À quoi reconnaît-on qu'un événement est historique ?

Corrigé synthétique.

Dernière mise à jour : 15/11/2021 • Proposé par: cyberpotache (élève)

Analyse du sujet

a) Analyse des termes

L'exigence première sera de définir l'"événement". Le sujet suppose en effet que puissent exister des évènements non historiques. Bien entendu ces choses qui adviennent sans charge, conséquences historiques, se déroulent, surtout dans l'histoire.

Le terme de "reconnaissance" porte lui aussi des indications, cela relève d'un travail : celui de la connaissance que doit déployer l'historien et, ou d'une intuition quant à l'importance pour l'avenir.

b) Problématiques possibles

Se demander quelle est la pertinence de cette question, au lieu de foncer dans un catalogue de réponses possibles.

La problématique portera sur :
- la pertinence scientifique de la discipline historique;
- l'utilité de l'histoire, au double titre de savoir et de réalité: l'homme, créature historique, peut-il décrypter et maîtriser son destin;
- on peut aussi unifier l'interrogation par une réflexion sur l'histoire contemporaine, voire le journalisme.

c) Références souhaitables

Merleau-Ponty : Humanisme et terreur
P. Veyne : Comment on écrit l'histoire ?
M. Conche : L'événement
Braudel : La Méditerranée
Febvre : Combats pour l'histoire
Bloch : Apologie pour l'histoire

Introduction

Mon anniversaire n'est pas un événement historique ; le premier pas sur la lune en 1969, oui ; la victoire de la France au Mondial de football, peut-être. Un événement historique marque un changement,une rupture, qu'elle soit tonitruante ou inaperçue.

Il y a modification du champ du possible pour l'humanité. "L'avenir jugera" dit-on. Mais dans mon présent il est important que je sache juger du poids objectif de ce que je vis. Comme citoyen j'éviterai des mirages. Comme historien j'interrogerai des objets dignes d'analyse. Illustrations : le bruit sur l'an 2000 relèvera-t-il d'une péripétie futile ou d'un bornage historique majeur?

I. L'événement historique parmi une foule d'événements

L'actualité journalistique est pleine chaque jour de nouveautés ... qui s'avéreront sans intérêt car sans conséquences. Peut-être même s'agit-il de fausses nouveautés. On les appelle "marronniers" dans le jargon journalistique, quand elles reviennent chaque année. Tout changement, tout ce qui advient n'est pas pour autant évènement. La saison venue, on ramasse les noix en Provence nous dit Braudel, précisant qu'il ne s'agit pas d'un événement puisque siècle après siècle les hommes répètent ces mêmes gestes. D'où un premier critère : l'événement a lieu une fois. César ne franchit le Rubicon qu'une fois.

Mais cette unicité n'épuise pas les caractéristiques de l'événement ou fait historique. Il lui faut également renvoyer à du contingent. Comme il pouvait ne pas être, il n'y a pas en lui de nécessité qui nous aurait permis de le prévoir, de le dessiner par avance grâce à notre science. Ce critère de la contingence doit lui même être complété par une nouvelle propriété : l'événement historique inaugure une nouvelle causalité ; il modifie l'avenir des hommes. D'où un partage entre l'avant et l'après. Après la Révolution de 89, rien ne sera jamais plus comme avant en France. Mais peut-on jamais dire "jamais" en histoire ? La royauté est certes historiquement dépassée, obsolète de manière définitive et pourtant l'Espagne proche l'a réinstaurée.

Il faut donc se pencher plus avant sur l'événement historique puisque: certains d'entre eux marquent des grands passages, l'avènement d'ères qui secondent la constitution de l'homme comme être de l'histoire; et d'autres n'exhiberont leur importance que bien plus tard. Exemple : l'invention de la machine à vapeur s’avérera, à posteriori constituer un événement historique. Elle n'est pas vécue comme révolution par les gens de l'époque.

II. Une interrogation pour comprendre et maitriser son destin

L'histoire, qui a pour objet l'événement doit donc se demander si ce qu'il étudie obéit aux propriétés que nous venons de dégager ne s'enferme t-il-pas dans de la "petite histoire" (voire de "l'histoire d'alcôve"). À l'opposé peut-on qualifier de "détail de l'histoire" c'est à dire de non événement la Shoah, ainsi qu'a osé le faire un chef de parti condamné par la conscience collective et par les tribunaux ? Ici se croisent inquiétudes, responsabilité du citoyen et devoir de l'historien. Il devra rétablir la vérité et s'opposer aux "négationnistes" pour qui les camps d'extermination n'étaient pas cet évènement d'une barbarie totalitaire, mais simples lieux de regroupement. On le voit, l'interrogation est épistémologique et éthico-politique. C'est pourquoi, même les historiens qui vont minorer le rôle de l'événement en histoire n'entendent nullement l'éliminer.

La science historique n'est pas faite que d'évènements ; elle relève aussi de structures, du quantitatif. On peut, avec Paul Veyne, poser qu'un évènement n'existe pas en soi, au titre d'unité. Dans cette optique, c'est la problématique qui crée,au titre de conséquence, ses évènements. Illustrations : la Révolution Française c'est un événement majeur pour une histoire politique. Mais si ma problématique d'historien, si ma recherche c'est une histoire du costume ou de la nourriture, alors la Révolution n'est plus un événement.

Mais, même cette position sur l'histoire en tant que science va reconnaître l'importance de l'idée d'événement historique. Car faire de l'histoire, c'est légitimé par la volonté de comprendre mon présent (par le passé) en accueillant les vraies nouveautés historiques. Sur celles-ci va pouvoir se déployer la liberté collective. Cette temporalité a besoin d'une histoire secondée par des évènements, repères pour la mémoire et la visée du futur.

Conclusion

Il est de vraies et de fausses révolutions. C'est à l'historien mais aussi à "l'honnête homme" de savoir faire le tri. Si lire la presse est une manière "d'être avec autrui" comme le dit R. Nozick (Méditations sur la vie) c'est parce que la responsabilité du lecteur se surajoute à celle du journaliste au lieu de s'y abandonner : il s'agit de juger ce qui est important et ce qui ne relève que de l'écume des choses.