"C'est du fanatisme religieux !". L'expression est courante, et souvent prononcée par celui qui tente de dénigrer une religion en lui reprochant son aspect, par bien des égards, perçue comme trop intolérante, qui isolerait son pratiquant dans une croyance extrémiste. Pourtant, derrière sa banalité, la formulation à de quoi surprendre. En effet, si la religion est dite "fanatique", c'est parce que cet ensemble de croyances et de pratiques relatives au sacré séparent la réalité en deux ordres, celui du réel du profane, et celui du sacré, ce qui diviserait supposément les hommes. Mais, ce postulat qui semble tant dissociateur ne prend pas en compte l'essence sociale de la religion, source d'un lien unissant une communauté autour d'une même lecture du réel et autour de mêmes lois. Aussi, face à cette situation, nous pouvons nous demander si la religion est réellement une pratique humaine conflictuelle qui enfermerait l'homme dans un rapport individuel et extrémiste au monde, ou si au contraire, elle n'est pas essentiellement sociale et vectrice de lien qui rapprocherait les hommes autour d'une même vision consensuelle de notre société. Pour ce fait, nous verrons tout d'abord que la religion peut être source de division par les tensions et l'émergence de l'individualisme qu'elle peut entraîner, puis nous étudierons son rôle de lien social, et enfin, nous établirons que la religion ne peut exister que dans un contexte rassembleur.
I. La religion peut être source de division
De prime abord, le peuple qui forme une société est fracturé en divers groupes de religions : les catholiques, les juifs, les musulmans notamment, qui sont eux-mêmes divisés en sous-groupes avec le wahhabisme, le protestantisme ou encore le chiisme. De plus, il y a également ceux qui se déclarent comme étant non religieux : les athées, que l'on doit également prendre en compte. Il apparaît donc bien que la religion échelonne et sépare les hommes en fonction de leurs croyances. En outre, les religions sont supposées avoir un caractère sacré, mais surtout universel qui devrait s'appliquer à tous, l'homme percevant sa religion comme unique, universelle, sainte, sublime et véritable Or, elles sont des dizaines et sont par conséquent en conflit afin d'imposer leurs propres visions du monde. Mais qu'y a-t-il de plus diviseur qu'une guerre de religion, elles déchirent littéralement un même peuple en plusieurs parties; avec notamment le schisme provoqué par les idéaux de la réforme qui conduit à une opposition entre protestants et catholiques sous la forme d'une sanglante guerre civile en France au 15ème siècle, sans parler les terroristes islamistes actuels qui avec la stratégie de la zone grise tente de désunir l'Europe.
Mais en plus de cet aspect conflictuel, elle est également à l'origine de l'émergence de l'individualisme. En effet, la religion chrétienne à titre d'exemple est par essence opposée à une vision holistique du monde puisqu'elle sépare les individus; le christianisme consacre l'être humain comme un individu à part entière, il a fait de sa personne, de son existence individuelle une réalité "sacrée". Dans la doctrine chrétienne, tous les individus sont reconnus en tant qu'individus et non pas en tant que membres d'une société. En effet, la parabole du berger illustre bien toute l'importance que revêt l'homme en tant qu'être unique pour Dieu puisqu'il est prêt à abandonner tout son troupeau pour sauver une seule âme égarée. Il apparaît donc que la religion chrétienne favorise l'émergence d'une société individualiste aux dépens d'une conception holistique du monde, et dans ce sens sépare les hommes puisqu'elle atomise l'ensemble cohérent et fondu qu'ils formaient avant.
Ainsi, nous avons pu remarquer que la religion peut être source de division dans le sens où elle peut être conflictuelle et individualiste, mais, n'est-ce finalement pas que les dérives d'une pratique qui reste essentiellement vectrice de lien social ?
