La question de la liberté de l’Homme a été posée par de nombreux philosophes. Les réponses et les définitions de la liberté apportées sont aussi diverses que les individus qui se sont penchés sur le problème. On peut toutefois simplifier le tableau en affirmant qu'avant la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, les philosophes ¨classiques¨ concevaient la liberté comme la capacité, pour l'être humain, de déterminer ses actes grâce à la raison et d'appliquer ces décisions. Que ces dernières soient le résultat d'une interprétation systématique de la réalité à partir des indices fournis par l'observation (empirisme scientifique de Newton), qu'elles découlent d'une connaissance révélée par introspection (maïeutique) ou qu'elles se basent sur des règles découlant de la raison pure (impératif catégorique de Kant), la raison et ce qui en dérive sont le lieu de la liberté. Une fracture se produit cependant avec l'avènement de Freud qui, pour définir la liberté humaine, s'attacha à découvrir ce à quoi la relie l'individu. Selon lui l'être humain aspirerait (inconsciemment) à la pleine satisfaction de ses pulsions comme il l'aurait connue dans un passé lointain (la petite enfance). Ainsi les idées d’inconscience et de liberté s’opposeraient elles ? D’autre part, si l’on définie une vraie liberté comme une liberté choisie, comme tout choix morale implique une connaissance ; il en découlerait donc que le savoir serait la condition sine qua non à notre liberté. Cependant la réelle liberté est elle la réalisation immédiate de nos désirs ? Ou bien est-elle le résultat d’une acquisition qui impliquerait nécessairement un certain savoir ?
En latin, « liber » signifie libre, sans chaînes, sans entraves, et s'oppose à « servus », l'esclave.
« Libertas » désignait ainsi la condition de l'homme libre qui peut agir à sa guise. En effet, un homme est libre quand il peut réaliser ses désirs. Cette liberté naturelle qui se définit par l’absence d’obstacles ou de contraintes n’a nul besoin de connaissance. Obéir à mes désirs, c’est n’obéir qu’à moi-même, quand je veux, où je veux, avec qui je veux. Le savoir s’oppose alors à ma liberté immédiate ; il limite la plupart de mes désirs que ce soit a travers la connaissance des lois, des obstacles naturels ou encore des volontés d’autrui. Un enfant parait ici plus libre, il réalise immédiatement ses désirs. Au contraire, un savant, un scientifique, du fait de ses connaissances et de leur conséquence porte une grande responsabilité qui justement, l’empêche de laisser libre cours à ses désirs. Le fou, l’irresponsable, ne serait-il alors pas plus libre que le savant ? Le savoir est un poids, à chacune de mes décisions il entre en jeu et m’oblige à réfléchir car il s'accompagne d'une écrasante responsabilité. Ainsi, le fait d’envisager les différentes possibilités, de peser le pour et le contre, risque de me conduire a une inaction, à une indécision. Je n’arrive plus à choisir, à m’engager, or être libre c’est pouvoir agir sans aucune contrainte car la liberté est perçue comme un pouvoir d’action, de réalisation. Ainsi, par exemple, un lycéen averti des sanctions qu’engendrerait une absence en jour de devoir s’obligerait à être présent. Il n’est donc pas libre de réaliser son désir qui était de se divertir puisque connaissant les répercussions qu’entraînerait un tel acte, il s’en prive. De même lorsque je cherche trop à me connaître ou à connaître autrui, je perds une grande partie de ma spontanéité, je ne réalise plus mes désirs immédiats car je connais mes limites et je prévois les réactions d’autrui. L’innocence, l’insouciance, l’ignorance sont alors préférables.
