Dans ce texte, Freud traite deux questions concernant la religion à savoir : pourquoi les gens croient aux contenus de la religion alors que c'est absurde de sens "objectif", et d'autre part pourquoi les gens croient en sachant que c'est absurde. Ils font comme si cela était sensé, comme s'ils avaient une raison objective de croir. Pourquoi dès lors les gens croient-ils en des principes religieux qui sont en eux-mêmes absurdes et contre tout bon sens raisonnable ?
Dans les premières lignes du texte, Freud expose sa thèse : la religion a été inventée en tout point par l’homme. Son argumentation va ensuite s’exposer en trois parties : la première partie développe le besoin de l’homme de se sentir inférieur, la seconde partie développe le fait que la religion semble indispensable pour l’homme même si elle lui semble totalement infondée. La dernière partie est une conclusion : l’homme est bien à l’origine de la religion.
I. Le besoin de l’homme de se sentir inférieur
« (Les idées religieuses) qui professent d'être des dogmes, ne sont pas le résidu de l'expérience ou le résultat final de la réflexion : elles sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l'humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs. ». Freud dit en fait que les "idées religieuses" sont "des illusions", et non pas "le résidu de l'expérience ou le résultat final de la réflexion". Cette précision est importante, car elle suggère que la religion pourrait, sans être scientifique, se révéler néanmoins "acceptable" si elle était autre chose que la réalisation fantasmatique des désirs infantile, "des désirs les plus anciens". L'auteur laisse donc entendre ici qu'une "religion naturelle" aurait une sorte de légitimité : les hommes les plus savants sont, en effet, incapables de tout expliquer, non pas tant parce que la science n'est pas parvenue à son terme, mais essentiellement parce que l'expérience en elle-même, aussi bien que la pensée rationnelle, ont, en fin de compte des limites: les limites du pouvoir de connaître l'esprit humain. Ainsi, combler le manque à connaître de la science (qui est justement l'œuvre de l'esprit humain) en postulant l'existence d'une sorte de Dieu n'est sans doute pas illusoire - même si un tel postulat ne mérite pas d'être rangé parmi les résultats des sciences. C'est en somme la leçon de Kant dans la Critique de la raison pure 1781 où il dit "Je dus donc abolir le savoir afin d'obtenir une place pour la croyance" car faire une place à la croyance n'est en rien irrationnel. Au contraire : c'est la raison qui nous commande de croire lorsqu'en s'examinant elle-même elle est amenée à reconnaître ses propres limites... Mais les "idées religieuses", telles qu'elles existent de par le monde, ne doivent rien à une telle autocritique de la raison. Ce n'est pas, en effet, une "critique de la raison pure", comme dirait Kant, qui les inspire et les fait surgir ; elles ne doivent rien à la pensée réfléchie ni à la considération rationnelle des limites de l'expérience possible. Au contraire, elles ne sont que "la réalisation des désirs" les plus archaïques des hommes.
« Nous le savons déjà l’impression terrifiante de la détresse infantile avait éveillé le besoin d’être protégé - protégé en étant aimé - besoin auquel le père a satisfait la reconnaissance du fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l’homme s’est cramponné à un père, à un père cette fois plus puissant. » Nous touchons ici à l'une des propositions fondamentales de l'interprétation psychanalytique du phénomène religieux : la religion est incompréhensible, si l'on ne se réfère pas à la situation infantile de détresse et à la relation ambivalente que nourrit le petit enfant à l'égard de son père.
C'est bien dans la prime enfance, dans la protohistoire du sujet, qu'il convient de chercher les premières émotions dont la religion constituera plus tard la réactivation sublimée. L'enfance est une période d'intense activité psychique inconsciente, d'émotions extrêmement fortes, bien souvent inassimilables par un petit être dépourvu de défense du fait même de son immaturation affective. C'est pourquoi, on le sait, l'enfance constitue aux yeux de Freud la période sans doute la plus importante de la vie de l'homme, le moment où il se constitue dans sa personnalité psychique pour le restant de ses jours. Ceci vaut pour la religion, comme pour toute le reste : "Les émotions infantiles sont bien plus intenses, bien plus inépuisables que celles des adultes et seule l'extase religieuse peut les ramener.", disait Freud dans Moïse et le monothéisme.
