La Fontaine fut un écrivain prolixe qui s'est essayé à de nombreux genres littéraires mais il est surtout connu pour avoir porté un genre considéré jusqu'alors comme mineur, à un point de perfection. Maîtrise du vers, art de la mise en scène des personnages et du récit, vision philosophique de l'homme, tout cela lui confère une lucidité, un esprit et de la sagesse.
Le second recueil de Fables (livre VII à XI) est publié en 1678-1679. Dans l'avertissement La Fontaine annonce l'élargissement des sujets et la variété des fables. Dans le livre VII, il s'attache à mettre à relief l'importance de la raison et de la mesure Cette fable est la démonstration de la loi naturelle et sociale, " La raison du plus fort " . Il est évident aussi que ce texte amène une réflexion sur l'injustice.
I. Un tableau terrifiant
a) La Fontaine utilise un contexte culturel éloquent
Déjà dans le mythe antique et dans l'histoire de Thèbes, au moyen âge aussi. L'épidémie est un mal fréquent, redouté, qui reçoit des remèdes irrationnels. Au XVIIème siècle encore, les médecins parlent encore d'humeur " pécante " pour la fièvre, c'est-à-dire pécheresse. Par ailleurs, les épidémies constituent une excellente crise pour l'observation des relations humaines.
Cf. Les romans modernes de " La peste ", de Camus et " Le hussard sur le toit " de Giono.
Comportement étonnant de l'homme en situation de crise. La Fontaine dramatise considérablement ce contexte. Les références commencent.
b) Grande volonté de dramatisation / théâtralité
Nous trouvons tous les éléments du théâtre :
- L'intrigue, ou alibi tragique : la peste, la crise ;
- Les personnages ; Le dialogue ;
- La référence au théâtre grec, avec l'effet de chœur des courtisans.
L'intrigue elle-même peut évoquer la tragédie d' " Œdipe roi ", de Sophocle : Thèbes est ravagée par une épidémie de peste, et l'on recherche le coupable de ce châtiment divin. Mais aussi :
- allitération en " r " : " répand ", " terreur ", " guerre ",...
- hyperbole dans le vocabulaire violent ;
- rimes masculines (fureur, terreur), donc dureté ;
- syntaxe très étudiée : la peste est définie par 2 appositions avant d'être nommée. Il établit ainsi une attente progressive, pressante en gradation ;
- Enfin, opposition forte en le ciel, valorisation par la majuscule ;
Les éléments cités (Achéron) connotent l'enfer, damnation : il y a ici l'expression d'un regard janséniste.
La Fontaine ironise malgré tout.
Évocation nostalgique à l'imparfait, d'un temps normal, sans la peste, mais dans lequel naturellement, le loup mange la douce et innocente proie. Le mal est ici dénoncé. Ce souvenir préfigure, et annonce à la suite. On sacrifiera encore l'innocent.
II. Le discours du lion
a) Ambiguïté du personnage
Le Lion tint conseil, et dit : " Mes chers amis " .
On décèlera une rupture à l'intérieur de l'Alexandrin, entrain enregistre initial soutenu, " tenir conseille , des formes rythmiques valorisant, puis aussi diérèse. À la fin du ver, registre familier, affectif, en décalage avec la noblesse du personnage.
b) De là, on peut suspecter le personnage d'hypocrisie.
On peut reconnaître pour le lion une grande aisance à la parole. Il maîtrise de nombreuses formes de rhétorique : il manie l'ironie et une exagération amusée. (" appétit de glouton " , " force moutons " ).
Le dialogue interne à son discours (" Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense. " ).
Il s'est aussi utiliser la dissimulation, par maîtrise de la longueur des vers. (" le berger " ).
Après cet aveu, il dissimule son audace par rappel de la loi générale.
III. L'intervention du renard et de l'âne
a) Le renard
Elle est conforme à la tradition du personnage. Il dit un langage flatteur pour le roi. (" trop bon " ," scrupule " ," trop de délicatesse " )
Les sonorités grinçantes entre assonances de " i " et allitérations de " s " et " r " (sifflantes et vibrantes), confèrent au propos plus d'habileté encore.
Les arguments sont simplistes. Il ne dit rien sur lui-même. Flatter lui permet de se faire oublier. Son habileté réside dans le " non-dit ".
b) L'âne
Les deux premières paroles se déroulent dans un climat apparemment serein, ouvert. L'âne, rassuré, parle franchement. C'est un personnage honnête : " L'âne vint à son tour, et dit : " J'ai souvenance ". On remarque qui il y a la même structure de présentation que pour le lion.
Cependant, le registre du vocabulaire nous introduit à la modestie : " venir à son tour " , et sur tout, on relèvera que le poète ici n'a pas recherché la rupture, mais
au contraire, l'harmonie entre le personnage et sa parole. C'est un personnage : il parle comme il est, sans masque.
Conclusion
En conclusion, on peut dire que La Fontaine, en faveur d'une morale explicite, utilise ici tous ses talents de conteur. Les interventions successives des différents animaux, le lion, le renard puis l'âne, en relation avec les différentes figures rendant un côté dramatique au texte, constituent pour beaucoup à servir la morale. La Fontaine utilise ses talents donc de moraliste en vue de servir la morale de cette fable.