Questions préalables
- Prendre soin de distinguer "justifier" de "comprendre" ou "expliquer"
- Double sens du verbe: la possibilité intellectuelle et la possibilité morale
- À quoi mènerait une réponse positive dans le domaine des valeurs ?
Introduction
On n'entreprend de justifier que ce qui paraît d'abord injustifié, sinon injustifiable, c'est-à-dire ce qui paraît, au moins dans un premier temps, contraire à toute justice, ou sans justification immédiate. L'actualité, proche ou lointaine, n'en finit pas de fournir des exemples de conduites, d'actes, d'événements qui peuvent ainsi sembler contraires à ce qu'implique une justification : n'indiquent-ils pas, dans un individu, dans une société ou dans l'histoire, la présence d'un mal irréductible à toute rationalité et à tout point de vue moral ?
I. Qu'est-ce que justifier ?
Puis-je justifier n'importe quoi ? Un meurtre, une pratique culturelle particulièrement choquante, mais aussi le nazisme ou l'existence des camps d'extermination : voici quelques cas de ce qui semble injustifiable. L'esprit a-t-il la possibilité de les justifier quand même, c'est-à-dire de les intégrer dans un système interprétatif au terme duquel leur caractère nocif semblera acceptable parce qu'il aura été ramené dans le cadre de comportements "normaux" ? N'y a-t-il pas au contraire de l'injustifiable dans le monde ? Et, même si je parviens à justifier tout comportement d'un point de vue intellectuel, ne serait-ce pas grâce à une démarche qui serait à son tour injustifiable dans la mesure où elle se tiendrait à l'écart de toute considération de valeurs ?
L'explication n'est pas une justification : elle met en lumière des causes, un déterminisme, mais est-ce pour si peu que ce dont elle rend compte devient moralement acceptable ? Dans sa critique de l'expression "la fin justifie les moyens", Kant fait valoir que, dès lors qu'une fin quelle qu'elle soit est reconnue comme bonne en elle-même, elle risque d'excuser à l'avance tout comportement moralement inacceptable. L'erreur réside précisément dans la survalorisation de la fin - et l'on sait que, dans l'histoire, c'est bien cette erreur, en l'occurrence particulièrement funeste, qui a déterminé l'élaboration des camps d'extermination, le projet du génocide des Juifs aussi bien que la mise en place du Goulag ou l'utilisation de la psychiatrie à des fins de police politique en URSS. Admettons donc que la fin, en fait, ne justifie rien.
Faut