Or, un fait marquant de la période de l'enfance est bien la situation de dépendance à l'égard des parents ; cette relation aux parents est destinée à "marquer" l'enfant d'une manière indélébile. Et, au sein du couple parental, la répartition des rôles accorde une importance décisive au père, en tant qu'il incarne précisément, aux yeux de l'enfant lui-même, la force susceptible de le protéger. Certes, dans un premier temps, c'est dans son rapport avec sa mère que l'enfant trouve réconfort et protection. Il n'est pas nécessaire d'insister sur la proximité charnelle de la mère à l'enfant, cet enfant qu'elle a porté dans son sein pendant neuf mois et qu'elle a mis au monde. Une relation quasi-fusionnelle s'instaure dans un premier temps, de la plus grande importance, comme l'on sait, pour l'équilibre futur de l'enfant. Mais l'influence de la mère se voit bientôt contrebalancée par celle du père.
II. La religion semble indispensable pour l’homme même si elle lui semble totalement infondée
C'est parce que nous restons enfants toute notre vie que nous cherchons encore et toujours protection et réconfort auprès des instances religieuses ; la religion n'est ainsi rien d'autre que l'expression de la "misère" de l'homme, dont Pascal a si bien décrit le sentiment d'angoisse devant ces "vides infinis" qui l'effraient.
Il est même remarquable, à cet égard, que la religion profite de la déception que l'enfant ne tarde guère à ressentir devant son père, à travers le constat que celui-ci n'est pas l'être tout puissant qu'il s'était imaginé dans sa conscience d'enfant. La religion est fille d'une désillusion : elle trouve son origine dans la destitution du père du piédestal où le fantasme oedipien l'avait placé. Dieu n'est jamais que le père réel, connu pendant l'enfance, et idéalisé. Certes, une telle référence ne suffit pas à épuiser la question de la signification de la croyance religieuse dans son ensemble, et Freud en convient lui-même, mais du moins se retrouve-t-elle systématiquement au centre de l'attitude religieuse, telle qu'elle se donne à déchiffrer dans une perspective clinique.
«L’angoisse humaine en face des dangers de la vie s’apaise à la pensée du règne bienveillant de la Providence divine ». Tout au long de sa vie, l’enfant, qui devient homme, est confronté à des problèmes, des questions angoissantes. L’apaisement de l’individu en proie à ces difficultés ne peut s’effectuer que grâce à la croyance d’un être supérieur qui a pour but de nous protéger mais aussi de nous rendre heureux, cet être n’est autre que Dieu. Ce Dieu est censé nous aider à tous les moments de la vie, par conséquent, les personnes croyantes ne se sentent jamais seules face à leurs problèmes, il y a toujours Dieu. Avec l’aide du «Père Tout Puissant» l’individu se sent plus fort pour surmonter les difficultés qui l’entourent et s'assure un avenir meilleur, quelles que soit les perspectives d’avenir. La religion est une illusion en ce qu'elle propose la résolution des conflits psychiques, en inventant une parenté prolongée qui s'appellerait Dieu et serait la source de toute protection.
Cette vision est néfaste à l’homme, car en réalité, les conflits ne seront que cachés ou faussement résolus. Ce sera la transposition d'un Père Céleste qui vient à point nommé et permet aux hommes de n'avoir pas à faire d'effort et se trouver dans l'angoisse d'avoir à résoudre ces conflits réels. L’individu serait donc à plus long terme sujet à la névrose.
III. L’homme est bien à l’origine de la religion
«L’institution d’un ordre moral de l’univers assure la réalisation des exigences de la justice, si souvent demeurées non réalisées dans les civilisations humaines, et la prolongation de l’existence terrestre par une vie future fournit les cadres du temps et le lieu où les désirs se réaliseront.» D’après Freud, la religion est une pathologie, une névrose obsessionnelle, qui nous maintient dans un stade infantile et dont il faut se délivrer pour parvenir à l'âge adulte. En effet, la religion nous empêche de voir la réalité.
