Introduction
Du désir pour un morceau de chocolat au désir de faire l’amour en passant par le désir de devenir astronaute, il semble que le désir soit toujours lié à la jouissance de posséder quelque chose qui nous manque. Or, parce qu’il définit quelque chose d’irréalisable, d’inaccessible voire d’inexistant, l’impossible se présente au contraire comme ce qui ne se possède jamais. Dans ces conditions, pourquoi désirer l’impossible ? Pour quelles raisons, en effet, sommes-nous généralement attirés par ce qui, par définition même, ne peut pas être atteint ? N’est-ce pas prendre le risque de ne jamais être satisfait et ne vaut-il pas mieux, dans ce cas, désirer seulement ce qui est possible ? En quel sens le désir de l’impossible peut-il être, en définitive, une bonne chose pour l’homme ?
I. Désirer l’impossible car c’est dans la nature du désir
1) L’impossible est ce qui nous manque, donc on le désire
Par définition, on ne désire que ce que l’on n’a pas puisque le désir naît du manque. Or, l’impossible, c’est aussi ce que l’on n’a pas, au sens où c’est ce que l’on n’a jamais. Par conséquent, c’est dans la nature même du désir, qui est désir de ce qui manque, de désirer l’impossible comme ce qui manque toujours. Par exemple, le désir de changer de corps pour un corps qui nous plaît mieux, le désir de ne jamais mourir, etc.
2) Le désir est insatiable, donc impossible à satisfaire
Le désir est toujours renaissant puisque, comme le dit Schopenhauer : « le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir ». C’est dire qu’il n’y a rien qui puisse satisfaire pleinement le désir au point de nous faire cesser de désirer. La satisfaction n'est, au mieux que provisoire, puisqu'il y aura toujours mieux que ce que l'on possède. Par conséquent, le désir est inextinguible si bien qu’on désire toujours l’impossible, puisqu’on désire toujours une satisfaction qui n’est pas pleinement réalisable.
3) On désire toujours l’interdit, c’est-à-dire l’impossible moral
Dans Totem et tabou, Freud montre que « là où il y a une interdiction, doit se cacher un désir », ce qui signifie que l’interdit est toujours la formulation inversée d’un désir dont on se défend. Cela explique que l’on ait toujours la tentation de transgresser les interdits et que l’on désire souvent cela même que l’on sait être moralement impossible ou inacceptable. En ce sens, le désir d'impossible ne serait-il pas le désir par excellence ? Or si le désir est « l'essence de l'homme » (Spinoza) n'est-il pas alors dans la nature de l'homme de désirer l'impossible ? Mais si l'impossible est source de malheur, tous les hommes ne sont pas, pour autant, malheureux. Désirer l'impossible ne pourrait-il pas, paradoxalement, procurer du plaisir ? L'acte de désirer lui-même n'est-il pas agréable ?
II. La quête de l’impossible peut conduire au désastre
1) La quête de l’impossible est source d’un malheur permanent
En se donnant des désirs impossibles, on est certain de ne jamais être satisfait puisqu’un désir impossible est un désir qui ne pourra pas se réaliser. Or, si nos désirs ne sont jamais satisfaits, on est constamment dans la souffrance de la frustration qui nous aigrit et on ne connaît jamais le plaisir. Dans ce cas, le désir de l’impossible peut avoir pour fin de nous protéger de la déception en nous évitant de nous confronter à la réalité.
2) Au contraire, la quête du possible est source de bonheur et de sagesse
D’après le Manuel d’Epictète, le désir appartient aux « choses qui dépendent de nous », ce qui signifie que nous pouvons avoir une action sur lui grâce à notre libre volonté. La sagesse consiste ainsi à maîtriser nos désirs, en poursuivant seulement des désirs possibles, qui peuvent être effectivement réalisés, et en renonçant à tous les désirs impossibles, qui sont irréalisables. C’est la seule manière d’atteindre le bonheur ou « ataraxie », c’est-à-dire l’absence de trouble dans l’âme.
III. Le désir de l’impossible est la force qui accroît le champ des possibles
1) La limite entre le possible et l’impossible est relative
L’histoire des sociétés humaines montre que ce qui était impossible à une époque donnée a pu devenir possible à une époque ultérieure. Ainsi, le désir de faire un Voyage dans la lune, imaginé au cinéma en 1902 par G. Méliès à partir d’un roman de Jules Verne, devient une réalité lorsqu’en 1969, Neil Armstrong pose pour la première fois le pied sur la lune.
2) L’utopie est le moteur de l’histoire
Sur le plan social et politique, le désir de l’impossible est le moteur du progrès. En effet, c’est grâce aux désirs utopiques, représentant un idéal de vie en commun, que le progrès social s’accomplit. Par exemple, les utopies socialistes du XIXe siècle ont permis la réduction du temps de travail en le faisant passer (en France) de 50 heures par semaine en 1848 à 39 heures en 1982 et à 35 heures en 2000.
Conclusion
Même si le fait de désirer l’impossible est risqué, il ne faut pas y renoncer parce qu’il augmente nos possibilités d’existence.
Le désir se porte sur l’impossible de par sa nature, comme manque infini. Mais il nous a semblé que ce désir de l’impossible avait une valeur négative, par l’insatisfaction qu’il engendre, vouant l’homme au malheur. Alors le paradoxe entre désir de l’impossible et raison est apparu comme insurmontable. Cependant, tous les désirs qui se portent sur l’impossible ne semblent pas en contradiction avec la raison. Certains nous permettent de rendre possible ce qui ne faisait que paraître ne pas l’être. Nous désirons l’impossible pour le rendre possible, pour nous dépasser. Il arrive que le désir de l’impossible, malgré la contradiction apparente, soit en accord avec la raison. Il est alors une énergie. Néanmoins, on peut estimer que cette valeur positive, le désir de l’impossible ne peut l’avoir que si la volonté de le rendre possible l’accompagne.