Situation de l’extrait
Salomé prend place entre deux courts poèmes l’Adieu et la porte qui tous les deux participent de la thématique de la séparation. Hérode a épousé sa nièce Hérodiade d’où les critiques du prophète jean Baptiste quant à cette liaison illégitime. Hérode a emprisonné Jean Baptiste et Hérodiade ulcérée par ses critiques lui fait couper la tête. Elle a demandé à sa fille de danser pour séduire Hérode et ainsi que celui ci intervienne pour couper la tête de Jean Baptiste.
Salomé est une figure machiavélique un instrument de la sensualité.
Présentation de l’extrait
Apollinaire nous présente une deuxième danse, reprise du mythe avec variations. Ce poème est bâti sur une opposition : les 3 premières strophes déroulent les images d’un rêve tandis que les deux dernières invitent à la ronde, marquent un retour à la réalité.
Les enjeux poétiques de Salomé se situent à deux niveaux. D’abord celui de l’intertextualité (élaboration d’un texte à partir de la réutilisation explicite ou implicite d’autres textes) externe avec la présence de la matière biblique et interne puisque l’on retrouve ici quelques grands motifs d’Alcools.
Problématique
Quelle est la signification symbolique prêtée à cette figure féminine ?
Sans l’érudition externe Apollinaire traduit en fait son inquiétude devant la cruauté féminine et plus généralement exprime le désarroi du coeur humain.
I. L’érudition au service d’une visée symbolique
1) La légende de Salomé
Les principaux éléments s’y retrouvent Hérodiade, Hérode v.11Jean Baptiste V.1 mais une certaine ambiguïté préside à l’évocation de la mort du prophète. Le contexte seul permet de retrouver les étapes de ce martyre. La disparition du prophète est évoquée dès les deux 1 ères strophe à travers l’emploi des temps, l’envoi au supplice figure dans le 37me quatrain, la décollation dans la 4ème strophe et l’enterrement dans la 5ème. La responsabilité de Salomé n’est suggérée que dans le second vers « je danserais mieux ».
Enfin on retrouve le bâton, le bâton pastoral attribut iconographique de Jean Baptiste et l’union du bâton et de la banderole brodée par Salomé est métaphorique de leur union rêvée par la jeune femme.
2) Les remaniements et les prolongements
La danse pour séduire hérode est supposée terminée et Salomé s’adresse à des interlocuteurs d’où le tour interrogatif du v.9 mais ses questions servent surtout de prétexte à un monologue intérieur. Elle imagine des interlocuteurs signe de folie. Par ailleurs, Apollinaire suppose Salomé amoureuse de Jean Baptiste d’où l’émotion qu’accompagne son écoute des prédications au v .5.Elle reconstitue un passé fictif comme l’atteste l’emploi du conditionnel « je danserais » v.2. Salomé voudrait triompher de la mort par la danse, par l’art. («L’art est un anti- destin » disait Malraux ). On passe de la danse mortifère à l’espoir d’une danse rédemptrice. Ceci ne figure pas dans l’évangile en revanche ce thème de Salomé amoureuse de jean Baptiste apparaît dans deux œuvres : les moralités légendaires de Jules Laforgue
et Salomé d’Oscar Wilde.d’où l’explication de la rivalité entre deux femmes qui surgit dans les vers 3à16. salomé s’approprie la dépouille de Jean Baptiste.
3) Transposition et symbolisation
Apollinaire transpose ce récit dans un Moyen Age finissant ou un début de renaissance. L’atmosphère de ce poème est moins celle du temps d’Hérode que celle de la cour française du XVIème siècle. Les mots « sire …comtesse, dauphins…banderole aux lys (référence à Jeanne d’Arc. Le tout crée une atmosphère composite qui est celle du vitrail ou de la tapisserie.
