Travail préparatoire
Inhumain :
Du latin inhumanus, qui manque d'humanité.
a) Qui n'appartient pas à la nature humaine, qui n'est pas d'un être humain.
b) Dont la cruauté ou le caractère dégradant est indigne de l'homme (exemple : un acte inhumain).
Homme :
Le plus évolué des êtres vivants, appartenant à la famille des hominidés et à l'espèce Homo sapiens («homme sage »).
Traditionnellement défini comme « animal doué de raison », l'homme est aussi, selon Aristote, un « animal politique». Ce serait en effet pour qu'il puisse s'entendre avec ses semblables sur le bon, l'utile et le juste que la nature l'aurait pourvu du langage.
Analyse du sujet
Pour quelles raisons le sujet, la personne peuvent-ils précisément se dépouiller de leur humanité, c'est-à-dire de l'ordre éthique qui les caractérise ? Comment comprendre cet échappement à la nature ou à la condition humaine ? y a-t-il de l'inhumain dans l'homme ? Notre humanité est-elle précaire ? Comment canaliser l'inhumain ?
Introduction
Les exemples, hélas, ici seront nombreux, pour nous permettre de mieux comprendre le sujet. Un acte inhumain, étranger à notre nature. Songeons à la barbarie nazie, aux camps de concentration. Mais les nazis furent des hommes, jugés dans le cadre d'un procès à Nuremberg, par des hommes. Quel que soit le type d'approche, quelque chose ici nous gène et nous égare. Des questions alors se posent et s'imposent. L'humanité est-elle au fond de tout individu ? Mais alors comment pourrait-on être inhumain ? Peut-être bien la question retrouve-t-elle un sens dans le registre de l'imaginaire. L'inhumain ne se lie-t-il pas à l'imaginaire et ne s'inscrit-il pas au plus profond de l'humanité de l'homme, au sein de sa terrible liberté ?
I. Tout acte se rapporte à l'essence ou à la condition de l'homme. Il n'est pas, de ce point de vue, inhumain
Peut-on dire d'un acte qu'il est inhumain ? On parle, fréquemment, d'un crime inhumain, en lui donnant le sens de barbare, inhumain signifiant, à un premier niveau, « qui a la cruauté du barbare », qui est impitoyable et sauvage. Ici, dire d'un acte qu'il est inhumain renvoie à un domaine naturel, à l'état de ce qui n'est pas civilisé, à la « phusis », à la nature, étrangère à la culture. En cette première acception, il n'est ni possible ni légitime d'affirmer qu'un acte est inhumain. L'homme est à la fois, simultanément, nature et culture et l'idée d'un état qui ne serait pas civilisé est une idée absurde. Le sauvage ou le barbare n'expriment que notre incompréhension de l'autre. En une seconde acception, dire d'un acte qu'il est inhumain signifie qu'il ne se rapporte pas à l'essence ou à la condition
humaine.
Si l'on se place du point de vue de l'essence, il est légitime d'affirmer que l'homme détient un certain nombre de déterminations, de qualités : c'est un être, dira-t-on, défini par la raison, le langage, un ensemble d'éléments constitutifs de l'être humain, par opposition aux déterminations superficielles. Dans ce cas, nous dirons que l'essence, c'est tout ce que la réalité humaine saisit d'elle-même, son intelligence, sa raison, mais aussi son être de violence et de démesure. Dans cette perspective, comment dire d'un acte qu'il est inhumain ? Il se rapporte à ce que la réalité humaine est, à l'infini de nos déterminations.
Mais on peut se placer aussi du point de vue de la condition humaine. Cette dernière désigne la situation commune à tous les hommes, la nécessité pour l'homme d'être dans le monde, au milieu des autres et d'y être mortel. Or, de ce point de vue également, on ne peut dire d'un acte qu'il est inhumain. Il renvoie, même monstrueux ou « barbare », à cette altérité qui nous « définit » ou s'inscrit en nous, à ce Mitsein, cet « être-avec » qui est constitutif de cette condition humaine. L'horreur, la violence, la torture, la mise à mort de l'enfant innocent ? Elles prennent place dans cette condition humaine, dans cette situation où s'inscrit notre être. Donc l'inhumanité s'inscrit dans l'humanité.
Transition
Mais ne pourrait-on se placer à un autre niveau, plus révélateur, dans ce cas, des possibilités humaines ? Ce niveau, n'est-ce pas celui de la liberté, comme pouvoir de dire oui ou non ? Peut-être l'inhumain retrouvera-t-il ici une signification qui nous échappe.
