Blaise Pascal est un philosophe, mathématicien et physicien du XVIe siècle, il est l’auteur des Pensées, un recueil d’écrits reconstitué après sa mort, qui est principalement une apologie du christianisme en démontrant que l’homme ne peut trouver la paix intérieure et le bonheur qu’en Dieu. Ce texte porte sur les notions de justice, de vérité, de mensonge et de la raison. Il traite plus spécifiquement de l’opposition qui existe entre la vérité et la “bonne fortune”. Le problème étudié dans ce texte est le suivant : Est-il possible de fonder des relations sur la base de la vérité ? Selon Pascal, les hommes, bien que cherchant la vérité, la haïssent. Ils n’ont aucun intérêt à dire la vérité; et à l'inverse le mensonge renforce leurs liens sociaux. Ils mentent aux autres et à eux-mêmes, et toutes les relations sont basées sur cette mutuelle tromperie. Les enjeux de ce texte concernent les relations humaines et la morale : sommes-nous obligés d’user du mensonge pour pouvoir vivre en société ?
L’auteur divise son texte en trois parties :
- (ligne 1-7) il commence par expliquer le rapport entre le statut social et la vérité, la “bonne fortune“ est pour lui complètement incompatible avec la vérité , l’homme n’a aucun intérêt à dire la vérité puisqu’il ne prendrait pas le risque de blesser ceux dont il a besoin.
- (ligne 7-14) Dans cette partie, l’auteur généralise l'illusion et l'hypocrisie des relations sociales, celle-ci ne touche pas seulement les plus puissants. Tous les hommes en sont victimes, et ce quel que soit leur statut social, et quel que soit le type de relations qu'ils entretiennent.
- (ligne 14-fin) Enfin, dans la dernière partie, Pascal conclut en expliquant la source de cette tromperie universelle. Celle-ci trouve son origine dans la nature même de l’homme, le mensonge et la tromperie sont enracinées dans son cœur.
I. Premier paragraphe: la bonne fortune est incompatible avec la vérité
L’auteur commence par introduire le premier argument de la partie (l. 1-2) ”Chaque degré de bonne fortune qui nous élève dans le monde nous éloigne davantage de la vérité". Pascal affirme que la réussite sociale nous éloigne de la vérité. C’est une affirmation qui semble partie d’une analyse générale de la société. L’auteur définit la bonne fortune par le hasard et la chance qui définissent notre statut social, et entend par “vérité”, celle utilisée dans le cadre des rapports humains. Il justifie ensuite son affirmation (l. 2-3) “parce qu’on appréhende plus de blesser ceux dont l’affection est plus utile et l’aversion plus dangereuse.”. Par conséquent, si la réussite sociale nous éloigne de la vérité, c’est parce que les subordonnés d’un homme puissant dont on a tout à craindre et à espérer n’ont aucun intérêt à lui dire la vérité puisqu’ils risquent de l'irriter. L’auteur présuppose une société élitiste et hiérarchisée où le peuple est disjoint et divisé en différentes classes sociales, et où pour pouvoir espérer grimper les échelons de la société, il est nécessaire de se servir des autres en les flattant pour s’attirer leur faveur. La deuxième phrase du texte (l. 3-4) fait office d’exemple et illustre l’argument principal de cette partie “Un prince sera la fable de toute l’Europe, et lui seul n’en saura rien“ . Un prince pourrait être la risée de l’Europe sans qu’il n’en sache rien parce que tout son entourage lui ment. Cet exemple ne vient pas que souligner l’argument précédent, mais ajoute une toute nouvelle tonalité au texte. En effet, le prince est une personne importante, les personnes gravitant autour de celui-ci évitent de le contrarier, or ce n’est pas pour autant que ça les empêche de parler de lui, derrière son dos. La cour colporte des rumeurs et prononcés sur le prince. Le prince est ici presque présenté comme une victime. Aussi puissant soit-il, le plus fort des hommes n’est pas protégé contre les mensonges et la flatterie, encore pire il n’en est que plus exposé.
