Descartes, rationaliste, va nous montrer, dans son texte tiré de son Discours sur la méthode, son intention de trouver une vérité indubitable « pour bien conduire la raison et chercher la vérité dans les sciences ». Selon lui, la seule chose dont on peut vraiment être sûr est le fait qu’on pense, donc qu’on existe . Afin d’arriver à cette thèse, Descartes va utiliser un doute absolu et systématique : il va examiner et remettre en question chaque chose qui nous entoure, ainsi que les choses auxquels nous faisons le plus confiance, à savoir nos sens et les mathématiques, et va considérer que tout n’est qu’illusion, même la réalité du monde.
Le problème que pose l’affirmation « je pense, donc je suis » est le suivant : Descartes prétend construire tout un système philosophique autour de cette affirmation mais comment peut-il fonder une théorie sur une phrase dont il est le seul à avoir la possibilité de la vérifier, voire de la réfuter et dont pour le moment il est le seul à croire ? Comment une science peut-elle reposer sur un critère à priori subjectif ?
Le passage que nous allons étudier commence avec l’une des constatations de Descartes : la manière de penser qu’ont les gens à son époque. En effet, il dit que, dans le domaine de la pratique, de la morale, de l’action, du comportement, les gens ont tendance, quand ils en ont besoin, donc très souvent, à suivre des opinions qu’ils savent fort incertaines, en faisant comme si elles ne pouvaient être remises en question, qu’ils ont tendance à ne pas douter d’opinions qui peuvent être fausses. Ils acceptent donc l’incertain et suivent l’attitude commune. Ils n’ont pas le temps de chercher une « certitude absolue » , aussi ils préfèrent suivre les auteurs anciens, leurs théories, ainsi que des opinions préconçues. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas d’incertitudes, ils en ont bien évidemment, mais elles sont souvent passagères et ils préfèrent choisir l’opinion la plus probable, en consultant des livres par exemple. Ils ne se rendent pas forcément compte de l’erreur qu’ils font, car beaucoup ont cette manière de penser et suivent des opinions de ce type depuis leur enfance. Descartes va s’opposer à ce mode de pensée, à cette forme de tradition et va donc remettre en question toutes les connaissances acquises. Il nous explique pourquoi il agit de la sorte, en nous présentant son projet. Il désire en effet se consacrer à la recherche de la vérité. Il veut que tout l’édifice du savoir, des sciences repose sur quelque chose de sûr, d’unique. Notons que le mot vérité a une connotation beaucoup plus forte que opinions : Descartes ne veut pas des opinions, quelque chose d’approximatif mais la vérité, unique et irréfutable. Il remet donc en question tout ce qui a été dit auparavant, toutes les connaissances acquises à l’école dont il veut s’assurer de la validité. Il veut en quelque sorte trouver un fondement de la connaissance qui ne repose plus ni sur la crédibilité des professeurs, ni sur les livres et les textes anciens d’Aristote, de Platon, de Saint Thomas…
Pour trouver cette vérité, Descartes décide de rejeter, « comme absolument faux , tout ce en quoi [il pourrait] imaginer le moindre doute, id est, il décide de douter de tout. Il veut ainsi assurer des bases solides au système philosophique qu’il essaie de construire. On pourrait comparer sa démarche à celle d’un ouvrier, ou d’un architecte, qui pour construire une nouvelle maison, ne choisirait que des matériaux neufs, pour être sûr que la maison soit solide. Excepté qu’ici, on ne traite pas des fondations d’une maison, mais des fondations de la pensée. Descartes va donc oublier tout ce qu’il a appris jusqu’alors, toutes les connaissances qui lui semblaient évidentes, tous les textes des philosophes antérieurs, toutes les opinions qu’il a pu avoir car selon lui beaucoup étaient en effet fausses. Il va rejeter également toutes les croyances ainsi que tous les préjugés qu’il a pu avoir, préjugés qui viennent souvent de son enfance, et comme nous l’avons déjà dit, de l’éducation. Descartes fait donc table rase du passé. Descartes, lui, avait utilisé l’analogie du « panier de pommes » dans ses Réponses aux septièmes objections. Il compara sa démarche avec celle d'une personne qui craignant que, parmi les pommes de son panier, certaines ne soient pourries, préféra les enlever pour protéger les autres; cette personne aurait pu raisonnablement procéder en les examinant chacune tour à tour, ne remettant dans le panier que celles qui allaient résister à l'examen. De la même façon, Descartes propose de vider son esprit de toutes ses opinions, puis d'examiner, de contrôler chacune d'elles, avec vigilance, en s'efforçant d'identifier celles qui méritent d'être rétablies et de n’admettre aucune proposition qui n’ait été démontré par quelqu’un d’autre que lui.
