Jean-Jacques Rousseau, déiste et inspirateur des révolutionnaires de 1789, désire rétablir les faits à son égard. Sa sincérité le pousse même à avouer les crimes dont personne ne le soupçonne. Ainsi, à la fin du Livre II, Rousseau est laquais chez Mme de Vercellis. Lorsque celle-ci meurt, il profite de l’agitation pour voler un ruban et l’offrir à Marion, une de ses collègues dans le service de la maisonnée. Malheureusement il n’en aura pas le temps, car on lui demande des comptes à propos de ce ruban, que l’on a retrouvé dans sa chambre. Sous l'émotion, il accuse Marion de ce vol.
I. La mise en scène
~ La mise en scène est réglée. Elle comprend quatre moments importants, qui peuvent correspondre à autant d'actes au théâtre : le récit du vol, l'enquête et la dénonciation, la confrontation et le débat, puis le verdict.
~ Tout d'abord, Rousseau montre les circonstances du crime. Par une alternance de passé simple et d'imparfait, il insiste sur la "confusion" qui régnait dans la maison après la mort de Mme de Vercellis.
~ Tout doit minimiser le larcin, puisque le ruban est petit et vieux : "un petit ruban... déjà vieux". Ce n’est donc pas pour la valeur de cet accessoire que Rousseau a voulu le voler.
~ Il met en scène le jugement, comme s'il s'agissait d'un tribunal. Ainsi, "l'assemblée était nombreuse" pour écouter le jugement. Ce tribunal se compose de jurés, désignés par "on", c'est-à-dire un pronom indéfini. Ce "on" est perçu comme injuste par Rousseau. Les accusés que l'on confronte sont Marion et Rousseau. Ils subissent tous les deux le verdict final, puisque tous deux sont renvoyés.
~ La scène est dramatisée, comme le montrent les propos rapportés par Rousseau : "ah ! Rousseau, ... vous me rendez bien malheureuse" qui augmentent l'aspect tragique. Le présent de narration rend également la scène plus vivante, et donc plus pathétique. On comprend ainsi que le traumatisme est toujours présent chez l'écrivain adulte.
II. Relation Accusé / Accusateur
~ Les deux personnages ont des rôles bien différents : Rousseau est l'accusateur tandis que Marion est la victime. Ils s'opposent moralement : "d'un côté une audace aussi diabolique, de l'autre une aussi angélique douceur". On retrouve plusieurs fois cette métaphore du diable et de l'ange : "effrontément ... démons ... mon barbare cœur ... impudence infernale" . A l'opposé, Marion est une "bonne fille, sage et d'une fidélité à toute épreuve", "fille innocente", "angélique douceur". D'autre part, elle est belle physiquement : "jolie", "fraîcheur de coloris". Dans ces portraits, Rousseau est hyperbolique.
~ Marion est la victime désignée, elle ne se défend d'ailleurs pas face aux accusations du jeune et effronté Rousseau. On remarque, par le vocabulaire de l'inefficacité ( "elle se tait" , "sans emportement" ), que sa défense est vaine et presque non voulue (elle ne dit rien en sa faveur).
~ Elle subit donc les conséquences de la faute Rousseau, puisqu'elle est renvoyée. Ces conséquences sont à la fois d'ordre social, a-t-elle retrouvé un travail ...?, et d'ordre moral, puisque Rousseau émet l'hypothèse que cet épisode l'a rendue aussi mauvaise que lui-même. D'ailleurs, il est devenu mauvais par une injustice de ce type. C'est donc une sorte de cycle infernal.
~ Quant à Rousseau, il est également renvoyé. De plus, il passe de coupable à victime dans la deuxième partie du texte. En effet, il fait des cauchemars, il est empli de remords : "longs souvenirs du crime et insupportable poids des remords". Le champ lexical du poids confirme cette action pèse sur la conscience de Rousseau.
III. Le regard de l'écrivain sur cet acte
~ La distanciation : il se désolidarise de l'enfant, puisqu'il rétablit l'innocence de Marion et s'accuse. En effet, tous les éléments qui ont un rapport avec Marion sont positifs et s'opposent à lui.
~ L'importance de cet épisode est due, d'une part au fait qu'il conclut le livre II, d'autre part parce que contrairement au vol des pommes, il n'est pas puni, et pire : il accuse Marion. Donc, il pense que cela l'a rendue aussi mauvaise que lui, selon le raisonnement déjà appliqué dans le vol des pommes. Il était victime, puni injustement, cette fois, c'est lui qui fait punir injustement. On est tous le bourreau de quelqu'un, de plus, la société l'a rendu mauvais, donc il fait la même chose que ce qu'elle lui a fait.
~ Ce passage renforce le côté véridique de l'œuvre. Il s'accuse seul d'une faute que personne ne connaît, ce qui permet de montrer, à l'inverse, les épisodes où il n'est pas coupable.
~ Rousseau exerce un retardement narratif. En effet, il met du temps à faire cet aveu, puis il est soulagé, ce qui nous indique un changement psychologique de l'écrivain. Le livre devient une vraie confession et l'écriture une vraie thérapie. Il se soulage d'un poids.
~ Les Confessions sont plus qu'une autobiographie, ce sont des aveux au public. Il veut refaire le jugement, telle une comparution devant un tribunal : "Qui croirait que la faute ... ?" Cette question oratoire le condamne.
~ Il nous fait part, ici, des problèmes littéraires liés à l'autobiographie. Par souci de vérité, Rousseau doit expliquer qu'il a volontairement menti, et qu'on l'a cru. Pourtant, il n'a aucun mobile.
~ Rousseau veut être objectif.
~ Il veut montrer que la prédiction de M. La Roque était vraie : "la conscience du coupable vengerait l'innocent" , et il le réhabilite.
~ Rousseau montre qu'il a un bon fond, étant donné qu'il a des remords.
Conclusion
Ce passage nous fait assisté à une prise de conscience de l'auteur. On ne peut pas inculper un enfant, car celui-ci à copié les adultes pour commettre sa faute. Cet extrait confirme le pacte autobiographique : c'est une confession, donc un écho du titre et du pacte. C'est un épisode de référence qui permet une évaluation de la vérité et une forme de libération.
Depuis le pamphlet de Voltaire, qui l'accusait d'un crime, tous les crimes qu'il a commis se rappellent de façon insupportable à sa mémoire. On peut comparer ce passage au vol des pommes. Le ton était burlesque pour les pommes, ici, il est pathétique. Cependant, dans les deux cas, l'épisode est valorisé.