La phrase suivante introduit le deuxième argument du texte et vise à expliquer le comportement qu’ont les subordonnés vis-à-vis du prince (l. 4-5) "Je ne m’en étonne pas : dire la vérité est utile à celui à qui on l'a dit, mais désavantageux à ceux qui la disent”. En effet l’auteur explique que dire la vérité n’est avantageux qu’à celui à qui on le dit et comporte des risques pour celui qui la dit. Mais est-ce si évident ? Ne vaut-il pas dans certains moments pour l’homme d'être dans l’ignorance ? La vérité est-elle si dangereuse à dire ? La vérité peut certes blesser, mais il est nécessaire de l'entendre pour espérer pouvoir progresser. On peut prendre l’exemple du prince et imaginer que celui-ci se fasse critiquer par un sujet. Il est fort probable que le prince se vexe et que le sujet en paie alors les conséquences, mais la vérité que le prince aura acquis lui permettra d'évoluer. Dans la dernière phrase du paragraphe (l. 5-7) “Or, ceux qui vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts que celui du prince qu’ils servent ; et ainsi, ils n’ont garde de lui procurer un avantage en se nuisant à eux-mêmes”. L’auteur conclut ici la première partie du texte, par un raisonnement déductif, il applique un cas général (l'égoïsme de l’homme) à un cas particulier (la cour du prince). En effet l’homme est un être égoïste, et par conséquent les sujets du prince sont égoïstes et s'ils le sont ceux-ci n’ont aucun intérêt à dire la vérité au prince puisque cela le désavantagerait, quand bien même cette vérité pourrait comporter un avantage pour le prince. Nous n’avons aucun intérêt à dire la vérité et avons à l'inverse tout à y perdre.
Cette première partie est la première brique de la thèse de l’auteur; il pose ici les bases pour la suite de son argumentation. Il met en valeur le lien entre la vérité et le statut social, et montre l’importance de la tromperie dans nos relations. Mais si la bonne fortune nous éloigne autant de la vérité cela veut-il dire pour autant que ceux à la base de là l'échelle sociale en sont proches ? La tromperie, n'est-elle qu’un malheur dont seuls les plus grands en sont victimes ?
II. Deuxième paragraphe: la vie humaine est ainsi une illusion perpétuelle
Dans le deuxième paragraphe, Pascal commence par généraliser son analyse. Il introduit ici le premier argument de la deuxième partie(l. 8-9) ”Ce malheur est sans doute plus grand et plus ordinaire dans les plus grandes fortunes ; mais les moindres n’en sont pas exemptes”. Il affirme que “ce malheur”, bien que plus présent chez les grande fortune, est présent partout, dans toutes les classes sociales: il est donc universel. Ici l’auteur entend par “ce malheur” le mensonge et l’hypocrisie qui domine nos relations sociales. Encore une fois Pascal présuppose une société hiérarchisée, scindée en plusieurs classes sociales, avec au sommet ceux dotés de la “bonne fortune”. Or il vient ici rajouter une nuance, quelque soit notre catégorie, nous souffrons tous du même mal “ce malheur”. Pascal explique ensuite la cause de ce phénomène (l. 9-10) "parce qu’il y a toujours quelque intérêt à se faire aimer des hommes". En effet , si tous les hommes sont victimes de ce malheur, c’est parce qu’il y aura toujours intérêt à se faire apprécier . Si tous les hommes en souffrent, c’est parce que justement chaque homme, quel qu’il soit, aura toujours intérêt à se faire apprécier d’autrui, ainsi pour renforcer nos relations sociales, nous usons de la tromperie, du mensonge, de l’hypocrisie et de la flatterie. Pour illustrer cet argument, on peut prendre l’exemple d’un commerçant qui pour mieux vendre ses produits use du mensonge pour flatter ses clients et se faire apprécier. Ou encore d'un homme cherchant à séduire quelqu’un, qui aura tendance à mentir sur lui-même et à flatter son interlocuteur. L’homme ment à quelqu'un pour en obtenir quelque chose : de l’argent, une information, un avantage professionnel, ou simplement pour embellir son image. Le mensonge semble alors être indispensable, et ce quelque soit la classe sociale dans laquelle on se trouve. Il y a toujours intérêt à l’utiliser, en opposition à la vérité.
