Un des reproches souvent établis à l’encontre de la philosophie est bien de poser une multitude de questions sans en apporter aucune réponse. Pourtant, la philosophie est considérée comme la « mère des sciences », le fondement des autres disciplines, desquelles on ne pourrait difficilement accuser de « ne servir à rien ». Étymologiquement, la philosophie provient du grec philosophia, qui signifie amour de la sagesse, ou recherche de la vérité. Ainsi, la philosophie est-elle aussi inutile que certains ne l’affirment ? Sinon, quel est son intérêt, et pourquoi en faisons-nous ? Il est évident que si elle n’avait aucune importance, son enseignement et sa pratique n'auraient pas subsisté.
Il est considéré que la philosophie permet de saisir l’importance des choses qui nous paraissent évidentes, voire acquises, et en somme, a pour seule vocation une meilleure compréhension du monde et de son réel fonctionnement. Cependant, ces objectifs/visées sont déjà dispensés par les autres sciences, et on pourrait donc se demander si ce n’est pas la forme que prend la philosophie qui en fait tout son intérêt. Enfin, on pourrait affirmer que la pratique de la philosophie se fait constamment et ainsi, est accessible à tous sans aboutir forcément d’une démarche volontaire de faire de la philosophie.
I. La philosophie présente un intérêt par son mode opératoire et son accessibilité
La philosophie a un attrait par son mode opératoire: elle se fait en se posant des questions, en se remettant en question, en renonçant aux présupposés et aux évidences acquises… C'est une matière qui se distingue en ça des autres, car elle n'assène rien, mais met en évidence des questions qu'autrement on ne poserait pas. Les autres sciences elles enseignent ce qu'elles savent, là où la philosophie met en avant nos zones d'ignorances.
Il en résulte qu’en philosophant, on obtient une démarche, un esprit critique, et l’on se forge un véritable raisonnement applicable dans les autres sciences. On construit et approfondit sa pensée personnelle. La philosophie peut se concevoir ainsi comme un prélude aux autres sciences: la philosophie nous apprend le doute méthodique, qui évite de prendre comme éternellement vraie toute certitude, et ouvre l'esprit à la remise en question.
On peut également facilement accéder à la pratique de la philosophie, car c'est une matière qui n'impose aucune vérité. Il s’agit d’une science dont l'objet est la discussion, où il n’y a pas une seule vérité qui prédomine sur les autres autres. Il n'y a pas de dogme en philosophie, comme il n'y a pas de consensus comme on peut avoir dans les sciences dites dures; au contraire une vérité trop largement acceptée est suspecte en philosophie, car c'est par la confrontation des idées que la philosophie avance.
La philosophie est donc attirante dans sa pratique, et l'on philosophe par ailleurs sans même parfois sans rendre compte.
II. La pratique philosophique se fait d'ailleurs naturellement chez l’humain
Si la philosophie se réalise en se posant des questions et en essayant d'y répondre, et puisque réfléchir et se poser des questions est naturel chez l'humain, ne pourrait-on pas dire que la pratique de la philosophie est permanente ?
En effet l'humain ne peut s'empêcher de penser, et toute chose est propice à la pensée philosophique: l'épreuve du temps, la liberté, la place du travail, les relations humaines, etc. Sans même le savoir, nous philosophons donc: nous remettons en cause les conditions de notre existence, nous prenons du recul sur nos expériences personnelles et sur l'histoire de l'humanité en général. La philosophie se cache là où on ne l'attend pas: dans une œuvre de cinéma grand public, dans une discussion anodine dans la rue, dans la bouche d'un enfant. La philosophie peut traiter de tous les sujets et s'étendre sur tous les supports. La philosophie est ainsi naturelle, voire permanente chez l'humain.
La philosophie serait donc non volontaire, presque intuitive pour des individus qui possèdent la liberté de penser. La conséquence de l'aspect permanent de la philosophie et que si on se remet constamment tout en question, on ne peut difficilement se reposer sur une certitude. C'est un des écueils de la philosophie, à savoir le scepticisme permanent, qui veut toujours tout remettre en cause et ne jamais accepter aucune vérité comme acquise. Aussi si le questionnement philosophique est naturel, le traitement rigoureux et le débat sincère le sont moins: la discussion de comptoir ou bien l'exercice de vanité ne sont jamais très loin lorsqu'il s'agit d'exercice philosophique.
La philosophie est donc un exercice naturel, mais son véritable apport est lui bien plus difficile à atteindre.
III. Mais la philosophie ne doit perdre de vue son but: approcher de la vérité
Le véritable but de la philosophie est ainsi d'atteindre la vérité. Mais de nombreux obstacles se dressent devant cet objectif.
Le fait de pratiquer la philosophie doit permettre de tendre vers une connaissance plus précise et déterminée de soi et du monde. On peut par exemple découvrir l’importance des choses jusqu’alors acquises. On renforce ainsi la compréhension de ce qui nous entoure : on saisit le sens et le fonctionnement de la vie. Mais il faut dès lors accepter de remettre en cause ses certitudes. Il est ainsi difficile de mettre de côté son éducation, les conventions établies par la société ou encore relativiser ce que nos propres expériences, forcément limitées, nous enseignent.
Car la philosophie possède en outre un bienfait, celui de pouvoir appréhender une réalité qu'on ne peut totalement cerner. En faisant reposer nos connaissances sur la raison, on peut ainsi élever notre degré de connaissances, en luttant ainsi contre nos biais cognitifs, en acceptant des raisonnements qui peuvent paraître contre-intuitifs, en allant à l'encontre parfois de ce qu'on appelle communément "le bon sens". Mais si on évite le danger, la confrontation d'idées, et que l'on reste à la surface, peut-on encore vraiment parler de philosophie ?
Conclusion
On fait donc de la philosophie, car elle présente un mode opératoire inédit: par les questions qu'elle permet d'aborder, par l'esprit critique qu'elle permet de se forger, par l'ouverture d'esprit qu'elle promet. La philosophie nous ouvre ainsi des possibilités et des perspectives sans à priori, donnant de nouveaux champs d'exploration tout en ne s'enfermant dans aucun dogme. On fait par ailleurs de la philosophie parce que c'est somme toute assez naturel pour l'homme qui n'a de cesse de réfléchir à toute chose.
Tout est occasion de philosopher, ou du moins de donner l'apparence de philosopher. Car si on fait vraiment de la philosophie, ou plutôt si l'on use véritablement de la philosophie, c'est pour tenter d'accéder à la vérité. La philosophie devient alors plus difficile, non tant qu'elle soit forcément complexe, mais d'abord parce qu'elle demande des efforts, et avant tout de se défaire des facilités et des préjugés. On fait de la philosophie pour connaître réellement les choses, pour peu qu'on accepte avec humilité que la vérité puisse ne jamais être complètement atteinte.