Le « peuple » est l’invité permanent de tous les discours et comme tel l’objet de toutes les injonctions paradoxales et contradictoires. En effet, le « peuple » est invoqué pour légitimer des décisions et des actions, pour déprécier des pratiques et porter des jugements hâtifs, etc. Bref, le « peuple » est un objet de discours si omniprésent que la saturation de son emploi et la multiplicité des revendications formulées par ses porte-paroles consacrés nous conduisent à douter de sa réalité, de son unité et de son statut. Le « peuple » ne serait-il alors qu’une fiction ?
Mais le peuple n’est pas qu’un objet. C’est d’abord le sujet politique premier et fondamental consacré dans les textes constitutionnels, le Droit des gens et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. En ce sens, se demander si « le peuple peut-il être souverain ? » revient à interroger le statut de ce sujet politique et sa réalité. Comment le peuple peut-il à la fois renvoyer à la réalité substantielle du politique et être au principe de cette réalité politique ? En effet, soit le « peuple » est une réalité insaisissable et se présente comme un tout bigarré, dès lors, il n’a ni la capacité ni le droit d’être cette autorité supérieure exerçant son pouvoir sur un territoire ; soit le « peuple » est un corps, une communauté morale et politique spécifique qui conditionne la liberté politique, et en ce sens, il doit être le souverain. Nous répondrons à la question en trois moments.
Tout d’abord, avec Platon, le peuple souverain est pensé comme le signe de la corruption de la Cité. Loin d’être un populus il n’est qu’un vulgus. Dans un second moment, on verra comment, par l’acte du contrat social, le peuple est arraché à cette dimension passionnelle et irrationnelle pour être un corps moral qui fonde la liberté politique. C’est l’idée de « peuple souverain » avec le concept de « volonté générale » développé par J-J Rousseau qui sera analysée. Enfin, nous interrogerons cette compréhension du « peuple souverain » en se demandant si le principe politique « peuple souverain » s’articule avec les conditions de l’exercice de son pouvoir dans la réflexion de Rousseau. Nous tenterons de comprendre la radicalité de la réponse de Rousseau à partir de ce questionnement.
I- Une Cité corrompue par le peuple souverain
Dans ce premier moment, nous verrons que pour Platon l’idée de « peuple souverain » est pensée comme un régime démocratique qui corrompt la Cité et l’harmonie qui doit prévaloir dans celle-ci. En effet, dans la République, Platon pense la Cité comme étant une totalité éthique unifiée et organisée, une totalité qui prévaut sur l’agrégation de ses parties. C’est cette totalité éthique qui est corrompue lorsque le peuple exerce le pouvoir dans la démocratie.
1/ l’isonomie des rapports entre la Cité et l’âme.
L’étude du politique requiert pour Platon non seulement de prendre pour objet la société, son organisation et les phénomènes sociaux dans leur ensemble, mais aussi la psychologie, l’anthropologie, la métaphysique, la pédagogie comme des auxiliaires nécessaires à l’étude du politique. En effet, il y a pour Platon une identité de structure entre l’âme des individus et la Cité politique. Cette identité de structure et de principe définit à la fois ce qu’est une âme juste comme une Cité juste.
La tripartition de l’âme (noùs, thumos, épithumia) est une structure à laquelle correspondent trois vertus (respectivement, la sagesse, le courage et la tempérance). L’identité de structure entre la tripartition de l’âme et de la Cité se présente comme une analogie des rapports d’où se dégagent les fonctions des hommes dans la Cité. Les philosophes- Rois gouvernent la Cité et ont la science du politique car leur nature est telle que la vertu de sagesse domine les autres parties de leur âme. Les gardiens et hoplites assurent la protection de la Cité car le courage et la nature de leur être correspondent à cette fonction. Enfin, les commerçants, artisans et laboureurs ont pour fonction de satisfaire aux besoins nécessaires de la Cité. Leur fonction est acquise par leur nature et la vertu de tempérance.
La Cité est juste lorsque chaque homme répond par sa fonction à sa nature, c’est-à-dire, lorsqu’il réalise sa nature dans sa fonction.