L’auteur vient ensuite présenter la thèse principale du texte : (l. 10-11) “Ainsi, la vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que s’entre-tromper et s’entre-flatter” c’est une déduction causale qui paraît au lecteur comme étant presque évident : en effet, si tout le monde a intérêt à mentir, alors tout le monde ment, la vie humaine n’est donc plus qu’un constant jeu de tromperie , une illusion perpétuelle ou tous les hommes s’entre-tromper et s’entre flatter . L’image que l’on se fait de nous et des autres ne correspond pas à la réalité, les hommes vivent dans un monde imaginaire fondé sur les bases du mensonge. Pascal poursuit ensuite avec un exemple (l. 11-12) “Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. “. Cet exemple appuie l’argument de l’auteur dans le sens où personne ne parle de la même manière quand il est là et quand il n’est pas là, l’homme ne dit ce qu’il pense vraiment de quelqu’un que quand celui-ci n’est pas présent, cet exemple est universel il s’applique à à peu près tout le monde, l’homme fait comme s’il était le seul a avoir menti, comme si il était le seul à pouvoir mentir, c’est d’ailleurs ce que dénonçait Kant “si je mens, j’affirme que tout un chacun doit dire la vérité sinon je ne peux être cru. Je fais comme si j’étais la seule personne autorisée à ne pas dire la vérité, c’est une attitude incohérente moralement et logiquement". Par conséquent, si je suis capable de mentir alors les autres aussi, et si j’ai déjà parlé derrière le dos d’un ami, alors mon ami a sûrement fait la même chose, cet exemple est universel et s’applique à tout le monde, il ne semble pas comporter de limite, ce qui prouve bien la véracité de l'argument de l’auteur : l'universalité du malheur duquel sont victime les hommes.
III. Troisième paragraphe: la source du problème est la nature humaine
L’auteur introduit ensuite la troisième idée générale de la partie : (l. 12) "L'union qui est entre les hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie” . L’auteur entend par “union” les relations entre individus, les rapports sociaux. Selon Pascal, toutes les relations sociales sont fondées sur la tromperie. Pascal résonne par déduction, par rapport à l'exemple précédent si personne ne parle de nous comme il en parle en notre absence, c’est bien qu’en notre présence, ils nous trompent, pire encore si cet exemple semble parler à tout le monde et est universel et que par conséquent toutes nos relations sociales sont fondées sur le mensonge. Ici encore Pascal généralise le malheur subi par les hommes, celui-ci n’est pas seulement présent que dans les relations professionnelles , mais bien dans tous les types de relation sociale, affective, amicale, familiale, romantique, etc.. L’auteur conclut sa partie en reprenant l’exemple précédent (l. 14) “et peu d’amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu’il n’y est pas, quoiqu’il en parle alors sincèrement et sans passion”. Pascal ne se contente plus d'affirmer que toutes les relations sont fondées sur les bases du mensonge. Ici Pascal avance une nouvelle idée, celle que la vérité, même ,venant d’un ami blessé. Mais même sans la présence de son ami, l’homme ne fait pas qu'insulter et accuser son ami, l’auteur ne dit pas spécifiquement que l’on dit du mal d’un ami, juste que l’on parle de lui en toute sincérité par conséquent, il se peut aussi qu’on en dise du bien en toute sincérité. Quand Pascal affirme que peu d'amitié subsisterait si l’on savait ce que dit de nous notre ami, il sous-entend alors clairement que l’homme déteste entendre la vérité sous toutes ses formes, il ne l’accepte pas et la perçoit comme une attaque directe à son encontre, par conséquent, il est impossible pour lui de fonder une relation sur la base de vérité. La tromperie, le mensonge, l’hypocrisie et la flatterie seraient alors presque perçus comme des vertus et semblent être indispensables pour le maintien des relations sociales. Mais est-ce la réalité ? Est-il vraiment impossible qu’une relation puisse être fondée sur base de vérité? Les liens sociaux qui unissent les hommes, même les plus forts comme l’amitié ou l’amour, sont-ils si fragiles que la vérité aussi simple soit elle suffit pour les briser ? Il serait exagéré de dire que cela s’applique à tout le monde, il doit bien avoir des relations pouvons résister à la crudité de la vérité, puisque si ces relations n’existaient pas l’homme ne pourrait pas évoluer et s'améliorer et vivrais dans une constante stagnation dans la médiocrité . Mais force est de constater que même dans ce genre de cas particulier, la vérité n’est pas constamment utilisée, et les relations restent largement dominées par le mensonge et l’hypocrisie. Cette partie a montré l’universalité de la tromperie sur laquelle se fondent toutes nos relations sociales.