Cependant, Descartes ne doute pas pour douter. Ce n’est pas un doute sceptique ; nous apprendrons d’ailleurs à la fin du passage que Descartes s’oppose aux sceptiques et à leurs « propositions extravagantes ». Ce doute se justifie dans la fin qu’il vise : la découverte d’une certitude, de quelque chose, comme il le dit lui même, d’ indubitable. Il espère en effet qu’en divisant le problème en autant de petits problèmes que possible, en commençant par les pensées les plus simples pour aboutir aux plus complexes, il arrivera à quelque chose dont il ne pourra douter. Néanmoins, il faut préciser que ce doute est surtout théorique. Descartes montre qu’il est surtout possible de douter de tout. Ce doute est volontaire, provisoire et méthodique, il procède d’une intention constructive, et sert de point de départ à la construction de son système philosophique. C’est le chemin qui mène à la vérité.
Descartes remet tout d’abord en question nos sens. Selon lui, ils nous « trompent quelquefois ». Il est vrai que, si nous y réfléchissons bien, il n’y a peut-être pas de rapport entre ce que nous voyons et ce qui existe vraiment, entre les données de nos sens et l’existence des objets. En effet, qui sait si nous pouvons faire confiance à nos cinq sens? Ce que nous appelons perceptions, ce que nous voyons, entendons, touchons, goûtons et sentons est en réalité le test le moins fiable concernant la détermination de la réalité. En effet, les sens nous disent toujours que la terre est plate alors que nous savons aujourd'hui que ce n'est pas crédible. Les sens nous disent également que les choses ont un certain goût, une certaine odeur, une certaine texture mais il est bien possible quelles ne soit pas exactement comme cela. Par exemple, il arrive qu’on regarde des tours, qui de loin nous semblent rondes, mais de près paraissent être carrées. On peut également prendre le cas de l’abeille, qui ne possède pas l'appareillage lui permettant de distinguer les longueurs d'ondes que les humains perçoivent habituellement. Cette abeille perçoit l'ultraviolet, donc lorsqu'elle regarde une fleur à distance, elle ne voit pas une fleur. Elle voit le miel mais ne remarque absolument pas la fleur, alors que les humains, eux, voient une fleur. Tous ces exemples nous montrent que la perception du monde peut être modifiée par l'illusion de nos sens. Les sens sont faussés par l'interprétation qu'on en fait, même si le recours à la subjectivité est inévitable, comment faire autrement ? Il existe donc un doute quant aux données sensibles, quant aux apparences. Etant donné que nos sens peuvent, comme nous l’avons vu, nous tromper « quelquefois », pourquoi ils ne nous tromperaient pas en permanence ? Descartes préfère se détacher d’eux car ils ne peuvent donner accès à une certitude absolue alors que Descartes cherche justement cette certitude absolue. Il faut encore une fois préciser que ce doute est provisoire, théorique, et surtout artificiel, Descartes dit : « je voulus supposer ».. Il est obligé d’agir ainsi pour conduire son raisonnement, mais il est bien évident que, dans notre vie quotidienne par exemple, nous avons un besoin vital de nos sens, c’est à travers eux que nous connaissons le monde !
Après les sens , Descartes va aller encore plus loin dans son doute : il va en venir à douter des raisonnements mathématiques. Jusqu'ici les connaissances que Descartes a toujours tenues pour les plus certaines savoir les notions, les propositions (et les raisonnements) mathématiques, avaient résisté aux attaques destructrices du doute, étaient à l’abris de tout soupçon. Personne ne doutait que 2+2=4 ou qu’un carré a quatre cotés. Pourtant la certitude mathématique, si elle est bien supérieure à la certitude sensible, ne satisfait pas pleinement Descartes. L'expérience lui montre qu'on peut se méprendre en raisonnant, qu'on peut commettre des paralogismes, c’est à dire des « raisonnements incorrects malgré les apparences » même sur les choses les plus simples, même une seule fois donc qu’on peut constamment être en train de se tromper. Qui sait si l’ordre des nombres qu’on utilise est le bon après tout ? Aussi veut-il faire porter son doute sur les choses plus compliquées, à savoir « les démonstrations et sur les notions mathématiques elles-mêmes ». Ces notions et démonstrations ne résisteront pas à Descartes ! Comme ses anciennes opinions, aucune ne subsistera. Après les sens, c'est autour de la seconde source reconnue traditionnellement à la connaissance, les mathématiques, d’être finalement rejetée. Descartes va quand même très loin : il rejette quelque chose dont on ne peut douter, la chose la plus sûre, que l’on prend souvent comme référence. La certitude mathématique est tout de même le prototype de la certitude rationnelle ! Néanmoins, si Descartes rejette d’une certaine façon la raison, c’est qu’il espère qu’une certitude plus haute (métaphysique) sera trouvée.