Freud souligne que la religion repose sur un interdit de penser, à tel point qu’elle est un obstacle au développement intellectuel de l’humanité. La religion représente ainsi, aux yeux de Freud, un danger incomparablement plus grand pour le progrès de la connaissance scientifique et l'avancée de la science dans l'élucidation des lois fondamentales qui régissent l'univers, que l'art, ou la philosophie. Telle est sans doute la raison pour laquelle l'illusion religieuse est si souvent dénoncée par Freud, dans un grand nombre de textes. Mais pointer le danger ne suffit guère à en comprendre l'essence, et l'efficace ; si la religion est un phénomène d'illusion, comment comprendre son succès ? Comment comprendre qu'elle s'est maintenue depuis des millénaires, qu'elle constitue une structure universelle de toutes les sociétés humaines sans exception, et qu'elle résiste même à l'avancée des sciences et à la poussée du rationalisme à l'époque moderne ? Freud soupçonne très vite que cette force de la religion doit s'expliquer par des phénomènes inconscients, mais aussi qu'elle apporte aux hommes ce qu'ils attendent, qu'elle lui permet d’apaiser ses angoisses. Freud donne ici d’exemple de la mort. Alors qu'aujourd’hui encore, 82 % des individus affirment avoir peur de la mort. Alors même que la science ne permet pas d’apaiser ces angoisses, elle permet juste de soulager les souffrances ou d’allonger l’espérance de vie pour essayer « d’éloigner » la mort, la religion, elle, a de tout temps trouvé une réponse rassurante à cette angoisse universelle : l’existant d’une vie après la mort dans un lieu où tous les désirs sont réalisables sans effort : le paradis.
«Des réponses aux questions que se pose la curiosité humaine touchant ces énigmes, la genèse de l’univers, le rapport entre le corporel et le spirituel s’élaborent suivant les prémisses du système religieux.» Freud parle dans cette dernière phrase des questions que l’homme peut se poser sur divers sujets. Il aborde ici l’origine de la vie et la relation entre l’esprit et le corps. Il aborde en fait la rationalité des dogmes. Un croyant va voir comme évident que Dieu est à l’origine de la vie, qu’il constitua le monde en sept jours. Mais aucun scientifique ne peut croire cette hypothèse vraisemblable. Tout scientifique sait que la Terre est le résultat du rassemblement de "grumeaux" plus ou moins gros, soumis aux lois de la gravitation, qui, petit à petit, ont commencé à former un planétoïde à peu près homogène dans sa forme et hétérogène dans ses différentes structures internes... Plus la masse de la Terre augmentait, et plus elle fut soumise au bombardement de météorites ainsi de suite. Dans un lointain passé (4,5 milliards d'années), la Terre était alors une boule en fusion. Avec le temps, elle s'est peu à peu refroidie, et les gaz s'étant échappés de la fournaise ont commencé à former une atmosphère. Cette vapeur, constituée de divers gaz, fut maintenue autour de la planète grâce à la gravité. Ensuite ce fut l’apparition de l’eau, puis de la vie. Mais tout ce processus mit des millions d’années et non pas sept jours. Les dogmes des religions peuvent tous, grâce à la science, être contredits, même si la religion en elle-même ne peut pas l’être. Il semble donc que l’homme ait créé une religion à son image ou toute question à une réponse, et cela pour n’importe quelle époque.
Conclusion
Ce texte s'attache à élucider la question du religieux à l'aune de celles de la croyance et de l'enfance. Plus exactement, dans ce texte, Freud cherche à montrer que la croyance est un besoin qui prend son origine dans la notion d'instinct infantile et de rapport au père. Si le père incarne pour l'enfant celui qui garantit la vie et en assure la protection et le confort - il est celui qui réalise nos désirs -, parvenu à l'âge adulte, l'homme perd cette garantie et se retrouve seul face au monde. Fuyant devant cette responsabilité, il va se réfugier dans une illusion qui est celle de la croyance dans le religieux et dans les dogmes. Il s'agit donc d'une illusion qui n'a de fondement que dans le désir infantile de voir ses désirs assouvis.
Le problème que pose Freud est donc celui du fondement et de la légitimité de la croyance religieuse. Et ce texte, malgré son apparente neutralité, engage une violente polémique, car il ruine le principe même d'une transcendance en le ramenant à un besoin servile. Il parait donc irréfutable que la religion est indispensable pour certaines personnes en ce sens qu’elle leur permet d’éviter les maladies mentales, mais paradoxalement la religion est pour une société néfaste puisqu’elle empêche l’évolution, et rappelons le comme Kant l’a dit, l’évolution est indispensable, car elle assure un avenir.
Aujourd’hui encore dans une société qui accorde une grande place à l’évolution et à la science, plus de 95% de la population mondiale croit en un ou plusieurs Dieux. Il serait néanmoins judicieux de rappeler, en cette époque de conflit religieux international, les propos de Marx : «L’homme fait la religion, la religion ne fait pas l’homme.» En ce sens que l’homme ne doit pas s’appuyer sur la religion pour obtenir la pitié des autres ou leur pardon.