II. Existence, liberté, inhumanité
Si la liberté se définit comme pouvoir de la raison humaine, pouvoir de ne pas subir la contrainte des passions et inclinations, d'accéder à l'autonomie, de mettre en connexion liberté et raison, alors incontestablement la notion d'inhumain semble détenir un sens : l'homme est liberté rationnelle, obéissance à la loi morale de la raison, au devoir et l'inhumain désigne alors ce champ non rationnel, se situant en dehors des exigences de l'intelligence et de la ratio. Homme = raison. Inhumanité = non-obéissance à la raison. Peut-on dire d'un acte qu'il est inhumain ? S'il se situe en dehors de la sphère du logos, la raison, il est, en quelque sorte, inhumain.
Toutefois, cette vision de la liberté est très restrictive et il nous semble légitime de l'élargir. La liberté est aussi faculté consistant à dire « oui » ou « non », puissance que détient la conscience de nier tout donné, quel qu'il soit. L'homme ne subit pas la loi des choses. Il est libre et expérimente sa liberté dans toutes les situations. L'homme est choix perpétuel puisqu'il est ce qu'il se fait. C'est un pur néant (Fichte), une liberté indéfinie se découvrant dans l'angoisse (Sartre). Dès lors, peut-on dire d'un acte qu'il est inhumain ? Ce n'est pas légitime, puisque la liberté désigne l'infini des possibles. L'homme est totalement libre, devant les valeurs, devant la vie et devant la mort. Le crime contre l'humanité sera-t-il inhumain ? Non, puisqu'il exprime l'infini (et parfois atroce) possibilité humaine. Nous sommes de part en part dans un monde humain. La torture ? Le bourreau choisit, dans sa terrible et infinie liberté. On pourrait multiplier les exemples.
Transition
Toutefois, la question de l'humain et de l'inhumain est si constante et énigmatique qu'il semble nécessaire de retrouver un nouveau noyau signifiant pour accéder à la compréhension de ces termes. L'homme n'est pas seulement un être de raison, de liberté infinie. Il est aussi un être qui imagine. C'est peut-être vers cette nouvelle zone qu'il faut maintenant avancer.
III. Imaginaire et inhumanité
Ici, le surréel retiendra notre attention : n'y a-t-il pas, dans l'homme, une imagination surréelle, comme pouvoir de création et d'invention ?
L'imagination humaine est riche d'une potentialité, elle aussi, infinie. L'horreur, l'inhumanité s'enracinent dans un fond mental et esthétique puissant, comme nous le signalent les origines du théâtre et, en particulier, le mythe de Dionysos. Nietzsche a bien montré que la tragédie est d'abord modelée par le dieu de l'ivresse (Dionysos) et exprime ce qui correspond à un déchaînement et à une ivresse extatique, dépassant la mesure et l'ordre.
« Le mot "dionysiaque" exprime le besoin de l'unité, tout ce qui dépasse la personnalité, la réalité quotidienne, la société, la réalité, l'abîme de l'éphémère [...] une affirmation extasiée de l'existence dans son ensemble, [...] la grande participation panthéiste à toute joie et à toute peine. » (Nietzsche, La Volonté de puissance, trad. Blanquis, Gallimard).
Ainsi, qu'exprime Dionysos ? L'ivresse de l'alcool, mais aussi celle de la cruauté. Le persécuté, le souffrant, l'extase, l'effroi, l'inhumain se modèlent et se manifestent sous le signe de Dionysos, ce dieu de la sauvagerie, cette divinité dont l'apparition met les êtres humains en délire. D'ailleurs, Dionysos apparaissait aux Anciens sous la forme d'un taureau, incarnation de la folie furieuse. Donc l'imaginaire dionysiaque (cf. Eschyle, mais aussi Shakespeare et bien d'autres dramaturges) exprime de l'inhumain, de la cruauté, le besoin d'exercer une totale puissance. Peut-on dire d'un acte qu'il est inhumain, étranger à l'homme, enraciné en une étrange divinité d'extase et d'horreur ? Oui, en un sens, mais, en vérité, nous savons que les dieux ne sont que de l'humain et donc qu'ici encore, nul acte n'est inhumain. Dionysos, c'est la cruauté et le monde sans entraves de l'homme. Ici encore, l'inhumain s'inscrit au plus profond de l'humanité de l'homme : dans son imaginaire pétri d'étranges virtualités.
Conclusion
L'imaginaire est profondément lié à l'inhumanité, comme le montrent les tragédies de mort et d'horreur de Shakespeare. Toutefois, il est difficile et même illégitime de dire d'un acte qu'il est inhumain. L'homme est partout, dans un monde où le divin s'est, depuis longtemps, retiré. L'inhumain réside dans l'homme.