2/ La démocratie, le gouvernement du peuple (vulgus).
La démocratie (demos = peuple ; cratos = domination, pouvoir) est le régime du peuple. Platon décrit la genèse de la démocratie comme l’apparition de l’homme démocratique (« le frelon ») s’opposant à son père l’homme oligarchique (République, L. VIII). Le principe de corruption de la Cité est doublé par une réflexion anthropologique sur la relation père-fils qui se conclut par le parricide. Le père riche a amassé sa richesse ; son fils, mal élevé, perd la distinction entre le nécessaire et le superflu, le bien et le mal, il ignore ces distinctions et n’est poussé que par l’illimitation de ses propres désirs. La condition de l’homme démocratique n’est pas de réaliser sa nature et de répondre à la fonction que la Cité juste requiert mais de poursuivre tous ses désirs, de considérer l’égalité des plaisirs comme la norme de sa conduite et de ses choix. Ce faisant, « la vie de l’ami de l’égalité » n’a « ni ordre, ni nécessité, mais il l’appelle agréable, libre, heureuse et lui reste fidèle. » (L. VIII, 568b-569a)
Le peuple n’est pas autre chose que cette multitude pleine de passions. Déraisonnable et irrationnel, il ne suit aucun principe, ne vise aucune fin ni aucun ordre politique. Le peuple est alors la masse, la multitude aveugle à ses propres actions, le vulgus. Le peuple ne peut pas être souverain car il n’a aucune science du politique, la partie désirante de l’âme caractérise la nature de l’âme de l’homme démocratique et donc aussi celle du peuple. Le peuple n’est qu’un tout bigarré qui n’a aucune organisation, il confond la licence où tout est permis et la liberté politique qui prévaut pour la justice de la Cité et la stabilité politique. L’égalité politique est alors un principe d’anarchie dans l’âme de l’homme démocratique et dans la Cité. Suivant tous ses désirs, il se passionne pour les jeux pour ensuite les délaisser aussi rapidement qu’il les avait aimé pour assouvir d’autres désirs. L’inconstance et le caractère irréfléchi de sa nature conduisent immanquablement la Cité vers le désordre et le chaos. Le peuple ne peut pas être souverain son être et sa nature sont incompatibles avec cette fonction. Son être étant guidé par des désirs irascibles et insatiables, il ne doit pas gouverner. En devenant souverain, le peuple va contre sa nature. L’autorité politique exercée dans la Cité doit relever de ceux dont la nature les dispose à gouverner en suivant le bien commun ; sa connaissance est donc la condition suffisante pour disposer de la souveraineté. Le gouvernement du peuple corrompt la Cité et la justice des hommes.
Si le peuple est souvent pensé, notamment avec Platon, comme un être plein de passion, aveugle à la raison et donc ne pouvant disposer de la souveraineté, comment l’idée même de « peuple souverain » pourrait-elle dépasser cette compréhension première ?
II- La naissance du populus et la contrat social
L’idée de « peuple souverain » trouve avec J-J Rousseau (Contrat Social, 1762) une solide théorisation car grâce au contrat social le peuple ne renvoie plus à la seule détermination passionnelle et irrationnelle mais est cet être qui permet de résoudre le problème du fondement de l’autorité politique : « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé et par laquelle chacun, s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant. » (Contrat Social, partie I, chap.6) La notion de « peuple » est centrale dans la réponse apportée par Rousseau.
1/ Le « peuple » et l’acte du contrat social
Le seul souverain légitime est, pour Rousseau, le peuple compris comme une personne dotée d’un entendement et d’une volonté propres. Le peuple est un populus, il l’est par l’acte du contrat qui le constitue. Le contrat n’est pas une convention qui accorde des volontés particulières entre elles, ce n’est pas l’agrégation des hommes. Avant le contrat, il n’y a pas de peuple, mais une collection d’individu, un collectif composé de passions, d’intérêts et de volontés uniquement particulières. Le contrat social n’est pas non plus un pacte de soumission où tous les contractants transfèrent leurs droits et liberté à un tiers. A l’inverse, en contractant, les individus obéissent à leur propre loi qui est la condition de la liberté et de l’égalité.
