Problématisation
On se rend vite compte que sur une question plusieurs thèses, et donc différentes réponses sont possibles. Une question simple admet une seule réponse, elle peut être vite « résolue ». Donc s’il y a plusieurs réponses possibles, c’est qu’il y a « quelque chose » dans cette question qui n’est pas si simple, que dans certaines thèses « quelque chose » n’est pas si simple et donc pose problème .
Problématiser, c’est donc
1) d’abord se poser des questions sur la question parce que certaines thèses posent question, parce que le fait qu’il y ait plusieurs thèses possibles oblige à se poser des questions
2) puis essayer d'identifier ce qui n'est pas si simple et est la cause de ces différentes thèses ou de leurs limites
3) et enfin formuler sous la forme d’une question ce qui n'est pas si simple, ce qui pose problème
Remarque : pour problématiser, il faut donc d’abord envisager les réponses possibles puis analyser ce qui n’est pas si simple. Différentes manières de problématiser
1) Se poser des questions sur la question
C’est qu’il peut donc y avoir différentes thèses (réponses) envisageables face à cette question. Ce qui n’est pas si simple : si d’autres thèses peuvent être soutenues, envisagées, c’est qu’une thèse peut avoir des limites, être critiquée.
Problème possible : S’il semble possible de ne pas vouloir la vérité, ne peut-on pas avoir de meilleures raisons de la vouloir?
2) Essayer d'identifier ce qui n'est pas si simple
C’est qu’il peut y avoir différentes définitions des termes du sujet et différents niveaux de compréhension de la question :
Vouloir
1) Avoir envie de , tendre spontanément, immédiatement vers ......= désirer ( on vise l’agréable)
2) Désir de son désir : désirer ( ou pas) ce qu’on désire = idée de volonté qui sous-entend choix, évaluation des termes du choix et valeurs déterminant ce choix (on vise le bon)
Donc sens 1≠ sens 2
Pouvoir
1) Avoir la possibilité de... avoir la capacité de...
2) Avoir le droit de ...
- du point de vue de la loi de l’État ( légalité)
- du point de vue de la loi morale ( moralité )
- du point de vue d’un droit naturel ( en conformité avec « la nature » de l’homme)
Du coup, selon le sens attribué à certains termes de la question, une thèse peut être pertinente ou pas. Donc cela dépend du sens que l’on donne à la question.
C’est ça qui pose problème, qui questionne. : quel est le sens véritable de cette question?
Problème possible : Si on semble pouvoir ne pas désirer la vérité peut-on vraiment ne pas la vouloir, faire le choix réfléchir de l’erreur et de l’illusion?
S’il semble être dans nos capacités de ne pas vouloir posséder la vérité, en a t-on vraiment le droit?
3) Formuler sous la forme d’une question ce qui pose problème
C’est que certaines thèses reposent sur des prémisses. Du coup elles ne sont valides que si on admet ces prémisses. Or il est possible qu’on se rende compte en les examinant que ces prémisses posent question et du coup la thèse pose aussi question et on se rend compte que le problème est là.
Ex :il est possible de ne pas souhaiter la vérité car elle peut faire souffrir
Mais soutenir cela, c’est présupposer
- que le seul critère de nos choix, c’est le plaisir
- que le seul critère de nos choix peut être légitimement le plaisir
- que l’on est libre de choisir nos critères de choix
- qu’on a le choix face à la vérité
Du coup, selon ce qu’on admet ou pas au préalable, une thèse peut être justifiée ou pas. Donc cela dépend des prémisses admis. Problème possible : Il semble possible de ne pas souhaiter posséder la vérité mais a-t-on vraiment le choix ?
Introduction
1) Vouloir, c’est d’abord désirer, c’est tendre vers la représentation de la possession future d’un objet qu’on associe à un plaisir. Aussi il semblerait qu’on puisse ne pas souhaiter savoir ou entendre une vérité anticipée comme promesse de douleurs. Il y a en effet des vérités qu’on préférerait ne pas savoir. On peut penser à l’annonce de la mort d’un proche ou à la prise de conscience de notre propre mortalité.
2) Mais on peut penser que ce n’est pas une solution durable : la vérité finira sans doute par éclater au grand jour. Il faudra se confronter à la réalité
3) Aussi on peut se demander si on peut vraiment ne pas vouloir la vérité.
4) Ce qui pose problème , c’est que même si on peut ne pas désirer la vérité, peut-on vraiment choisir de céder à ce désir ?
5) Nous allons donc nous demander s’il n’est possible d’envisager un refus de la vérité et donc un désir d’être dans l’ignorance, le faux et si pour autant il peut s’agir d’une véritable volonté et si on n’a pas en un sens le devoir de ne pas fuir la vérité et même celui de la chercher.
I. Il semble possible de ne pas désirer la vérité
Argument n° 1: la vérité peut faire souffrir
Étape 1 ( prémisse n°1) : si on part du principe que les hommes sont des être sensibles, capable de plaisirs et de douleurs
Etape 2 : alors ils tendent naturellement vers ce qui leur procure du plaisir et fuient le déplaisir ( chacun - et même tout être sensible - en fait l’expérience, même le masochiste fuit le déplaisir)
Etape 3 : Or La vérité peut être douloureuse
(Ex : annonce d’un échec, d’une maladie, de la fin d’un amour)
DONC il est donc possible de fuir la vérité pour ne pas souffrir
Argument n° 2 : la vérité peut ne pas être nécessaire à la vie
Etape 1 : si on part du principe que ce qu’on veut, c’est ce que l’on désire
Etape 2 : on désire ce que l’on juge bon pour nous et le bon peut être défini comme ce qui nous est utile pour vivre, pour vivre bien Etape 3 : vivre, bien vivre c’est arriver à faire sa place dans la société et à se défendre face aux autres
Etape 4 : Or la vérité ne le garantit pas et peut même mettre en danger ( EX : Socrate, le philosophe descendant dans la caverne, celui qui ne veut pas mentir, celui qui est obséder par la recherche de la vérité , Thalès tombant dans un puits à force de contempler les étoiles .. )
DONC il est possible pour sa vie de ne pas désirer la vérité ( la savoir ou la chercher).
