D’après Freud, la religion est un obstacle au développement intellectuel de l’humanité. C’est une maladie d’ordre psychique. C’est un interdit de penser car elle empêche de trouver des explications rationnelles aux questions que l’on se pose. Elle nous empêcherait donc d’être rationnel. Toujours d’après Freud, elle maintient les hommes dans une situation d’infantilisme, une situation qui prolonge un état naturel de façon artificielle. Elle maintient une immaturité biologique et psychologique. Il est vrai que les avancées de la science ont souvent été en contradiction avec les idées religieuses, notamment Darwin et sa théorie de l’évolution des espèces. Nous avons bien des ancêtres en communs avec les singes. Pourtant la religion est restée omniprésente dans notre civilisation.
Alors faut-il résumer les rapports entre la raison et la religion comme notions antagonistes ?
A 1° vue, la religion semble être effectivement l’ennemie de la raison. Néanmoins, N’y a-t-il pas une compatibilité entre elles ?
A 1° vue, la religion semble être effectivement l’ennemie de la raison.
Par définition, la raison est une faculté intellectuelle supérieure propre à l’homme, lui défini comme un « animal raisonnable ». Elle permet de penser, raisonner, parler, connaître … Mais elle permet aussi de bien juger, des déduire des conséquences, d’être moral, de distinguer le vrai du faux et le bien du mal, de fournir des principes indépendants de l’expérience … La raison porte remède en expliquant le réel et parvient même petit à petit à expliquer de nouveaux phénomènes. Elle organise la connaissance du monde et détermine la conduite des hommes. La raison examine et juge la validité indépendamment de ce que le texte ou la personne qui affirme représente pour la communauté. Elle fait donc progresser la science. Les concepts synthétisent les représentations formées à partir des sensations, des volontés et les jugements relient les concepts pour élaborer la connaissance des êtres et des choses. La raison est donc la faculté qui nous rend capables à la fois de former ces concepts et ces jugements mais aussi de donner un sens à l’univers en introduisant un ordre dans les représentations symboliques que nous en avons. D’après Durkheim, la raison conduit à un « désenchantement du monde ». Elle fait partie du domaine de l’esprit alors que la religion appartient au domaine des sentiments.
La raison s’oppose donc à la religion qui, par définition, est un ensemble de croyances. Chacune de ces croyances a ses propres pratiques. Cet ensemble de croyances comprend un aspect subjectif dût au sentiment religieux et un aspect objectif dût aux institutions et aux cérémonies. Il définit le rapport de l’homme avec le sacré. Le sacré est caractérisé dans chaque religion comme un « absolu ». Autrement dit, ce qui est sacré ne peut ni remis en cause ni discuté, dans une même religion. Le sacré d’une religion se présente comme son fondement qui, parce qu’il est indiscutable, n’a pas à être expliqué. Sociologiquement, les religions sont les divers cultes organisés avec leurs dogmes et leurs rites pour rendre hommage à Dieu. La religion est née du sentiment que l’homme ne s’est pas donné à lui-même l’existence. Il dépendrait donc d’un être qui le dépasse infiniment. Pour Durkheim, sociologue français du 19° siècle, la religion est « un système de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées et qui unissent en une même communauté morale tous ceux qui y adhèrent ». Il semble que l’essence même de toute religion soit d’exiger le saut de la foi dans l’irrationnel. La foi est alors une conviction intime qui engage tout l’individu, une adhésion totale à ce qui reste, pour l’homme, un mystère indéchiffrable. C’est la volonté de croire l’incroyable, la volonté de croire au-delà de la raison. La religion délivre l’homme des interrogations les plus difficiles sur