Ainsi, sachant que la connaissance est obstacle au désir et que la réflexion s’oppose souvent à la volonté, on en déduit que le savoir nous détermine. Il me dicte ce que je peux faire et ce que je dois faire, j’agis conformément au savoir. Ainsi, un diabétique s’interdira de prendre tel ou tel autre sucrerie, mais au contraire il s’obligera à prendre sa dose d’insuline quotidienne. La connaissance de mon corps va donc me conduire à me comporter de telle ou telle manière. Donc dans le cas de la morale, si l’on assimile le savoir à la sagesse ; j’agis conformément à ce qui est reconnu comme bien et non à mes plaisirs. Je ne suis plus véritable maître de mes actions, puisque je ne réalise plus mes désirs ; mais je me comporte en fonction de l’attente qu’ont les autres de moi, je dois remplir mon rôle de sage. De même dans le domaine juridique et social, j’agis conformément aux règles, aux lois. Je ne me permet plus d’accomplir un acte défendu par la loi, je me plie aux règles que fixe la communauté et non aux miennes ; je ne suis plus libre de concrétiser mes désirs, mes rêves ou encore ma volonté si celle-ci est considérée comme interdite. Or dans le Gorgias de Platon, Callicles définit la liberté comme une réalisation de soi par les passions. Une liberté qui ne peut donc être pleinement satisfaite du fait de l’obstacle qu’est le savoir qui, limite contraint et détermine en grande partie nos actes.
Cependant il faut savoir que le Gorgias est un dialogue critique qui condamne le langage fleuri et tord le cou aux fausses valeurs des rhéteurs comme Callicles. On est donc en droit de se demander si la définition de la liberté comme d’une réalisation spontanée de nos désirs n’est pas illusoire. Le savoir ne serait-il pas plutôt une condition à sa réalisation ? De même un interdit de la raison ne serait-il pas une preuve de liberté ?
Celui qui prétend être libre parce qu’il suit ses désirs rencontre en fait plusieurs obstacles que sont : la société (ses lois, ses règles) ou encore la volonté d’autrui. Il s’agit là d’un pouvoir illusoire, qui se transforme en contrainte ; la liberté devient aléatoire et incertaine puisque elle suit les aléas du désir et des circonstances intérieures. En effet la liberté comme absence de contraintes aboutit à une contradiction. Si l’absence de contraintes signifie faire tout ce que l'on a envie de faire on est alors soumis à ses désirs. Cela revient à être esclave de ses passions, ce qui est bien le contraire de la liberté. C‘est dans cette mesure que Descartes définit « l’arbitrium brutum » (non réfléchi), quand les termes de l’alternative sont identiques et qu’il y a absence de motifs. C’est une liberté hésitante parce qu’aucun des deux termes de l’alternative n’apparaît comme évident. Ainsi la liberté dans laquelle n’entre nulle réflexion, nul motif, est en fait une liberté d’esclave, puisqu’on obéit à rien d’autre qu’à ses penchants, aux lois de l’instinct. Cette liberté là ne nous distinguerait pas de l’animal. Cette liberté d’indifférence est le plus bas degrés de la liberté, c’est une « caricature de la liberté ». La liberté n’est pas cette indétermination traduite par l’exemple de l'âne de Buridan qui, placé entre deux sacs d'avoine, meurt de faim au milieu parce qu'il n'a pas plus de raison d'aller à droite qu'à gauche. C’est dans cette mesure que Condillac affirme : « On ne dispose de rien, quand on ne fait qu'obéir à ses habitudes: on suit seulement l'impulsion donnée par les circonstances. Le droit de choisir, la liberté, n'appartient donc qu'à la réflexion. Mais les circonstances commandent les bêtes, l'homme au contraire les juge: il s'y prête, il s'y refuse, il se conduit lui même, il veut, il est libre. ». La liberté est donc fondée sur un choix éclairé par la raison grâce à laquelle nous évaluons les causes et les conséquences de nos actions. En effet, si passion s’oppose à raison, l’Homme éclairé par sa raison s’affranchi de ses passions et n’est donc plus esclaves de ses pulsions. Ainsi Spinoza parle d’un Homme libre comme de celui qui : « vit selon le seul commandement Raison ». C’est à travers cette connaissance rationnelle que nous pouvons non seulement décider par nous-mêmes (car nous savons ce que nous