Transition : Apollinaire utilise ces mots anachroniques pour conférer à son héroïne une valeur symbolique. Salomé n’est plus seulement une héroïne de légende juive, elle se réincarne à toute époque elle est la femme éternelle, cruelle inconsciente. Cette histoire résume un drame perpétuellement répété par l’inconstance féminine.
II. L’incarnation de l’inconstance féminine
1) La figure de la victime
certaines interventions de l’héroïne sont de l’ordre enfantin v.3 l’interrogation naïve le lys est le symbole de la virginité. Le personnage est mis en scène en communion avec la nature v.6. Elle exprime la douleur de la mort de Jean Baptiste d’où le rythme du v5. L’alexandrin est constitué de 3 mesures. Ce trimètre suggère l’émotion. Salomé se pose d’abord en victime et non en femme fatale. Elle reproche même à Hérode le crime commis. Sa tristesse provient également du sentiment de l’inutilité de la vie.
2) Les signes du désespoir
Les images d’insouciance de la seconde strophe sont effacées par la troisième et cette rupture se manifeste par l’irruption des présents. Salomé se sent exclue du bonheur qui l’entoure d’où le recours à l’antithèse refleurir flétrir v .12. le v 14 se présent comme le seul décasyllabe et retentit comme un sanglot échappé à Salomé.
Salomé cependant tente de dominer sa souffrance en s’étourdissant (recours à la danse et à l’ironie : prend cette tête et danse v.15. C’est ainsi que se déploie une incohérence psychologique.
3) Une incohérence psychologique
Nouvelle version de la versatilité féminine. Cette évolution est portée par les variations sur le thème de la danse 4 strophes sur 5 offrent des variations sur le thème de la danse.Le jeu des modes et des temps dessine des arabesques chargées d’un sens symbolique. Le premier verbe je danserais nous entraîne dans l’irréel qui exprime le regret et le chagrin. Le deuxième verbe évoque le souvenir perdu. Le 3ème à l’impératif présent dénote la volonté de se reprendre. Le dernier verbe au futur souligne l’espoir d’une joie exubérante. Salomé se sépare de son aventure personnelle. Ce glissement des temps et des modes du désespoir jusqu’ à l’étourdissement souligne l’inconséquence de l’héroïne.
III. La mise en scène d’une folle cruauté
1) Traduction de la folie de Salomé
Ces temps en partant du conditionnel au futur (ronde des temps) visent à traduire la folie de Salomé qui se sépare progressivement du monde extérieur. Elle a tué par amour et veut rester seule avec l’objet de son amour.
Elle écarte toute complicité son seul confident est le fou (élément historique et porteur de la notion de solipsisme). Elle se réfugie dans la danse et cette dérive de la folie rappelle un épisode d’Hamlet de Shakespeare motif de la décapitation récurrent dans Alcools,Zone, Brasier, les fiançailles se situe dans la dialectique mort renaissance d’où le sentiment de l’ inutilité du meurtre. En tuant jean Baptiste elle n’a pas anéanti la mission prophétique d’où le présent à valeur omnitemporelle v 11,12. elle n’a mis à mal que son propre cœur et a pris conscience de l’inutilité de l’acte.
2) Le motif de l’enterrement
Motif final totalement imaginaire, l’image du cortège parodie la gravité de l’enterrement, la dérision triomphe de la douleur avec l’accélération du rythme. Apollinaire utilise l’hexasyllabe et la rime interne en rond comme dans une chanson.
La dérision est également marquée par la transfiguration des personnages qui deviennent des héros folkloriques. La ronde symbolise l’oubli, peut être la légèreté féminine mais surtout le poème se clôt sur la perte généralisée, réitérée riche de résonnance. Le final offre une vision de folie dans une fantaisie la plus débridée.
3) Le désarroi de l’homme
Est-ce seulement la femme dont Apollinaire dénonce l’inconsciente cruauté ? En fait Salomé rêve ici son passé avec Jean baptiste toute la deuxième strophe relève de l’imagination, de la reconstruction du passé. Salomé n’a jamais été cette disciple fidèle et amoureuse du prophète