l’Origine de l’existence car elle est là pour indiquer les réponses de Dieu aux hommes. L’homme se délivre de la solitude de la condition humaine dans le monde en entrant dans la communauté de sa religion. Il est délivré de l’incertitude qui accompagne sa raison. Il est délivré des incertitudes morales car il a le moyen de déterminer ce qui est Bien de ce qui est Mal en suivant les interdits et les préceptes de la religion. La foi n’abolit pas le doute et elle ne rend pas l’existence plus facile, mais elle permet de sentir membre d’une communauté des croyants. La religion atténue la peur du réel provoquée par la vie qui est considérée comme dure. La religion relie les hommes à plus qu’eux, à une puissance qui les dépasse, qui les transcende. La religion est donc la mise en relation entre l’homme et la divinité. Le fidèle s’en remet à Dieu parce qu’il se voit limité, borné. L’homme a besoin de retrouver l’image protectrice et rassurant d’un père tout-puissant. Il a besoin de réconfort face à la dureté de la vie. Ce Dieu donne des règles de vie concrètes. Il protège d’une angoisse liée à ‘absurdité de son existence puisqu’on ne choisit pas d’exister mais on doit assumer cette existence. La religion établit donc un double lien. Elle crée un lien que l’on pourrait qualifier « horizontal » entre les hommes et un lien que l’on pourrait nommer « vertical » entre Dieu et ces derniers. L’acte de foi est donc en rapport avec le mystère que la raison ne peut comprendre.
Religion et raison reposent donc sue des fondements et des logiques opposés. La foi se trouve placée devant la difficulté de convaincre rationnellement de sa validité, au regard de l’homme qui ne croît pas en Dieu. Mais la foi n’est pas une conviction rationnelle mais une persuasion intime. Une religion purement rationnelle ne pourrait avoir de vitalité car il lui manquerait l’essentiel de ce qui fait la vie de la religion qui est le mythe. Ce que l’Eglise enseigne, ce sont des dogmes qu’il s’agit de reconnaître et non pas de justifier. Les hommes doivent renoncer à l’orgueil de la raison. La raison doit s’incliner devant Dieu. C’est dans cette soumission que le croyant trouvera l’humilité qui est la qualité première du fidèle. Comme il est admis que la raison cultive l’amour-propre, il s’agit d’abandonner la raison pour se consacrer à la religion d’où la pratique du jeûne par exemple. La religion ne repose donc pas sur la raison. C’est finalement une adhésion émotionnelle. Il y a bien sûr les exigences de la raison mais aussi celles de la religion. La raison commande la tolérance des cultes, la tolérance de la sexualité … alors que la religion impose des interdits, par exemple sur la sexualité. Dans la religion, les justifications sont inutiles pour l’authentique croyant dont la foi n’a pas besoin d’explication. Pour la religion, les justifications rationnelles sont même considérées comme nuisibles, dans la mesure où elles risquent d’être perçues comme des aveux de faiblesse. La différence entre les notions est que la raison même lorsqu’elle énonce une vérité indiscutable, accompagne cette vérité d’une justification théorique. De plus, la raison répondra toujours à une objection éventuelle et un scientifique ne menacera jamais un opposant des flammes de l’enfer. Ceci dit, si la religion était l’ennemie de la raison, ça signifierait que ces deux notions seraient bien sûr opposées mais qu’en plus la raison serait, pour la religion, une rivale qui cherche à lui nuire. Ce qui sous-entendrait une idée de guerre, or ce n’est pas le cas dans la réalité. Ces deux notions seraient donc plutôt adversaires car elles sont peut-être opposées mais la raison ne nuit pas à la religion. Puisque la raison et la religion ne sont pas ennemies mais qu’elles ne pourraient être, au pire, qu’adversaires pourquoi ne pourraient-elles pas finalement converger dans certains domaines ?
