Il passe par conséquent d'une forme d'humanité à une autre forme : trans - formation. Deux solutions sont ici possibles: soit l'homme a un fond irréductible à ces formes, qui ne sont que des manières d'être de ce fond, alors le développement technique est sans effet sur ce fonds, même si la réalité de la transformation est indéniable. Soit l'être de l'homme tient dans ces transformations, il consiste à passer d'une forme à une autre, alors le développement technique transforme réellement l'homme. Ainsi, si le développement touche à son maximum, accomplit son essence, alors il accomplira celle de l'homme; et inversement le développement des capacités humaines dans une meilleure société, dans un meilleur système de pensée, implique un meilleur développement technique. Au bout de ce processus double, il y a le bonheur.

Conclusion

Cette dualité des réponses montre bien qu'il s'agit de bien définir l'homme: si ce dernier est indexé sur la nature, alors la technique comme principe des développements transforme l'être naturel de l'homme. Mais pas son être: tel est le pli constitutif de l'humanisme métaphysique selon Heidegger qui voit dans le déploiement de la puissance du rationnel, dans le développement de la technique l'ultime avatar de la pensée métaphysique; et rapprocher la technique de la métaphysique n'est pas sans effet sur l'humanité de l'homme; La question même du sujet découle de ce rapprochement. Il faut par suite, si l'on veut être alternatif, reposer en d'autres termes la question.