voulons) mais aussi réaliser et réussir nos actions à travers la connaissance des moyens et de la finalité. Telle est la véritable liberté pour Descartes, une liberté qui voit le bien et le mal avec évidence. On sait ici ce que l’on fait. Que l’on réponde oui ou non, que l’on choisisse le contraire de ce que l’on voit avec clarté, cela est la plus haute liberté. Elle s’applique à une action qui a des motifs et des buts. Elle doit être intentionnelle, projetée, décidée, on doit pouvoir en rendre compte de manière intelligible, à soi-même comme à autrui. Il y a donc bien quelque chose qui détermine en quelque sorte mon action, mais ce quelque chose ce n’est pas une cause, une pulsion, un désir, une force, mon milieu social, ou d’autres circonstances extérieures ; c’est une raison, un motif. En effet, si on enlève de la liberté le caractère de rationalité, de délibération, alors, on peut dire que n’importe quel être est libre. Un animal, un bébé, et même pourquoi pas une pierre qui tombe, de l’eau qui coule d’un vase, sont libres, car doués de spontanéité… De plus le savoir conduit à la maîtrise de soi-même et du monde : se connaître soi-même, c’est pouvoir prévoir, prendre conscience de nos volontés et pouvoir les réaliser, c’est donc maîtriser nos actions. Comme l’affirme Alain : « Derrière cette ombre de liberté qui consiste à choisir, se montre aussitôt la liberté véritable qui consiste à se dominer ». Se dire libre, ce n’est pas être comme une pierre qui aurait conscience de son élan vers le bas mais ignorerait la loi de la chute des corps. Le savoir nous rend indépendant du monde extérieur puisque nous acquérons des compétences et une somme de connaissances qui nous affranchissent de l’emprise d’autrui. C’est notamment le cas dans la dialectique du maître et de l’esclave chez Hegel : par son savoir-faire, l’esclave s’affranchit de l’emprise du maître tandis que ce dernier reste dépendant de l’esclave. Car en fait, la liberté ne consiste pas dans ce qu'on fait, mais dans la manière dont on le fait. La liberté est une attitude, celle de l'homme qui se reconnaît dans sa vie, qui approuve l'histoire du monde et des évènements. C'est pourquoi la liberté consiste souvent à "changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde", à s'adapter à l'évolution et à l'ordre des choses. De plus, outre le fait de nous rendre indépendants, le savoir nous rends autonomes, nous n’avons plus besoin d’autrui, nous pouvons penser, juger par nous-mêmes. Nous sommes à l’origine de notre vie, même si nous devons nous plier à des règles. Toutefois il faut savoir que une liberté absolue est non seulement illusoire mais inexistante ; car comme le souligne Joseph Moreau : « notre liberté n'est jamais parfaite, dans sa perfection elle exclurait le choix ». En ce sens, les contraintes font partie du choix et ne sont ressenties comme telles que lorsqu’elles nous sont imposées, non choisies ; d’où la distinction entre être contraint et s’obliger. Enfin, Il est illusoire de penser que nous pouvons nous autodéterminer spontanément par rapport à nos désirs, sans savoir ce qui nous détermine et sans prendre conscience des obstacles liés à la réalisation de nos désirs. C’est ici que la thèse de Spinoza sur l’illusion de la Liberté prend tout son sens. Pour le philosophe Hollandais, les Hommes se croient libres parce qu’ils ignorent les causes qui affectent leurs appétits et leurs désirs : « Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d’avoir, et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent ». Prendre conscience de ce qui nous détermine et considérer les obstacles qui font partie de toute action est un grand pas accompli vers la liberté car nous pouvons alors connaître et orienter notre devenir ; il est alors possible de concilier la contrainte avec l’autonomie. L’idée que le savoir s’oppose à la liberté relève d’une conception illusoire et abstraite de la liberté. Pour être libre, il faut voir clair : mieux je connais ce dont je juge, plus je suis libre. Être libre, choisir librement, c’est choisir à la fois son action et les résultats prévisibles de celle-ci, en connaissance de cause. Cependant de quel savoir s’agit-il ? Quelles sont ses nécessités et ses limites ?