La notion de contrat revêt, en effet, un sens chimique puisque les termes du contrat résultent sur un troisième élément, un nouveau terme qui est le produit du contrat (le peuple). Le contrat est donc cette union qui institue cette entité, ce nouveau corps moral et politique indivisible. Les termes du contrat sont doubles. D’une part, le contrat est internalisé (chacun contractant avec soi-même) et, d’autre part, le contrat est effectué avec le tout, la communauté (l’aliénation totale de chaque associé aux droits de toute la communauté). Par l’acte du contrat, le sujet contractant est le tout, il n’est plus seulement un particulier. « Je » devient exclusivement un membre du tout, de ce moi moral qu’est le peuple. « Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale, et nous recevons encore chaque membre comme partie indivisible. » (Contrat Social, L. I, chap.6). Le contrat est donc un pacte d’association où l’union des individus scellée par le contrat fait qu’un peuple est un peuple. Pour Rousseau, la notion de « peuple » est réservée à ce corps moral et politique qui est créée avec le contrat. Le contrat social est donc bien « l’acte par lequel un peuple est un peuple » (Contrat Social, L.I, chap.5).
2/ le populus.
Le peuple est un peuple grâce à l’acte du contrat. Par le contrat, le peuple devient le souverain : « Mais le corps politique ou le souverain ne tirant son être que de la sainteté du contrat ne peut jamais s’obliger, même envers autrui, à rien qui déroge à cet acte primitif, comme d’aliéner quelque portion de lui-même ou de se soumettre à un autre souverain. » (Contrat Social, L.I, chap.7). Si le peuple est le principe du droit politique, la seule entité qui a la légitimité à exercer le pouvoir, la volonté générale est la puissance de la volonté par laquelle le peuple fait la loi. En ce sens, la volonté générale, c’est l’expression de la souveraineté, c’est l’expression de la loi. En devenant le souverain, le peuple n’obéit qu’à sa propre loi. Avant le contrat, il n’y a que des volontés particulières, après le contrat, il y a la « volonté générale ». Mais la volonté générale doit être distinguée de la volonté de tous. La volonté de tous « regarde à l’intérêt privé et n’est qu’une somme des volontés particulières » (Contrat Social, L. II, chap.3). En obéissant à la loi qu’il se prescrit, la liberté politique du peuple est fondée.
Avec l’idée du peuple compris comme corps politique et moral, Rousseau articule alors plusieurs concepts permettant de penser la relation entre le peuple réel et le peuple idéal qu’est le populus. Le citoyen est le membre du souverain qui est engagé à faire les lois. Le sujet est l’individu qui est soumis aux lois, à la puissance de l’Etat. Par la médiation de la loi, la liberté politique du peuple est garantie puisque c’est cette médiation qui distingue l’indépendance de l’homme naturel de l’autonomie véritable. La loi n’est pas d’abord ce qui limite la liberté mais ce qui la fonde. C’est une médiation intérieure à la liberté elle-même. Seule elle permet à l’individu de s’insérer dans une communauté et d’advenir comme une personne à part entière. Ainsi, lorsque la loi exprime la volonté générale, elle est juste et lui obéir est pour moi une obligation.
Par le contrat social, les individus s’engagent donc à la fois par rapport aux autres individus et par rapport à la communauté entière. Certes, la volonté générale n’est pas seulement la somme arithmétique des volontés particulières ; mais elle n’en est pas moins constituée par celles-ci. Elle médiatise donc chacune avec elle-même. Par là s’explique la définition rousseauiste de la liberté comme « obéissance à la loi ». Si l’on nomme « loi » un acte de la volonté générale, alors on doit dire que chacun, en obéissant à la loi, n’obéit en vérité qu’à lui-même.
Le peuple souverain est celui obéit à sa propre loi, à la volonté générale. La condition de la liberté est fondée dans cette obéissance à la loi.
