Voltaire, Candide - chapitre 6

Plan de la fiche : I. L'art du conteur : un texte narratif traditionnel, II. Une ironie omniprésente,
III. La dénonciation

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: zetud (élève)

Texte étudié

APRÈS le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sages du pays n'avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé(1) ; il était décidé par l'université de Coïmbre(2) que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler.
On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d'avoir épousé sa commère, et deux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard(3) : on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l'un pour avoir parlé, et l'autre pour avoir écouté avec un air d'approbation : tous deux furent menés séparément dans des appartements d'une extrême fraîcheur, dans lesquels on n'était jamais incommodé du soleil ; huit jours après, ils furent tous deux revêtus d'un san-benito, et on orna leurs têtes de mitres de papier : la mitre et le san-benito(4) de Candide étaient peints de flammes renversées et de diables qui n'avaient ni queues ni griffes; mais les diables de Pangloss portaient griffes et queues, et les flammes étaient droites(5). Ils marchèrent en procession ainsi vêtus, et entendirent un sermon très pathétique, suivi d'une belle musique en faux-bourdon. Candide fut fessé en cadence, pendant qu'on chantait ; le Biscayen et les deux hommes qui n'avaient point voulu manger de lard furent brûlés, et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soit pas la coutume. Le même jour la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable.
Candide, épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant, se disait à lui-même : « Si c'est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ? Passe encore si je n'étais que fessé, je l'ai été chez les Bulgares. Mais, ô mon cher Pangloss ! le plus grand des philosophes, faut-il vous avoir vu pendre sans que je sache pourquoi ! Ô mon cher anabaptiste ! le meilleur des hommes, faut-il que vous ayez été noyé dans le port! Ô Mlle Cunégonde ! la perle des filles, faut-il qu'on vous ait fendu le ventre !
Il s'en retournait se soutenant à peine, prêché, fessé, absous et béni, lorsqu'une vieille l'aborda et lui dit : « Mon fils, prenez courage, suivez-moi. »

1. Auto-da-fé (orthographe du XVIIIe siècle) : cérémonie au cours de laquelle les hérétiques condamnés par l'Inquisition étaient invités à faire acte de foi.
2. Coïmbre : L'une des quatre Inquisition (Lisbonne, Coïmbra, Devora, Goa).
3. Lard : La religion juive interdit de manger du porc.
4. San-benito : Casque jaune, dont les inquisiteurs revêtaient les hérétiques ou les juifs qu'on allait brûler.
5. La flamme droite annonçait la peine de mort

Voltaire, Candide, ou l'Optimisme - chapitre 6

Après l'arrivée à Lisbonne de Candide et de Pangloss et le tremblement de terre, l'Inquisition condamne le disciple et le maître à un auto-da-fé pour quelque discours suspect, c'est sur cet extrait que nous allons nous pencher.

I. L'art du conteur : un texte narratif traditionnel

- Situation initiale (1er paragraphe) = imparfait présentation
Quand ? Après le tremblement de terre / • Où ? Lisbonne / • Qui ? "Les sages du pays", "l'université de Coïmbre" : les héros ne sont pas encore rentrés en scène : effet de surprise / • Quoi ? Un autodafé

- Péripéties (2e paragraphe) = passé-simple + articulation "en conséquence" on rentre dans l'action
variété dans les rythmes et la manière de raconter. Pauses descriptives : imparfait / prison / costumes
Contenu : Les supposés fautes des différents condamnés + Cérémonie
Chute en 1 seule phrase : Met en valeur l'inefficacité de l'action

- Situation finale (3e et 4e paragraphe) = Imparfait l'action s'immobilise
Pause par rapport à l'action : imparfait / contenu : style direct, de Candide faisant une rétrospective et un bilan de ce qu'il a subit.

II. Une ironie omniprésente

- 1er paragraphe

Les deux premières phrases sont redondantes (elles veulent dire la même chose) : phénomène d'insistance qui met en éveil sur le contenu de ces deux phrases.
• Antiphrase :"un bel autodafé" => ironie
• Périphrase par rapport à l'autodafé : "Le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu", "spectacle" => voyeurisme et "petit feu":antithèse = horreur
• "cérémonie" et "spectacle" sont mis sur le même plan : mélange le côté solennel et l'amusement pur. (Objectif : satisfaire le peuple et seulement cela)

- 2ème paragraphe

Absurdité des condamnations qui reposent toutes sur des apparences (parfois douteuses), on s'attarde sur des détails là où le lecteur attend plus une description de la psychologie des personnages.
Candide ne sait pas que le public connaît la signification symbolique des dessins
L'évocation de la prison à travers une périphrase élogieuse relève elle aussi de l'ironie.
"quoique ce ne soit pas la coutume" : commentaire ironique sur l'aspect innovant de cette nouvelle torture.

Le "en conséquence" analyse un lien de cause à effet qui n'a aucune raison d'exister. Ce n'est pas parce qu'on a décider d'un autodafé qu'on doit trouver des coupables : normalement c'est l'inverse.
Le connecteur temporel, "huit jours après", met en valeur une ellipse ; "Le même jour" : montre l'inefficacité de l'autodafé.

Dans ce passage, non seulement le narrateur raconte, mais en plus il prend une distance ironique qui nous oblige à voir ce passage comme un texte de dénonciation.

III. La dénonciation

A. Le fanatisme et l'intolérance

-> Arbitraire des arrestations qui sont basées sur des motifs qui sont purement et simplement des différences de culture et de religion.
-> Le dernier paragraphe nous ramène à l'horreur du châtiment qui a été un peu "gommé" dans le 2e paragraphe : accumulation : conséquences de l'horreur. Les derniers adjectifs : totalement ironiques quand ils présentent l'autodafé comme un acte religieux

B. La superstition

En quoi un autodafé peut empêcher la terre de trembler ? = pure superstition

C. L'optimisme (de Candide)

-> Dernier paragraphe : Le narrateur regarde de manière amusée les interrogation de Candide rapportées au style direct.
-> caractère emphatique des phrases soulignées par l'apostrophe en "Ô"
-> Répétition de la même structure dans les 3 phrases : ridicule et naïveté de Candide

Conclusion

On peut dire que l'intérêt de ce passage réside essentiellement sur deux points :
Voltaire est un maître dans l'art de la mise en scène et l'originalité constatée ici souligne que le mal métaphysique engendre des maux humains uniquement voulus par les hommes. Il est à noter également que l'on retrouve dans cet extrait l'ironie voltairienne qui nous est familière.