Il est cependant dangereux de dire que seul le savant (ou celui qui sait) est libre, alors même que la liberté est un droit que tout Homme doit posséder, sans distinction : cette idée peut dès lors renforcer les inégalités, en démontrant que l’ignorant est forcément dépendant ; or il a non seulement le droit à la protection de ses libertés, mais aussi à la réalisation de ses désirs. Si on ne peut, en droit, ôter la liberté à personne, il n’est pas dit que cette liberté sera effective au sein de la société. Ici, le savoir permet de préserver cette liberté, il est même une condition de sa réalisation. Un minimum de savoir est donc nécessaire à l’exercice de notre liberté. C’est donc dans cette mesure qu’il faut nuancer le propos puisque dès lors, si la liberté est un droit, l’accès au savoir en est un aussi, puisqu’il représente une condition de notre autonomie réelle. Ainsi plutôt que de parler d’une liberté totale ou au contraire d’un assujettissement complet à nos désirs, il incombe de rappeler la spécificité de la Liberté puisqu’elle n’est pas absolue ; si bien que Rousseau dans son Contrat social la définit comme : « l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite».
Même si le savoir ne cesse d’évoluer, il n’est pas forcément équivalent à la vérité. D’où l’importance parfois de le remettre en question, de le « désacraliser ». Il peut être donc légitime de faire plus attention à ses désirs, à ses opinions, à ses convictions, qu’au savoir admis, qui peut par ailleurs être faux ou imprégné d’idéologie, de préjugés. N’obéir qu’à soi-même, à ses opinions et à ses convictions peut parfois conduire à remettre en cause un savoir faux pour y substituer un savoir vrai et fondé. C’est notamment le cas de Galilée qui a su faire confiance à son intime conviction ne cessant d’affirmer que la Terre est ronde ; et ce, contrairement à l’opinion publique et à l’Eglise pour lesquels la Terre était plate. C’est aussi, plus récemment, le cas du Mathématicien Benoît Mandelbrot qui malgré le scepticisme ambiant des scientifiques, s’est acharné à défendre la richesse de l’outil fractal jusqu’à la reconnaissance universelle de ses travaux. Dans ce cas, le savoir devient une contrainte extérieure à nous-mêmes, et la liberté se manifeste contre ce savoir. De même, les passions (qui a priori s’opposent à la fois à la liberté et au savoir) peuvent être à l’origine d’un nouveau savoir et de la réalisation de notre liberté puisque nous nous accomplissons nous-mêmes, nous nous libérons des règles et du savoir établis. Il est donc parfois important de valoriser ses passions, ses convictions et ses pensées au détriment du savoir. C’est ainsi le cas de René Descartes, rationaliste invétéré qui estimait qu’il ne fallait pas nécessairement se référer à la pensée héritée du Moyen-Âge. Reprenant tout à zéro, Descartes est à l’origine de la philosophie des temps modernes en s’imposant comme le premier à avoir conçu un véritable système philosophique comme le firent par la suite Spinoza, Berkeley, Hume et Kant. D’où l’importance et l’utilité de suivre parfois ses propres convictions et de ne pas se retourner vers le passé pour justement faire un pas en avant. Cependant, une passion ou un désir ne se manifeste pas spontanément, elle repose bien souvent sur un savoir qu’on cherche à imposer contre la donne. Lorsque les passions sont en partie maîtrisées, orientées vers un but rationnel, elles ne s’opposent ni à la raison, ni à la liberté.
Si pour beaucoup, la liberté, signifie souvent ne rencontrer ni obstacles ni contraintes à la réalisation immédiate de ses désirs ; la réelle Liberté, pensée par la raison, se réfère à la conscience d'une idée en moi qui agit et peut me conduire à des notions plus universelles. Ainsi, s’il s’agit de tenir compte de ses désirs, de la remise en cause possible du savoir, de la liberté comme droit inaliénable, la liberté effective relève d’une acquisition qui suppose nécessairement le savoir et témoigne de la responsabilité de l’homme à l’égard de lui-même et du monde