N’y a-t-il pas une compatibilité entre la raison et la religion ? Peut-être n’est pas impossible de les concilier. Il n’est pas nécessaire de concevoir une opposition aussi radicale entre elles. Personne ne peut accepter de remettre son esprit à l’arbitraire. Il faut bien que l’intelligence ait part à l’acte de foi et que la religion garde un sens pour la raison. La raison et la religion peuvent être rapprochées par des questions communes qu’elles se posent au sujet de la place de l’homme dans le monde, du Bien et du Mal, du vrai et du faux … Il y a aussi des attitudes communes à ces deux notions. Devant le réel qui se laisse, à la fois, appréhender par la raison et toujours lui échappe, le scientifique agit, à travers ses méthodes d’analyse et leurs fondements, d’une façon similaire au croyant qui cherche Dieu. La réalité est toujours au-delà de nos représentations me^me si elle se laisse de mieux en mieux appréhender par la raison. Le scientifique cherche à analyser cette réalité qui résiste à nos représentations tout comme le croyant cherche à connaître Dieu qui pourtant toujours lui échappe. Dieu n’est pas physiquement présent mais c’est la même attitude qui est présente chez le scientifique et chez le religieux. Tous les deux que quelque chose nous échappe. Ces attitudes communes sont dûes à un développement de la science pour l’un et à un développement de la tradition pour l’autre. Accepter qu’il puisse y avoir de l’irrationnel, c’est donc être rationnel.
Il est rationnel de reconnaître les limites de la raison. Il est possible de laisser, à la religion, sa place aux côtés de la raison. C qui revient à lui accorder son propre domaine sur lequel la raison ne saurait se prononcer. La raison dicte ce qu’il est possible de savoir et ce qui ne l’est pas .. Quant à la religion, elle peut se prononcer sur ce qui n’est pas possible de connaître mais que l’on peut pourtant penser. A côté du discours logique de la raison, il y a donc une place pour le mythe. Le mythe est dons une manière, parmi tant d’autres, de donner du sens au mystère. Il peut par exemple se prononcer sur l’Origine de l’Homme. Le savoir est prisonnier des limites rationnelles que lui fixent l’Homme. De ce fait, la religion garde sa place pour aborder ce qui se passe en dehors de ces limites. Comme le savoir ne peut pas toujours répondre aux questions fondamentales et existentielles et qu’il est humain de se poser des questions, il est possible, pour la religion, de se prononcer là où la savoir fait défaut. La religion ajoute aux commandements moraux, l’autorité d’un commandement divin. Comme le domaine de la morale et celui de la science sont différents, un scientifique peut très bien être croyant. Il y a donc ce que l’on sait scientifiquement et ce que l’on croît. Il y a donc même une sorte de complémentarité entre la raison et la religion. D’après Jean-Paul II, « La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’humain de s’élever vers la contemplation de la vérité ». Les deux ailes doivent alors nécessairement voler de manière concordante. Il y a donc un domaine au-dessus de la raison que le mental discursif ne parvient qu’à saisir avec difficulté tout comme il y a un domaine en-dessous de la raison. L’homme part d’une condition où il est encore dominé par son instinct. Il devient autonome grâce à la raison. Il faut donc distinguer l’irrationalité de la foi, qui est au-dessus de la raison et de la superstition, qui est contraire à la raison. Pour finir la complémentarité de ces deux notions s’illustrent dans un exemple. C’est le dialogue entre la foi et la raison qui permet d’éviter les sectes. « Les formes et les systèmes religieux ont tendance à s’épuiser et à se corrompre, et ils doivent être détruits, sinon leur sens intérieur se perd, leur connaissance s’obscurcit, leur pratique devient nocive ; aussi la raison a-t-elle joué un rôle important dans l’histoire religieuse en réfutant ce qui était caduc et en réfutant les aberrations », Aurobindo. La raison est d’autant plus indispensable, dans un monde où le fanatisme se développe.
Pour conclure, la religion et la raison peuvent être complémentaires dans plusieurs domaines. La religion a sa place dans la culture humaine. Elle a droit à son propre domaine, là où la connaissance est impossible. Elle peut être au-dessus de la Raison et non pas contre. La Raison a également sa place dans la lutte contre la corruption qui convertit la religion par le superstition.