Si le peuple est le souverain, celui qui a la légitimité à exercer le pouvoir, comment ce principe politique (la souveraineté) et le statut de ce sujet politique conditionnent l’exercice de ce pouvoir ? La démocratie devient-elle le régime politique nécessaire où s’exerce la souveraineté du peuple ?
III- La démocratie est-elle la forme politique où le populus exerce son pouvoir ?
Il est remarquable que Rousseau interroge la notion de « peuple » à la fois dans son rapport à la notion de « souverain » (fondement de l’autorité légitime) mais aussi concernant les conditions de l’exercice de cette souveraineté. Dès lors, la question « le peuple peut-il être souverain ? » articule l’idée de populus avec la réalité effective de l’exercice du pouvoir et de l’autorité politique. Il s’agit d’affronter la difficulté qui touche moins le principe lui-même mis en évidence par Rousseau, que ses conditions d’application.
1/ Le « peuple souverain » : un peuple idéal et un peuple réel ?
Rousseau dit : « Le peuple, soumis aux lois, en doit être l’auteur ; il n’appartient qu’à ceux qui s’associent de régler les conditions de la société. Mais comment les régleront-ils ? […] Comment une multitude aveugle, qui souvent ne sait ce qu’elle veut, parce qu’elle sait rarement ce qui lui est bon, exécuterait-elle d’elle-même une entreprise aussi grande, aussi difficile qu’un système de législation ? De lui-même, le peuple veut toujours le bien, mais de lui-même il ne le voit pas toujours. » (Contrat Social, L.II, chap.6). Cette citation montre une tension essentielle concernant le statut et la réalité du peuple. Le peuple, seul souverain légitime, a-t-il réellement la capacité de gouverner ? Le peuple, auteur des lois, a-t-il des moyens de les rédiger ? Le peuple a-t-il le moyen de les faire exécuter ?
En répondant par la négative, Rousseau différencie la question de la légitimité de la souveraineté (le principe politique qui revient au peuple) et la multitude, le peuple réel qui est la réalité politique matérielle. Dans son vocabulaire, il différencie la « souveraineté » du « gouvernement ». Le principe de la république est la souveraineté du peuple : en république, c’est le peuple (populus) qui fait les lois. La démocratie, elle, est une forme de gouvernement. Par cette notion de gouvernement, Rousseau entend précisément l’instance chargée non d’élaborer mais d’exécuter les lois. Avec la distinction du peuple réel et peuple idéal resurgit le soupçon qu’aucun peuple n’est réellement à même, non seulement de rédiger, mais encore d’exécuter les lois. Pour Rousseau, le peuple est le souverain, il dispose de la légitimité à fonder l’autorité des lois et la république mais ne gouverne pas, n’exerce pas effectivement son pouvoir. Il y a donc deux corps différents ; le peuple et le gouvernement.
La réflexion sur les conditions d’application du principe politique du populus redouble de difficulté car elle est aussi en opposition avec les considérations empiriques que Rousseau développe sur l’histoire des peuples et sur l’influence exercée sur leur « caractère » autant par le climat et la terre que par les moeurs et les usages (Contrat Social, L. I, chap.2 ; L. III, chap.8). Une conception ethnographique du peuple (inscrit dans une culture, une histoire, une tradition) entre alors en concurrence avec la conception rationaliste et volontariste privilégiée dans un premier temps. Les peuples ont une nature et un passé ; leurs membres sont alors unis moins par liberté et par calcul que par l’effet croisé de l’habitude et des circonstances. Cette concurrence menace-t-elle la radicalité du contrat social pensé par Rousseau ? Est-ce que la volonté générale abstrait toutes les qualités culturelles du peuple ? Rousseau répond que le fait ne fait pas droit, par-là, l’ordre politique fondé avec le contrat social n’est pas une institution arbitraire mais bien celle qui doit permettre la justice et la condition de la liberté et de l’égalité. En ce sens, la mise en application de la souveraineté du peuple ne saurait trouver dans ces éléments culturels et historiques des ressorts permettant de penser les conditions de l’exercice politique. La solution doit donc passer par l’élucidation du rapport des corps que sont le peuple et le gouvernement. Rousseau rejette la voix « communautarienne » au sens où tous les éléments visant à substantiliser le peuple (histoire, culture, tradition, langue, etc.) doivent être écartés. La souveraineté du peuple et les conditions de son exercice écartent toutes les considérations nationales et historico-culturelles qui ont trouvé, dans l’histoire politique du XIXème et du XXème siècle, une certaine éminence.