Référence : c’est même ce que conseille Calliclès à Socrate dans le Gorgias
Argument n°3 : la vérité semble difficile à atteindre
Ex : En sciences, la vérité est approchée par rectification d’erreurs successives, vérité provisoire... . Efforts coûteux et peut-être même stériles.
Transition
1) Nous venons donc de voir qu’il semblerait possible de ne pas désirer la vérité car elle peut faire souffrir et
ne pas nous être utile et même être une dépense d’énergie stérile.
2) Mais ne peut- on pas distinguer désirer et vouloir? En effet on peut désirer ce qu’on ne veut pas en réalité et à l’inverse ne pas vouloir qu’on désire. On peut penser dans le premier cas au cas de l’acrasie où on voit le meilleur, on l’approuve mais on fait le pire car on est soumis à la perspective du plaisir immédiat ou à notre corps. La volonté présuppose à l’inverse une activité de choix, une maîtrise de soi et de ses désirs. Quand on veut quelque chose, c’est qu’on l’a décidé et on s’y tient contre les caprices de nos désirs ou les séductions du moment. Et on peut décider de dire non à nos désirs ou de s’imposer quelque chose de peu agréable mais qu’on juge bon par nous. C’est la volonté de réussir dans ses études qui peut pousser un élève à refuser la proposition d’une soirée par exemple.
3) Aussi on peut se demander si on peut vraiment faire le choix délibéré de l’ignorance, vouloir vraiment ne pas connaître ou chercher à connaître la vérité.
II. Il n’est pas possible de vraiment ne pas vouloir la vérité (sachant que vouloir ≠ désirer)
Argument n°1: la connaissance de la vérité peut faire qu’on souffre moins dans l’existence
Etape 1 : ( reprise prémisse n°1) Si les hommes tendent naturellement vers ce qui leur procure du plaisir et fuient le déplaisir
Etape 2 : MAIS (critique d’étape 3 de l’argument 2) si la vérité peut être douloureuse, l’ignorance l’est tout autant et même plus
Etape 3 : OR la connaissance de la vérité peut libérer de croyances qui nous rendent malheureux ( Thèse d’Epicure)
DONC le choix de la vérité est en réalité un meilleur calcul , un calcul plus rationnel, du point de vue du plaisir
Argument n°2: la connaissance de la vérité peut être source d’une satisfaction plus grande que celle de l’ignorance
Etape 1 : ( reprise prémisse n°1) Si les hommes tendent naturellement vers ce qui leur procure du plaisir et fuient le déplaisir
Etape 2 :Mmais ils ne veulent pas pour autant n’importe quelle forme de plaisir , ils visent le plaisir le plus durable et celui qui est suivi de moins de souffrance
Etape 3 : Or le plaisir de l’ignorance peut ne pas durer et la révélation sera d’autant plus douloureuse que l’on aura tardé à la connaître ( dissipation de l’illusion)
DONC on ne pas peut vraiment vouloir ignorer la vérité.
Argument n°3 : nous sommes des hommes : on ne peut préférer le plaisir ou même le bonheur à la vérité
Critique de la prémisse n°1 et du temps 3 de l’argument 2
Transition
1) Nous venons donc de voir que finalement nous ne pouvons pas ne pas vouloir la vérité car la vérité est plus satisfaisante que l’ignorance, elle permet de délivrer de la souffrance et est plus utile à l’homme qui est d’abord un être de raison , même si elle peut être parfois difficile à entendre ou accepter ou trouver
2) Ne peut on pas même penser que l’homme n’a pas le droit de ne pas vouloir la vérité en tant qu’être doué de raison?
III. Non seulement, ce n’est pas possible mais on n’en a pas le droit (2ème sens de peut-on)
Argument n°1 : la dignité de l’homme ne lui en donne pas le droit
Etape 1 : L’homme est un être pensant, doué de raison capable de juger et de discerner le vrai du faux.
Etape 2 : "Toute notre dignité consiste donc en la pensée » comme le disait Pascal // Kant
Etape 3 : OR Cette dignité implique le respect, y compris de soi et le respect impose de faire certaines choses et de renoncer à d’autres. Etape 4 : tout n’est pas permis ,
Etape 5 : Il n’est pas permis à l’homme de ne pas penser et donc de chercher la vérité , il n’en a pas le droit en tant qu’homme
Argument n°2 : La morale ne l’autorise pas
Conclusion
1) Il s’agissait de savoir si le désir de l’illusion et de l’ignorance pouvait être une véritable volonté, si on pouvait avoir des raisons de se détourner de la vérité et de sa recherche.
2) Même si la vérité peut être désagréable, même si elle peut ne pas être utile pour réussir dans la vie et parfois difficile à atteindre, elle est nécessaire pour réussir sa vie en tant qu’homme. C’est le paradoxe de l’homme, il sait le confort que pourrait lui offrir l’ignorance, que la quête de la vérité est peut-être sans fin et que sa possession n’est pas facile mais il ne peut se résoudre à mener volontairement une vie d’ignorance et en un sens il ne le doit pas, s’il veut être à la hauteur de son humanité. L’homme peut ne pas désirer la vérité mais il ne peut pas ne pas la vouloir, il n’en a pas le droit naturel voire moral.