II. Mais la religion a un rôle social
De fait, elle relie étymologiquement les hommes entre eux et apparaît comme un fondement de la plupart de société et en effet, il y a une église dans chaque village et même lorsqu'on la combat, elle réapparaît toujours, comme en URSS sous Staline, d'où cette phrase de Bergson "il n'y a jamais eu de société sans religion". La religion édicte des règles de vie, mais quel est l'apport fondamental de ces règles sociales, sinon la constitution d'une ekklesia, d'une communauté ? À l'origine en effet, la religion cherche dans une vision politique à unir les individus pour former un groupe, d'où les pratiques collectives comme le culte rendu à Athéna, qui est finalement un culte rendu à la cité. En réalité, l'approche individualiste mentionnée avant n'apparaît que dans un deuxièmement temps et n'est pas nécessaire à la religion.
En outre, dans un second temps, on peut également noter que la religion est source d'union puisqu'elle réunit les individus autour d'une même vision du monde. C'est ce qui a permis aux hommes de se réunir, de leur donner une raison pour se regrouper. Leurs croyances les ont donc conduits à modifier leur comportement pour les rendre peu à peu plus sociables. En effet, à en croire Durkheim la religion est un fait culturel qui sépare la réalité en deux ordres; Il s'agit de la même réalité, mais on la sépare en lui accordant un sens, une valeur spirituelle. À titre d'illustration, une croix peut être un simple bijou matériel, mais pour un chrétien, elle représente la mort du Christ. Il y a donc bien l'idée que les croyants d'une même religion se retrouvent dans cette même séparation du réel, tout comme, selon Eliede, les a religieux se retrouvent dans cette perception du réel dépourvue de toute transcendance.
Ainsi cette même vision du monde se retrouve dans la mise en place de loi et coutumes fondée sur la religion rassemblant les Hommes.
III. Surtout, la religion se fait à travers la communauté, et plus globalement, autrui
Selon Bergson, la religion est étroitement liée aux coutumes d'un groupe et pratiquer cette religion, c'est tout d'abord se mettre en lien avec les autres individus du groupe, mais également fixé ce qui est moral et immoral, c'est institutionnaliser la religion. À titre d'illustration, le fait de porter un voile est une coutume musulmane, mais est devenu une loi juridique en Arabie Saoudite permettant d'unir les fidèles entre eux autour d'une même pratique. C'est même parfois le recours aux Saintes Écritures qui permet de justifier l'union d'un peuple autour d'un monarque, avec par exemple le droit divin au royaume de France au moyen âge. Aussi, on peut finalement noter toute l'importance de la religion comme lien social dans une communauté avec la théorisation d'une religion civile par Rousseau. Il importerait à l'État que le citoyen ait une religion qui le pousse à faire son devoir pour la communauté. Il est ainsi apparu que la religion est un lien social, qui permet aux individus de marquer leur appartenance à une communauté.
Mais ce débat entre divisions ou rassemblement n'est-il pas inutile ou tout du moins stérile dans le sens où seul le contact humain et donc le rapprochement permet à la religion d'exister ? En effet, l'expérience religieuse se fait avant tout dans le contact humain. Selon Levinas, elle n'exige pas de dépasser notre humanité, mais se fait dans la rencontre avec l'altérité et plus précisément avec le visage d'autrui. Il y a l'idée que ce visage révélerait dans sa nudité la fragilité et mortalité de l'autre, nous permettant de prendre conscience de la possibilité de tuer l'autre, mais surtout de le protéger. Ce contact permet ainsi de découvrir sa conscience morale et c'est même par le biais de ce visage que se manifesterait la parole de Dieu.
L'autre est donc nécessaire à toute religion puisqu'il est la médiation entre Dieu et nous.
Conclusion
Ainsi, au terme de cette étude, nous avons pu remarquer qu'il semblerait que les religions soient sources de division par leurs aspects conflictuels et individualistes, mais qu'en réalité, elles sont essentiellement vectrices de lien sociale et unissent des communautés autour d'une même perception de la réalité. Enfin, il est également apparu que peu importe les dérives fractionnaires des religions, elles restent vectrices de rapprochement humain dans le sens où l'expérience religieuse n'est possible qu'à travers un contact à l'altérité.