2/ Rousseau est-il démocrate ?
Par le terme de « gouvernement », Rousseau entend précisément l’instance chargée non d’élaborer mais d’exécuter les lois. Le gouvernement démocratique, comme les autres gouvernements (monarchie et aristocratie) n’est pas l’incarnation de la volonté générale ni leur représentation. En ce sens, la volonté générale est irreprésentable. Comme le dit Rousseau : la souveraineté « ne peut être représentée, pour la même raison qu’elle ne peut peut pas être aliénée ; elle consiste essentiellement en la volonté générale, et la volonté ne se représente point, elle est la même, ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. » (L.III, 15) La démocratie n’est donc pas le régime politique où la volonté générale gouverne ou se gouverne elle-même. Il est alors essentiel de comprendre que la doctrine de la volonté générale ne vaut pas comme la défense du gouvernement démocratique. Rousseau distingue fortement les deux questions. Mais alors, qu’est-ce que la démocratie si celle-ci n’est pas l’exercice du pouvoir par le populus ?
Le chapitre réservé à l’analyse du gouvernement démocratique montre toute la réticence de Rousseau vis-à-vis de la démocratie (Contrat Social, L.III, chap.4). En effet, il souligne que « celui qui fait la loi sait mieux que personne comment elle doit être exécutée et interprétée. » C’est-à-dire que si la loi est l’expression de la volonté générale c’est au sens où il s’agit du droit politique, droit qui n’est pas le « droit civil » qui est l’objet du législateur. Le droit politique (le rapport de chacun avec tous) s’oppose au droit civil sur ce point (le rapport de chacun avec chacun). La séparation de l’exécutif et du législatif chez Rousseau a pour pendant que le législateur est celui dont la science juridique le légitime à la fonction de censeur. En ce sens, « A prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable démocratie, et il n’en existera jamais. » (L.III, chap.4) Le peuple doit être le souverain, mais les conditions de l’exercice de cette souveraineté ne doivent pas dépendre de celui-ci. Compris en ce sens, l’exercice du pouvoir implique des médiations que la volonté générale ne permet pas de penser ni d’incorporer. Rousseau ne défend donc pas la démocratie car le populus est inscrit dans cette réflexion sur la légitimité de l’autorité politique et la légitimité ne saurait inclure les considérations de fait. Le principe de l’autolégislation ne saurait pour Rousseau être compris comme un principe permettant de défendre l’idéal démocratique. Rousseau défend alors l’idée que peuple doit être le souverain, et que la question de l’exercice de cette souveraineté ne doit en aucun cas être inscrit dans la question du fondement de la légitimité de l’autorité politique.
L’idée de « peuple souverain » ne se confond pas avec le peuple réel mais ne va pas sans souligner les limites que pose la question de la gouvernance de ce peuple souverain. Dans un premier moment, nous avons vu que le peuple ne doit pas et ne peut pas être souverain sans que la Cité n’en pâtisse et sombre. Grâce à la théorie du contrat social, Rousseau démontre la nécessité et la validité du concept de populus. La réflexion de Rousseau n’ignore pas la question de l’exercice du pouvoir, mais ne propose pas de réponse démocratique. Tout le paradoxe de la question resurgit alors dans la force de l’affirmation de Rousseau : les conditions de l’exercice politique ne doivent pas remettre en question la souveraineté du peuple, même si le point aveugle de la souveraineté du peuple réside dans son mode de gouvernance. On peut alors se demander si les mots du début de la Constitution française de 1958 remettraient en question ou prolongeraient en un sens l’esprit de la pensée de Rousseau: « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.1 […] »