Pascal conclut en reprenant l’idée qu’il développait dans la deuxième partie (l. 15) “L’homme n’est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie“. Le terme utilisé en début de phrase “l’homme n’est que” présente un constat très pessimiste. Pascal nuance ici son propos. Ce ne sont pas que les relations sociales qui sont corrompues par la tromperie, le mensonge et l’hypocrisie, mais l’homme en lui-même, comme si ce malheur trouvait son origine dans la nature même de l’homme. Pascal poursuit ensuite par l’utilisation du terme "déguisement" suivi de mensonge et d'hypocrisie. Ce déguisement désigne la façade que l’homme se crée, le masque que porte l’homme continuellement et les termes mensonge et hypocrisie viennent clarifier la nature de ce masque. Enfin, la suite de la phrase : “et en soi-même et à l’égard des autres.” révèle dans quelle condition l’homme porte ce déguisement. Le constat est amer puisque l’homme porte son déguisement tout le temps. Il l’utilise pour tromper les autres et lui-même. L’homme semble ainsi préférer vivre dans une perpétuelle illusion à travers son déguisement plutôt que de confronter la vérité et voir l’image qu’il se fait de lui-même se briser. La phrase suivante réaffirme clairement le constat exprimé implicitement auparavant “Il ne veut donc pas qu’on lui dise la vérité. Il évite de la dire aux autres”. L’homme déteste la vérité, il déteste la dire, il déteste qu’on lui dise et ne veut pas l’accepter. L’auteur généralise encore plus son propos et la tendance n’est plus la même qu’au début du texte. C’est tout le monde qui est victime du mensonge: le prince, l’entourage du menteur et le menteur lui-même. Il n’est même plus question du fait que l’homme n’aime pas entendre la vérité de la bouche d’un autre. Le malheur dont souffre l’homme est bien plus profond; même quand la vérité est évidente et indispensable à l'évolution de l’homme, il la rejette pour entretenir son image à ses propres yeux, comme si la nature même de la vérité était incompatible avec celle de l’homme. La suite de la phrase vient conclure le texte “et toutes ces dispositions, si éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son cœur.”. L'enchaînement des termes "justice" et "raison" souligne le vice et le mal qui corrompt le cœur de l’homme. L’emploi du terme "racine naturelle" accentue le fait que le mal et la tromperie sont des caractères innés et indissociables de l’homme. Enfin le mot “cœur” met en relief la gravité et la profondeur des racines du mal qui rongent l’homme. Ce mal s'étend jusqu’au centre même de la nature humaine. Pour Pascal, si le mensonge et la tromperie sont si universels, c’est parce que justement, ceux-ci trouvent leur origine dans le cœur même dans l’homme. En définissant l’origine de la tromperie, l’auteur ouvre le texte sur le thème de l'inné et de l'acquis. Pour Pascal, si l’homme use du mensonge, c’est parce que celui est né naturellement mauvais. La tromperie et le mal sont dans sa nature et il est rebuté par la vérité. Cette idée vient à l’encontre de celle généralement admise, du philosophe Jean-Jacques Rousseau, ”l'homme est né bon c'est la société qui le corrompt". Le mensonge ne semble alors être qu’une stratégie, communément utilisée pour arriver à ses fins. Dans cette partie Pascal conclut son texte en récapitulant ses principaux arguments pour finir par s'interroger sur l’origine du malheur qui ronge les hommes.
Conclusion
Dans cet extrait Pascal a commencé par mettre en évidence le lien qui existe entre la bonne fortune, et la vérité, pour Pascal la bonne fortune nous éloigne de la vérité, pour la simple raison, que les subordonnés d’un homme à craindre n’ont aucun intérêt à lui dire la vérité même si celle-ci peut lui comporter un avantage. Ensuite, l’auteur généralise son analyse, il affirme que bien que les personnes puissantes soient très éloignées de la vérité, cela va de même pour le reste du monde, le malheur qu’est la tromperie ronge toutes les couches de la population, puisque, quel que soit le statut social, il y a toujours intérêt à se faire apprécier. Par déduction, s'il y a toujours intérêt à mentir, cela veut bien dire que tout le monde ment, et ce dans n’importe quel type de relation, le mensonge et l'intérêt qu’il confère semblent même être supérieurs à l’amour.
Ainsi la vie humaine n’est donc qu’une illusion, les hommes ne font que s’entre-tromper et s’entre-flatter, ils mentent aux autres et à eux même et détestent la vérité. Enfin Pascal révèle l’origine de l’hypocrisie et de la fausseté qu’entretiennent les hommes entre eux. Pour Pascal, le malheur dont souffrent tous les hommes trouve son origine dans leur cœur, le mal y est enraciné, et il en devient presque naturel pour eux. Ainsi pour l’auteur il est clair qu’il est impossible de fonder une quelconque relation sur la base de la vérité, pour la raison que, dire la vérité comporte beaucoup de risques. La vérité affaiblit les relations humaines, et à l’inverse le mensonge lui les entretient et permet de se faire apprécier. Le mensonge est tellement avantageux que son utilisation est enracinée dans le cœur même de l’homme.