Enfin, Descartes aborde un troisième domaine dans lequel il est amené à douter : notre capacité à distinguer le rêve et la réalité. Descartes pose le problème suivant : comment arriver à différencier nos perceptions à l’état de veille de celles de nos rêves ? Il est vrai que quand nous rêvons, nous croyons bien vivre quelque chose de réel mais la distinction entre veille et rêve est quasiment impossible à déterminer. Quand nous rêvons, nous ne nous disons pas : « ce sont des « images de rêve » » . Comment être sûrs alors que toute la vie n’est pas qu’un rêve ? Dans La vie est un songe de Pedro Calderon, Sigismond, le personnage principal, croit qu’il a seulement rêvé avoir dormi dans le lit du baron. A l’inverse, quand il est dans le lit du baron, il croit que sa vie de pauvre paysan n’a été qu’un mauvais rêve. Il n’y a peut être donc que du rêve, que des illusions. L'argument du rêve fait vaciller la croyance en la réalité du monde, et va beaucoup plus loin que la première critique concernant les erreurs des sens : il remet en question le monde, endroit où tous les hommes vivent et remet en cause son existence ! Descartes va donc très loin dans son raisonnement, même s’il dit : « je me résolus de feindre », où il montre qu’il y a une feinte et que une fois de plus c’est parce que c’est nécessaire à son raisonnement qu’il adopte cette pensée.
Descartes avait donc comme unique certitude ce doute fondamental. Cependant, si Descartes veut aller jusqu’au bout de son raisonnement il doit admettre qu’il pense et qu’il est. En effet, le doute doit bien s'arrêter quelque part, car si nos sens nous trompent il faut bien qu’il y ait quelqu’un pour être trompé, de même que si toutes nos pensées ne sont que des illusions, il y a nécessairement un sujet de l'illusion, quelque chose qui est illusionné. Mais l'illusion est une pensée, il y a donc quelque chose qui pense, il y a donc une chose pensante. Plus je doute, plus je suis certain qu'il y a quelque chose qui doute, et donc que je suis une chose pensante. De toute manière chacun a l’intuition qu’il n’est pas rien : l’affirmation cartésienne est en partie intuitive. Le sujet pensant est donc le seul être dont on ne peut mettre l’existence en doute. Pour Descartes, toute la connaissance, toute la philosophie, doit donc reposer sur cette base « indubitable » : « je pense donc je suis ». Le doute débouche donc sur une certitude absolue, puisque le « je pense donc je suis » est quelque chose qui va de soit, une chose connue de soi, d’irréfutable, d’unique, mais aussi une intuition, une évidence, et sûrement pas un raisonnement (rappelons que Descartes doute de tous les raisonnements !).
De même que Platon pensait que ce que nous saisissons avec notre raison est plus réel que ce que nous percevons avec nos sens, Descartes comprend que ce « je pensant » est plus réel que le monde matériel perçu par nos sens.
Descartes arrive donc à la fin de son projet : il a trouvé la vérité indubitable qu’il cherchait en l’affirmation « je pense, donc je suis ». Néanmoins, comme nous l’avons dit en introduction, cette affirmation pose le problème de la subjectivité. Comment rendre cette vérité universelle en sachant que c’est la vérité de Descartes ? Considérer que le « je » du je pense, donc je suis est impersonnel suffit-il a évincer le problème ? De plus, comment ne pas prendre en compte les difficultés relevées dans le cogito de Descartes : certain l’ont en effet comparé à un raisonnement, qui dans ce cas deviendrait faux car « je pense » n’entraîne pas forcément « je suis » (qui sait si « tout ce qui pense » est), d’autres ont reproché à Descartes de ne pas définir des notions telles que « pensée » ou « certitude ». Comment expliquer le succès de cette affirmation malgré les quelques ambiguïtés ? Peut-être par le fait que le cogito a tout de même marqué un tournant dans la philosophie de l’époque, c’est à partir de ce moment que la notion de conscience va recevoir un sens technique et proprement philosophique et que la désignation de sujet va être réservée à l’être pensant, par opposition aux objets. La totalité de la connaissance, de la morale, du droit reposera a présent sur une base fondatrice indubitable : le cogito. Peut-être faut-il considérer davantage les conséquences de l’affirmation plutôt que les modalités de sa forme.
Avec la même certitude intuitive Descartes se demandera dans le suite du texte s’il ne connaît par autre chose que le fait d’être un sujet pensant. Après avoir répondu à la question « suis-je ? » il s’intéressera à l’interrogation « que suis-je ? » Une autre question importante surgira alors : le rapport, et même la distinction entre l’âme et l’esprit, entre la substance pensante et la substance étendue. Descartes exposera alors son principe dualiste.